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De l'eau au moulin

Publié le 29 novembre 2021 |

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[Agriculture 2040] 8. Réflexions sur les filières avicoles

Par Bernard Sauveur, ancien chercheur INRAE

Les viandes de volailles et les œufs sont aujourd’hui plébiscités par les consommateurs du monde entier. Quel avenir se dessine pour la filière en France ? Quelles évolutions peut-on souhaiter ? Voici quelques éléments de réflexion.

Viandes de volailles : un succès mondial

Les viandes de volailles connaissent, depuis la fin des années 1950, un succès croissant dans le monde car elles sont à la fois faciles à produire et satisfont les demandes des consommateurs.

Parmi les atouts de cet élevage on peut citer la précoce indépendance des jeunes, la prolificité, la bonne efficacité alimentaire de ces espèces, les facilités d’abattage, la plasticité possible des matières premières utilisées, etc.

Du côté des consommateurs, l’attractivité de la volaille tient entre autres à l’absence de tout interdit religieux et aux prix, qui restent modérés par rapport à ceux d’autres viandes. Elle bénéficie d’une image nutritionnelle favorable de produit « allégé » dont la graisse, principalement sous-cutanée, peut être facilement retirée. Depuis la généralisation de la découpe des carcasses, une grande diversité de présentations a encore renforcé cet attrait pour le consommateur.

En France, le poulet a le premier fait l’objet d’une certification Label rouge. Elle a beaucoup contribué à renouveler le produit, ainsi que son image, qui souffraient d’une production industrialisée.

La France, importatrice de volailles

Face à cette demande croissante, la production française, maximale en 2000 (avec 2,2 millions de tonnes) est revenue aujourd’hui au niveau du début des années 1990 (avec 1,7 MT environ).

Surtout, alors que la France se disputait avec les États-Unis la place de premier exportateur mondial de viandes de volailles dans les années 1970 et 1980 – des viandes souvent congelées et dont la qualité était discutable — elle connaît, depuis le milieu des années 1990, une chute de ses exportations d’environ 50% en valeur qui, liée à une augmentation des importations de près de 500 %, la rend aujourd’hui importatrice nette. En 2020, la France a importé 33% des volailles consommées sur son territoire !

Les causes de cette évolution sont sans doute nombreuses. Tout d’abord, les produits avicoles n’ont pas été prioritaires dans les grandes négociations commerciales internationales (GATT puis OMC, Accord de Marrakech). Ensuite, des pays plus chauds comme le Brésil, la Thaïlande, bénéficient d’avantages techniques objectifs : meilleure efficacité alimentaire (rapport de la masse de viande produite à celle d’aliment consommé) et production de soja. Ces mêmes pays bénéficient d’avantages économiques comme le coût de la main-d’œuvre et de plus faibles investissements dans les bâtiments. D’autre part, à l’intérieur de l’Europe, l’Allemagne et la Pologne, qui ont fortement augmenté leur production depuis 30 ans, font à la France une concurrence croissante. Enfin, quelques erreurs dans la stratégie des entreprises ont pu être commises.

Pour l’avenir, il serait vain de prétendre connaître les orientations à privilégier. Cependant les lignes qui suivent retracent, je pense, certaines positions des interprofessions avicoles, accompagnées de quelques réflexions personnelles.

Des constats partagés

Tout d’abord, revenir à l’exportation en masse de poulets standards de classe A n’est plus envisageable pour l’Europe, ni pour la France, depuis la suppression en 1994 des subventions à l’export. D’autres pays, le Brésil surtout, sont désormais mieux placés pour le faire.

Les consommateurs français semblent prêts à payer un peu plus cher lorsqu’ils sont assurés de la provenance des produits. Une des voies pour réduire la part des importations des poulets standards serait donc de généraliser l’étiquetage d’origine, y compris pour les morceaux découpés. Un soutien financier à la rénovation des poulaillers, des couvoirs et des abattoirs permettrait par ailleurs une meilleure compétitivité des filières françaises.

Volailles de France : quelques caractéristiques

La production française se distingue d’abord par la diversité des espèces produites, notamment le canard dont la viande rouge (provenant en partie de la filière « gras ») connaît un succès soutenu depuis 20 ans,

Autre trait remarquable, la place importante – environ 25% du total – qu’occupe la production sous différents cahiers des charges « qualité » comme les Label rouge, le Bio, les Certifications de conformité.

Enfin, la part croissante de la découpe des carcasses et de plats élaborés. Les poulets vendus entiers (dits PAC pour « prêts à cuire ») ne représentent plus aujourd’hui que 20% environ de la production totale.

Des attentes sociétales

Ces spécificités répondent à des souhaits des consommateurs et sont déjà intégrées dans la démarche de grands groupes. À titre d’exemple, tout l’approvisionnement en poulets de McDonalds France est désormais effectué à partir de la filière « Label rouge ».

Il semble donc pertinent de soutenir ces spécificités, en termes réglementaires et économiques, tout en répondant à différentes attentes sociétales liées à la protection de l’environnement ou au bien-être animal. Ceci pourrait conduire, par exemple, à limiter la taille des élevages et à généraliser le traitement des effluents à la ferme, par ailleurs producteur de biogaz ; à ré-implanter des abattoirs pour mieux desservir les territoires ; à mettre à disposition davantage de parcours pour les animaux et à réduire la densité de peuplement des bâtiments d’élevage.

Soja « made in France »

L’alimentation des volailles en croissance est une grande consommatrice de tourteau de soja, importé pour la plus grande part. Elle grève donc la balance des paiements de la filière. La production de soja (non-OGM bien sûr), lancée depuis quelques années en France, doit être fermement encouragée, tant par la recherche des variétés les mieux adaptées que par l’aide à l’implantation des usines de trituration.

De même, lors des crises d’embargo antérieures sur le soja1, les protéagineux et oléo-protéagineux métropolitains avaient été développés pour couvrir une partie au moins de la fraction protéique des rations alimentaires. Si les cultures de colza et de tournesol ont connu depuis un développement constant, il n’en est pas de même pour le pois protéagineux et la féverole, dont la production, par ailleurs bonne tête d’assolement, devrait être soutenue.

La question des additifs

Les additifs inclus dans les aliments des volailles, et notamment certains antibiotiques utilisés comme facteurs de croissance, peuvent être à l’origine d’antibiorésistances et nuisent à l’image des produits. Ils sont déjà interdits dans certains cahiers des charges (Label rouge). En Europe, les législations de plusieurs pays en limitent strictement l’usage, ce qui implique aussi d’améliorer certaines conditions d’élevage, en réduisant la densité de peuplement ou en rénovant des bâtiments par exemple

L’Œuf, plébiscité

Comme celle des viandes de volailles, la consommation mondiale d’œufs croît régulièrement, avec le développement économique des populations. En France, l’œuf est plébiscité par plus de 95% des ménages pour ses qualités nutritionnelles, la facilité et la variété de ses utilisations. Néanmoins, sa consommation tend à la baisse sur le long terme : égale à 248 unités par habitant en 2008, elle n’était plus que de 217 dix ans plus tard. La production nationale reste la plus élevée d’Europe, mais la France, autosuffisante en 1998, importe aujourd’hui des œufs en coquille car elle exporte…  des ovoproduits.

En effet, une évolution marquante des dernières décennies a été la part croissante des œufs transformés en ovoproduits2 pour les industries alimentaires. Cette part représente aujourd’hui environ 35% de la consommation totale en France.

Une autre caractéristique de la filière est son extrême concentration en Bretagne, en particulier dans les Côtes d’Armor, alors qu’il semblerait logique de rapprocher les productions d’œufs et de céréales. Ce serait plus facile que de rapprocher productions de viande et de céréales, dans la mesure où la création d’un centre de conditionnement d’œufs est beaucoup plus simple que celle d’un abattoir.

Et la poule ?

Le point le plus sensible de la filière « œuf » est aujourd’hui le mode d’élevage des poules, devenu un sujet phare des défenseurs du bien-être animal. Aujourd’hui, 53% (chiffre 2018) des œufs en coquille vendus en grandes surfaces sont issus d’élevages dits alternatifs : poules au sol, élevage de plein air et bio. Cette proportion n’a fait que croître depuis une vingtaine d’années. L’agrandissement et l’aménagement des cages, imposés par l’Europe en 2012, ont obligé les éleveurs à d’importants investissements, sans modifier, me semble-t-il, la préférence croissante de la demande pour l’élevage au sol.

De grands groupes de distribution – Monoprix le premier en 2016, puis Intermarché, Carrefour, Lidl, … – ainsi que des industriels (Lesieur, Amora, Lu, …) ont banni de leur approvisionnement les œufs issus de poules en cages. Les leaders de la restauration collective et les plus grandes chaînes hôtelières ont pris le même engagement pour les trois ans à venir. C’est au point que l’élevage en cages des poules pondeuses semble condamné à terme, au moins pour la production d’œufs en coquille – alors qu’il représente encore aujourd’hui 65% environ du total et que le coût du passage de la cage au « plein air » est estimé à 40€ par poule.

Et le poussin mâle ?

Un autre point moins connu du public, mais tout aussi sensible pour les défenseurs de la cause animale, est l’élimination systématique, au sein des lignées « ponte », des poussins mâles dès l’éclosion puisque, par définition, seules les femelles sont conservées pour pondre. De nombreuses tentatives ont été faites pour valoriser ces poussins en production de viande mais leurs médiocres performances de croissance ne donnent pas de résultat économiquement viable.

Plusieurs techniques ont été proposées ces dernières années pour identifier le sexe in ovo au cours de l’incubation et permettre ainsi une élimination précoce des œufs « mâles », sans attendre l’éclosion. Une seule semble à ce jour être utilisée, à petite échelle, sur le terrain ; elle s’appuie sur une appréciation spectrophotométrique de la coloration des plumes à 13 jours d’incubation, ce qui est encore assez tardif3. Deux autres techniques visant le 9ème, voire le 6ème jour n’ont pas encore atteint le stade de développement industriel. Il y a cependant urgence puisque plusieurs pays, dont la France, se sont engagés à proscrire dès 2022 la destruction des poussins mâles à l’éclosion.


Lire les contributions au dossier [Agriculture 2040]
– 1. Quel avenir pour l’agriculture en France dans 20 ans ?, par Pierre Guy, Michel Petit, anciens chercheurs INRAE, Anne Judas (revue Sesame)
– 2. La disparition des insectes. Témoignage d’un naturaliste (1969-2021), par Vincent Albouy, naturaliste, ancien président de l’Office Pour les Insectes et leur Environnement, auteur de plusieurs ouvrages sur les insectes.
– 3. La biodiversité, support de la production agricole, par Vincent Bretagnolle, directeur de recherche, Centre d’Etudes Biologiques de Chizé, UMR7372, CNRS.
– 4. Comment mangerons-nous en 2040 ? par Pascale Hébel, directrice du pôle consommation et entreprise au Centre de Recherche pour l’Étude et l’Observation des Conditions de vie (CRÉDOC).
– 5. Connaître le passé, envisager l’avenir, par Yves Guy, agronome.
– 6. Paysages, eau et biodiversité, par Pierre Guy, Jean-Pierre Dulphy, anciens chercheurs INRAE.
– 7. L’élevage des herbivores domestiques : pour un élevage économe et durable par nécessité, par Jean-Pierre Dulphy et Pierre Guy, anciens chercheurs INRAE.
– 8. Réflexions sur les filières avicoles, par Bernard Sauveur, ancien chercheur INRAE.
– 9. Concilier productivité et durabilité : quels rôles pour les mécanismes de marché ?, par Michel Petit, économiste, ancien chercheur INRA.
– 10. Créer ou recréer des emplois agricoles ?, par Anne Judas (revue Sesame), en collaboration avec Cécile Détang-Dessendre (DR INRAE).
– 11. Quelle agriculture dans un monde vivable ?, par Cécile Claveirole, ingénieure agricole, responsable politique des questions agricoles, et Marie-Catherine Schulz-Vannaxay, ingénieure agronome, coordinatrice du réseau agriculture de France Nature Environnement.
– 12. Une recherche agronomique pour une agriculture durable, par Gilles Lemaire, membre de l’Académie d’Agriculture de France et ancien chercheur INRA.

  1. En 1973 par exemple le gouvernement des Etats-Unis avait déclaré un embargo sur les exportations de soja pour satisfaire d’abord la demande intérieure, provoquant une crise pour les élevages européens. Voir Hache E., Géopolitique des protéines, Revue internationale et stratégique 2015/1 (n° 97), pages 36 à 46.
  2. Produits dérivés de l’œuf (blancs et jaunes séparés ou mélangés), présentés sous différentes formes et conditionnements, par exemple blanc d’œuf pasteurisé en poudre.
  3. La durée totale d’incubation est, chez le poulet, de 21 jours dont 18 en « incubateur » et 3 en « éclosoir » où les conditions de température et d’hygrométrie diffèrent légèrement.

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