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De l'eau au moulin

Publié le 15 juin 2021 |

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[Covid-19 ] Les impacts de la crise sur les systèmes alimentaires

Lors de la conférence de presse consacrée aux recherches INRAE sur la crise de la Covid-19 le 11 février 2021, Yuna Chiffoleau a exposé les résultats d’une enquête menée par un collectif de chercheurs au sujet des systèmes alimentaires pendant la crise. Voici ces résultats retranscrits pour Sesame, avec les quelques précisions que les mois écoulés permettent d’apporter.


Le collectif : Yuna Chiffoleau, Grégori Akermann (UMR Innovation, INRAE), Catherine Darrot (UMR ESO, Institut Agro), Luc Bodiguel (UMR Droit et changement social, CNRS) Gilles Maréchal, Blaise Berger (cabinet coopératif de conseil Terralim), Anne-Cécile Brit (FR CIVAM Bretagne) et Felix Lallemand (Association Les Greniers d’Abondance).

Nous avons lancé une enquête en ligne deux jours avant le 1er confinement, c’est-à-dire le 15 mars 2020, pour saisir les impacts de la crise sur les systèmes alimentaires. Avec l’appui du RMT Alimentation locale1 nous avons reçu près de 800 témoignages jusqu’au 10 juin 2020, de toute la France. Les gens y décrivaient ce qu’ils vivaient ou observaient dans leur ferme, supermarché ou territoire, ce qui nous a permis de couvrir une très grande diversité de situations.

Les résultats2 montrent tout d’abord que les systèmes alimentaires ont bien résisté mais ont été bousculés. Par système alimentaire, on entend l’ensemble des activités nécessaires pour produire, transformer, distribuer notre alimentation. En France, plusieurs systèmes alimentaires coexistent. Les uns, notamment, sont orientés vers les circuits longs, mobilisant plusieurs intermédiaires entre producteur et consommateur (grossistes, supermarché, etc.) ; d’autres sont tournés vers les circuits courts, réduisant le nombre d’intermédiaires entre producteurs et consommateurs, souvent à l’échelle d’un territoire. Sans attendre l’issue de cette crise, les observations recueillies sur ces différents systèmes alimentaires nous ont amenés à discuter des perspectives pour l’avenir avec des acteurs de l’action publique.

Ces systèmes ont été bousculés en effet par une demande très forte, autant pour ceux qui sont liés aux circuits longs que pour ceux en circuits courts. Les circuits longs ont bien tenu, mais il y a eu des incertitudes, des craintes au niveau logistique, au niveau des intrants (alimentation animale, matières premières pour l’agroalimentaire) et de la main-d’œuvre agricole du fait de la dépendance de ces circuits aux ressources d’origine lointaine.

Les circuits courts ont également été très sollicités, parce qu’ils apparaissaient plus sûrs pour certains, parce qu’on avait du temps pour cuisiner et penser à son alimentation, mais aussi par solidarité pour les producteurs, surtout après la fermeture des marchés de plein air fin mars 2020.

Les producteurs ont su s’adapter, innover pour répondre à la demande, en développant la vente par Internet et la livraison à domicile, notamment, mais aussi en coopérant avec des producteurs en circuits longs pour augmenter leur offre.

Mais ce qui a été remarquable c’est aussi la participation des consommateurs, qui, partout en France, ont créé des groupements d’achat entre voisins pour acheter à un producteur local. Ces groupements ont entraîné des consommateurs qui ne fréquentaient pas du tout les circuits courts et ont permis des apprentissages que l’on sait favorables à la transition alimentaire3.

Bien sûr l’action publique a joué un rôle important, mais les répondants l’ont jugée souvent tardive, peu coordonnée, y compris dans des territoires engagés dans un Projet Alimentaire Territorial ou PAT4.

Enfin, aucun système alimentaire n’a réussi à faire face à l’aggravation de la précarité alimentaire (voir ici le rapport du CNLE, mai 2021) .

Ces résultats nous ont amenés à discuter avec les acteurs impliqués dans les politiques publiques touchant à l’agriculture et l’alimentation, notamment le Ministère de l’agriculture et de l’alimentation, dans la perspective du Plan France Relance5. Nous avons également échangé avec des sénateurs, avec des députés, en vue de la loi6 Climat et résilience, ainsi qu’avec des élus régionaux et locaux.

Au cours de ces échanges, nous avons par exemple souligné trois chantiers concrets et majeurs  pour l’action publique : l’inclusion du risque de ruptures d’approvisionnement dans les objectifs et les actions d’un PAT, la mise en place d’une sécurité sociale de l’alimentation à travers laquelle l’accès à l’alimentation durable devient un droit pour tous au même titre que l’accès aux soins (voir dans Sesame l’article sécurité sociale de l’alimentation), enfin la régulation des produits dits « locaux », que les consommateurs imaginent d’emblée durables alors que ce n’est pas forcément le cas.

Plus largement, dans ces échanges, le terme clé a été celui de la résilience alimentaire, c’est-à-dire la capacité des systèmes alimentaires à se transformer pour garantir la sécurité alimentaire face à cette crise mais aussi aux autres perturbations déjà en cours, comme le changement climatique7. Même s’ils n’ont pas vocation à remplacer les circuits longs, les circuits courts de produits locaux ont joué un rôle-clé pendant la crise, tandis que des travaux montrent qu’ils sont un levier important pour la transition agroécologique et alimentaire8, essentielle dans la lutte contre le changement climatique. L’enjeu est alors de reterritorialiser une partie de l’alimentation pour rééquilibrer les systèmes alimentaires dans les territoires et diminuer les dépendances par rapport aux flux internationaux, en renforçant l’offre locale par un appui plus important à l’installation de fermes en circuits courts notamment.

Renforcer la résilience suppose toutefois aussi de rééquilibrer la gouvernance des systèmes alimentaires, en impliquant davantage les citoyens dans les décisions : la résilience alimentaire va de pair avec la souveraineté alimentaire, qui ne doit pas être confondue avec l’autosuffisance ou l’autonomie alimentaire d’un pays ou d’un territoire mais relève du droit des peuples à décider qui les nourrit, et comment. C’est un enjeu abordé plutôt à travers la notion de démocratie alimentaire dans les pays développés9 et qui nous amène aujourd’hui à approfondir en particulier, dans le cadre d’un nouveau projet de recherche, les dynamiques citoyennes nées ou renforcées pendant la crise.



  1. Réseau Mixte Technologique Alimentation locale – Chaînes alimentaires courtes de proximité pour une alimentation durable. Réseau national d’experts issus de la recherche, du développement et de la formation, créé en 2015, agréé et financé par le Ministère de l’agriculture et de l’alimentation
  2. Ils ont été publiés au fur et à mesure des remontées de terrain sur le site du RMT Alimentation locale (Bulletins de partage | RMT Alimentation Locale (rmt-alimentation-locale.org) et synthétisés dans un ouvrage à destination du grand public : Chiffoleau Y., Darrot C., Maréchal G., dir. (2020). Manger au temps du coronavirus. Enquête sur nos systèmes alimentaires. Rennes, Editions Apogée.
  3. Chiffoleau Y., Akermann G., Canard A., 2017a. Les circuits courts alimentaires, un levier pour une consommation plus durable : le cas d’un marché de plein vent. Terrains et travaux, 2(2), 157-177, https://doi.org/10.3917/tt.031.0157
  4. Introduits dans la Loi d’Avenir agricole de 2014, les projets alimentaires territoriaux (PAT) ont l’ambition de fédérer les différents acteurs d’un territoire autour de la question de l’alimentation, contribuant ainsi à la prise en compte des dimensions sociales, environnementales, économiques et de santé de ce territoire (Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, 2021)
  5. « Permettre au plus grand nombre d’avoir accès à une alimentation locale, de qualité est une priorité du plan France Relance. C’est un véritable défi face auquel les projets alimentaires territoriaux sont de puissants leviers » (Ministre de l’Agriculture et de l’alimentation, mars 2021). Le Plan France Relance inclut ainsi une enveloppe de 80 millions d’euros pour soutenir les PAT existants et émergents.
  6. En collaboration avec des députés, nous avons rédigé plusieurs amendements pour faciliter le passage à l’échelle des circuits courts et de proximité (modifications des règles de gestion du foncier agricole, obligation de transparence dans les chaînes alimentaires, etc.).
  7. Les Greniers d’Abondance, 2020. Vers la résilience alimentaire. Faire face aux menaces globales à l’échelle du territoire, https://resiliencealimentaire.org
  8. Chiffoleau Y., Dourian T., 2020. Sustainable Food Supply Chains: Is Shortening the Answer? A Literature Review for a Research and Innovation Agenda. Sustainability, 12, 9831, https://doi.org/10.3390/su12239831
  9. Chiffoleau Y., Paturel D., Bienabe E., Millet-Amrani S., Akermann G., 2017b. La construction sociale de la démocratie alimentaire : quels enjeux pour la recherche ? Colloque international du GIS Démocratie et participation, Paris, 26-28 janvier 2017, https://www.participation-et-democratie.fr/system/files/2017_2nd_chiffoleau_paturel.pdf

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