Published on 4 juillet 2024 |
0Les camélidés, un essor tous terrains
Ils sont utilisés depuis des milliers d’années par les populations nomades et autochtones dans les territoires désertiques d’Asie et d’Afrique ou encore dans les Andes sud-américaines. À la fois indispensables au transport de biens et de personnes, les camélidés fournissent également des produits clés aux populations – lait, viande, engrais, laine et fibres. Bien qu’encore méconnues en Europe, ces espèces résistantes présentent un fort potentiel face au changement climatique.
Une chronique d’Anaïs Marie, chargée d’études et des publications au Club DEMETER, coordinatrice du « Déméter », pour le quinzième numéro de la revue Sesame
Visuel : Alpagas Equateur © Bastien Dailloux
Présents dans plus de quatre-vingt-dix pays, les camélidés constituent une famille de mammifères artiodactyles herbivores qui se compose de plusieurs espèces différentes, réparties principalement sur trois continents. Nés il y a environ 45 millions d’années en Amérique du Nord, les camélidés se sont progressivement séparés en deux lignées, l’une ayant migré vers l’Amérique du Sud, l’autre ayant emprunté le détroit de Béring pour se rendre en Asie puis en Afrique1. De cette migration historique ont émergé deux grands groupes : les camélidés andins qui rassemblent le lama, l’alpaga, la vigogne et le guanaco, et les « grands camélidés » qui regroupent le dromadaire (une bosse), le chameau de Bactriane (deux bosses) et le chameau sauvage de Tartarie2.
Malgré une répartition géographique distincte et des caractéristiques particulières à chaque espèce, les camélidés partagent la particularité de vivre dans des conditions climatiques et des territoires contraints. De fait, les camélidés andins, comme leur nom l’indique, vivent principalement dans les Andes (montagnes, hauts plateaux, vallées), les dromadaires vont eux se situer principalement dans les déserts d’Afrique et de la péninsule arabique, tandis que les chameaux de Bactriane vivent surtout dans les steppes et déserts d’Asie centrale. Certains pays se distinguent particulièrement pour leurs populations de camélidés. À ce titre, le Tchad compte aujourd’hui le plus gros cheptel avec 10 millions d’animaux, suivi de la Somalie (7,5 millions), du Pérou (5,6 millions), du Soudan (5 millions), du Kenya (4,6 millions) et de la Bolivie (3 millions)3.
Une résistance à toute épreuve
Les camélidés possèdent de nombreux atouts face au changement climatique
Anaïs Marie
2024 a été déclarée année internationale des camélidés4, afin de mettre en avant le rôle essentiel de ces animaux et leur participation dans la réalisation des Objectifs de Développement Durable (ODD). À l’heure où les effets du changement climatique s’intensifient, les camélidés possèdent effectivement de nombreux atouts.
Premier avantage, ils peuvent supporter des environnements hostiles et peu favorables à d’autres espèces (milieux semi-arides et arides, régions montagneuses, déserts, fortes amplitudes thermiques, etc.). Pour y vivre, le corps des chameaux et dromadaires dispose de plusieurs caractéristiques, dont un pelage qui protège de la chaleur la journée et du froid la nuit, des coussinets plantaires élastiques qui isolent de la chaleur du sol, des lèvres épaisses aptes à saisir les plantes épineuses, une double rangée de cils et des narines qui se ferment en cas de tempêtes de sable.
Deuxième atout, et non des moindres dans des territoires où l’eau et la nourriture ne sont pas abondantes, les grands camélidés peuvent se passer de boire pendant plusieurs jours, en raison d’une faible déshydratation, et de manger pendant plusieurs semaines, grâce à la graisse stockée dans leur(s) bosse(s). Ils sont également capables d’ingurgiter plus de cent litres d’eau en une fois après une période sans boire.
Troisième élément en leur faveur, les chamelles produisent un lait réputé pour ses qualités nutritionnelles, considéré peu gras, riche en vitamine C, en acides aminés essentiels, en fer, adapté aux personnes intolérantes au lactose, etc.
Enfin, dans un tout autre registre, le système immunitaire robuste des camélidés présente un intérêt particulier pour la médecine. Une découverte dans les années 1990 a permis de mettre en avant la présence d’anticorps inédits et ultrarésistants dans le sang de ces animaux, qui possèdent la faculté de se rendre dans des endroits du corps inaccessibles aux autres molécules. Ces « nanocorps » continuent d’ouvrir la voie, à de nouveaux traitements. Ils sont par exemple utilisés dans le diagnostic de la maladie d’Alzheimer, dans la lutte contre le cancer, les maladies auto-immunes, etc.
Un élevage qui roule sa bosse
Si l’on exclut les climats humides qu’ils ne supportent pas, les camélidés pourraient à l’avenir être des alliés indispensables pour de nombreux pays.
Anaïs Marie
L’intérêt porté aux camélidés est en croissance constante dans le monde. On estime ainsi que leur nombre a presque doublé en vingt ans, passant de 29,4 millions en 2002 à 50,4 millions en 2022, toutes espèces confondues5. Une hausse qui mérite d’autant plus d’être soulignée que la population totale de camélidés est fortement sous-estimée. Le développement de ces animaux se poursuit donc en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud, mais il tend aussi à croître au-delà de ces frontières, notamment en Europe et en France.
Les grands camélidés sont encore assez méconnus dans l’Hexagone où leur élevage est plutôt marginal et principalement orienté vers les activités touristiques. Mais ils séduisent de plus en plus dans le contexte du changement climatique. Dans le département du Nord, La Camelerie accueille ainsi le plus grand troupeau du pays avec quatre-vingts chameaux et dromadaires et constitue un exemple de la diversification de l’élevage de camélidés. Les animaux n’y sont pas uniquement utilisés à des fins de loisir, ils permettent aussi la production, la transformation et la vente de lait et de produits de chamelle (fromage, savons, etc.).
Même si cela constitue un marché de niche en raison du coût élevé du lait et d’un goût que les consommateurs doivent découvrir, il ne paraît pas impossible d’imaginer que les camélidés puissent progressivement compléter et diversifier les élevages en France et en Europe dans un contexte de réchauffement6. Si l’on exclut les climats humides qu’ils ne supportent pas, les camélidés pourraient à l’avenir être des alliés indispensables pour de nombreux pays.
Un parcours sans faute ?
Ils restent toutefois moins performants que d’autres espèces animales.
Anaïs Marie
Si les camélidés disposent d’un nombre non négligeable d’atouts, ils restent toutefois moins performants que d’autres espèces animales. En plus d’un faible taux de production laitière (six litres par jour pour une chamelle contre vingt litres en moyenne pour une vache), leur période de gestation est relativement longue (treize mois environ), les mises bas sont souvent espacées de deux ans et les chamelons subissent une forte mortalité due aux maladies. Par ailleurs, la popularité des camélidés a longtemps été remise en cause par un taux d’émission de méthane considéré comme aussi élevé que celui des bovins. Sauf que, en 2014, une étude a conclu qu’en valeur absolue, par rapport à leur masse corporelle, les camélidés rejettent moins de méthane que les vaches ou les moutons, notamment grâce à un métabolisme plus lent et donc un apport alimentaire généralement plus faible7. Si ces données relativisent l’impact carbone des camélidés, le sujet reste encore peu documenté et mérite d’être suivi.
Tout porte ainsi à croire que la croissance des camélidés ne devrait pas ralentir dans les années à venir. Reste à savoir si celle-ci s’accentuera en dehors de leurs territoires actuels.
- Lire à ce sujet Bernard Faye, « How many large camelids in the world? A synthetic analysis of the world camel demographic changes », Pastoralism, Research, Policy and Practice, 10:25, 2020.
- Ce dernier ne sera pas traité dans l’article.
- Statistiques de la FAO (Organisation pour l’alimentation et l’agriculture).
- Voir à ce titre la page officielle de la FAO consacrée à l’année internationale des camélidés https://www.fao.org/camelids-2024/fr.
- Statistiques de la FAO.
- Pour aller plus loin, lire Guillaume Benoît, « Eau, sol et agriculture : un trio si fragile ? », dans Sébastien Abis (dir.), Le Déméter 2024. Mondes agricoles : cultiver la paix en temps de guerre, Paris, Club DEMETER – Iris éditions, 2024, p.195-220.
- Marie T. Dittmann et al., « Methane Emission by Camelids », PLOS ONE 9(4), 2014.