Les échos & le fil Étang du 17e siècle, alimentant le bief d'un moulin, en cours d'effacement circa 2023 © archives Yann Kerveno

Publié le 10 juillet 2024 |

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Le paradoxe du castor

Les castors créent des barrages ici ou là, pendant que de l’autre côté on s’échine à détruire là ou ici des seuils et des chaussées sur les rivières au nom de la continuité écologique. Un paradoxe qui en dit beaucoup sur nos propres incohérences ? C’est le fil du 10 juillet 2024.

Visuel : Étang du 17e siècle, alimentant le bief d’un moulin, en cours d’effacement circa 2023 © archives Yann Kerveno

On a beaucoup parlé du castor ces dernières semaines, pour sa capacité à faire barrage. Alors, le castor, que l’imaginaire des plus jeunes associera peut-être aux grandes forêts d’Amérique du Nord fait aussi son retour en France dans nos rivières. S’il fascine, c’est probablement par ses aptitudes à modifier le milieu dans lequel il vit, en créant des obstacles sur les cours d’eau afin de réguler leur niveau de façon dynamique et de conserver l’entrée de leurs terriers, en permanence immergée pour se mettre à l’abri des prédateurs. Les qualificatifs ne manquent pas, architecte, hydraulicien, ingénieur… Il est emblématique aussi parce qu’il est passé à deux doigts de la disparition, chassé pour sa fourrure en particulier. Au point qu’il est la première espèce protégée en France, depuis 1909, et que les premières réintroductions datent de 1974 dans le bassin de la Loire.

S’il a été réintroduit dans certaines régions, il est encore loin d’avoir colonisé tout le territoire. Au grand dam de ses défenseurs, comme en Ariège où certains aimeraient bien le voir coloniser les rivières du département dont il est absent depuis quatre ou cinq siècles. Problème, le Parc naturel des Pyrénées ariégeoises ne semble pas supermotivé, les propriétaires forestiers sont contre… La Chambre d’agriculture de l’Ariège a même réalisé une étude sur l’impact que pourrait avoir l’espèce sur l’activité agricole à proximité des rivières, pour conclure que les dégâts peuvent survenir mais que l’ampleur de l’impact est toutefois bien plus limitée que celle des ragondins, même si les castors se montrent friands de maïs, tournesol, courges et fruits, à toute proximité du cours d’eau. Il est aujourd’hui présent sur 18 000 kilomètres de cours d’eau en France et sa population est estimée à 20 000 individus. Au point que cette année 2024 est l’année du castor et qu’en décembre prochain sera dévoilée la « stratégie nationale castor » en cours de rédaction par l’OFB et les membres du réseau national castor… En cliquant ici vous saurez tout sur Castor Fiber.

Un “barrage” tous les six kilomètres

Et là, vous vous demandez, c’est bien beau tout ça, mais pourquoi parler de paradoxe ? Parce que c’est ici qu’on va s’approcher de la berge, attention à ne pas glisser.

Ce que l’on loue chez le castor, c’est sa capacité à réguler le cours des rivières, limiter l’impact des crues, à créer des zones humides, de la biodiversité, et d’être même un « allié contre le changement climatique ». Rien que cela.

Et dans le même temps, il ne vous aura pas échappé qu’un vaste mouvement mû par le même souci de restauration de la nature vise à libérer les cours d’eau européens de toutes les entraves créées depuis des siècles par les hommes, digues, seuils, barrages, au nom de la continuité écologique. La continuité écologique étant un des concepts clé du « bon état des eaux » recherché par l’Union européenne et qui fait d’objet d’une directive-cadre de l’Union datant de 2000. Il y a 5 ans, un recensement avait comptabilisé 100 000 « obstacles à l’écoulement » en France, dont 99 000 en métropole, soit en moyenne un ouvrage tous les six kilomètres. Ce qu’on leur reproche, c’est d’empêcher la libre circulation des espèces aquatiques, de favoriser le ralentissement des cours d’eau (qui entraîne leur réchauffement et les risques d’eutrophisation). Et comme souvent, on oublie, dans toute la littérature qui y est consacrée, de mettre en parallèle les aménités de ces obstacles : maîtrise des crues, création de biodiversité nouvelle (tiens, comme les castors), recharge des nappes par le ralentissement de la vitesse d’écoulement… Comme si le barrage ou le seuil incarnait le mal. Une ONG européenne lutte d’ailleurs pied à pied pour ces effacements.

Touche pas à mon étang

Là où ça pique, en France notamment, c’est que la destruction des seuils, chaussées et barrages revêt aussi une forte dimension patrimoniale. Ces constructions, souvent vieilles de plusieurs siècles, sont ancrées dans les paysages familiers des habitants des lieux, au même titre que le clocher du village que l’on voit de loin ou les tours du château de l’ex-seigneur du patelin, ici c’est un lieu de baignade, ici un étang… Pour chaque projet de destruction d’ouvrage naît un collectif de défense ou presque. C’est le cas à Figeac dans le Lot pour le dossier emblématique de la chaussée du Surgié sur le Célé. Si l’on prend un peu de recul, on se dit que le barrage du castor doit avoir des propriétés que n’ont pas ceux construits par les hommes, mais à chercher un peu, ce n’est pas super évident (sources complémentaires bienvenues en commentaires).

Illusoire ?

Alors quoi, ce paradoxe évident n’est-il pas, finalement, qu’un nouvel avatar de l’absence de recul propre à notre temps ? À moins, comme le soulignent des chercheurs australiens, que ce ne soit une fuite en avant vers un objectif illusoire ? Dans une étude publiée l’an passé, ils estiment en effet impossible, au vu de notre avancée dans l’anthropocène, de restaurer les cours d’eau à l’identique de ce qu’ils étaient avant l’homme. Parce que c’est tout l’écosystème qui a bougé depuis. Et qu’au lieu de chercher à revenir en arrière, il serait plus judicieux de travailler à augmenter sa résilience face au changement climatique. Qualité qu’on attribue aux barrages… Des castors…

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