Les échos & le fil archives @ yann kerveno

Published on 11 janvier 2024 |

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Le (petit) coup de trop ?

L’Organisation mondiale de la santé se fâche, les consommateurs occidentaux boivent moins, le marché des alcools est en pleine ébullition. On lève le capot. C’est le fil du mercredi 10 janvier 2024.

Visuel : © archives Yann Kerveno

En novembre dernier, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a affermi sa position quant au caractère dangereux de la consommation d’alcool pour inciter l’Europe à en faire plus dans le cadre de son plan de lutte contre le cancer. En fait, l’OMS reproche à l’Union européenne une approche peut-être trop timorée (ou bridée par les producteurs d’alcool qui contribuent fortement au PIB ?). Elle indique par exemple que « la contribution de la consommation d’alcool à l’incidence et à la mortalité du cancer doit être clairement reconnue sans utilisation de qualificatifs ou d’adjectifs trompeurs tels que consommation « nocive » ou « importante » d’alcool ou « consommation responsable ». Des mesures devraient être prises pour informer clairement le public sur ce risque, peu connu de la population générale, notamment en renforçant la diffusion des recommandations du Code européen contre le cancer. » L’OMS se base sur ses propres conclusions pour une telle injonction : l’alcool est reconnu cancérigène du groupe 1 depuis 1988 et a provoqué 740 000 cancers à l’échelle de la planète en 2020, soit environ 4 % des cancers détectés dans le monde quand un quart des cancers liés à l’alcool sont détectés en Europe. On comprend mieux l’impatience de l’agence internationale.

En septembre dernier, une nouvelle politique d’étiquetage a été votée en Irlande, pour une entrée en vigueur en 2026 qui a beaucoup, beaucoup fait parler d’elle… Puisqu’elle prévoit d’avertir des risques de cancer directement sur les étiquettes. On n’est pas encore au stade des paquets de cigarettes, mais la marche est importante et l’initiative donne des idées ailleurs en Europe… Au point que la fédération des exportateurs de vins et spiritueux de France s’est fendue d’un communiqué pour estimer que « La décision de la Commission européenne (d’autoriser l’Irlande à procéder ainsi, NDLR) est un coup de canif. Cela crée un précédent extrêmement périlleux. » D’autres « techniques » sont testées ailleurs pour limiter la consommation d’alcool, comme le prix minimum de l’unité d’alcool (gramme), qui renchérit fortement le prix des boissons alcoolisées les plus abordables… C’est ce que fait l’Écosse, (50 pences minimum par unité) avec un certain succès d’ailleurs si l’on en croit les premiers résultats. Une enquête d’évaluation estime à 13 % la baisse du nombre de décès liés à l’alcool, et 4,1 % celle des hospitalisations, depuis la mise en place de la mesure en 2018. Avec un impact très fort relevé sur les zones les plus déshéritées du pays… La mesure doit être prorogée, ou non, avant le mois de mai de cette année par le Parlement du pays, avec en passant une augmentation de 15 pences pour porter le prix minimum à 65 pences destinée à corriger l’effet de l’inflation enregistrée depuis 2018… L’Irlande a aussi adopté une partie de ce système en « chargeant » 10 centimes par gramme d’alcool… De quoi faire rager un des éditorialistes (qualifié de libertarien par sa fiche wikipedia, et pour le moins conservateur) de l’Irish Independant, Ian O’Doherty qui s’est emporté contre ce qu’il appelle « une guerre contre les pauvres et la classe ouvrière ».

Pour autant, au-delà même des mesures restrictives, les habitudes de consommation d’alcool évoluent à la baisse et relativement rapidement dans les pays occidentaux, en particulier celles du vin. À l’échelle de la planète, après un pic à 250 millions d’hectolitres en 2007 et 2008, elles s’inscrivent tendanciellement à la baisse pour atteindre 232 millions d’hectolitres en 2022…

Et chez nous ? Si la menace réglementaire reste floue, eu égard au poids économique du secteur dans le pays, la consommation évolue, elle, depuis longtemps. À ce propos, on mesure toute l’étendue du changement dans la dernière enquête quinquennale réalisée par FranceAgriMer sur la consommation de vin et d’alcool en France. Avec un chiffre : en 60 ans, la consommation de vin a reculé de 60 % dans le pays tandis que la population est passée de 45 à 68 millions de personnes… La principale évolution, outre le volume, concerne bien les habitudes de consommation. Le repas reste, « francitude » oblige, un moment de consommation de vin mais celui-ci se boit de plus en plus au moment de l’apéritif. Reste que les consommateurs réguliers ne sont plus que 11 %, en repli de 5 points par rapport à 2015 (année de la dernière enquête). Cette baisse ne se dément pas depuis les années quatre-vingt, quand 50 % des Français en consommaient régulièrement…

Autres temps autres mœurs, les consommateurs occasionnels représentent aujourd’hui 51 % du corpus des Français de 18 ans ou plus et parmi eux, les consommateurs « hebdomadaires » sont 19 %, les consommateurs « mensuels » 18 %. La part des non-consommateurs est, elle, stable depuis une quinzaine d’années à 37 % de la population. Quand on y regarde de près, c’est bien un effet générationnel qui est à l’œuvre. Les consommateurs réguliers étant plus nombreux à mesure que l’âge augmente, les plus jeunes générations n’apportant, « au mieux » que des consommateurs occasionnels. Mais ce mouvement ne concerne pas que le vin, les non consommateurs d’alcool représentent aujourd’hui 25 % des 18-34 ans, six points de plus qu’en 2015 et seule la bière échappe au repli. À l’échelle de la France, les non-consommateurs représentent aujourd’hui 19 % de la population, + 4 points par rapport à 2015. Pas étonnant que le monde du vin en France et ailleurs cherche aujourd’hui à ouvrir de nouveaux marchés de grand export, à la manière de ce qu’on fait les cigaretiers dans les années quatre-vingt ? À moins que le prix des vins exportés barre l’accès aux populations les plus populaires ? Qu’en pensez-vous ?

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