Publié le 27 octobre 2023 |
0[Rapport] La propriété des terres agricoles en France
Par le mouvement Terre de Liens,
A qui profite la terre ?
Le rapport (lire ici ou voir ici sa présentation et discussion en vidéo) du mouvement Terre de Liens (voir encadré en bas de page) a pour objet de lever le voile sur la propriété des terres agricoles en France. Il montre combien les logiques à l’œuvre parmi les propriétaires peuvent favoriser ou freiner le besoin désormais urgent d’une évolution rapide vers l’agroécologie et l’installation d’une nouvelle génération d’agriculteurs et d’agricultrices.
Pour ce rapport, Terre de Liens a commandité une étude sur la propriété des terres agricoles, la première en trente ans à l’échelle nationale. Depuis des décennies, la propriété de la terre est en effet un angle mort des politiques publiques nationales, sinon un tabou. La dernière étude du ministère de l’Agriculture sur la propriété des terres agricoles et des fermes date de 1992. Et les fichiers du cadastre sur les propriétaires sont largement confidentiels. Cette opacité empêche de mobiliser les propriétaires privés et masque des évolutions structurelles inquiétantes.
Pourtant, les propriétaires jouent un rôle majeur pour déterminer les usages des terres agricoles : ils peuvent décider de confier leur terre à un agriculteur, la laisser à l’abandon ou privilégier un usage plus rémunérateur que le fermage. Lorsqu’ils la confient à un agriculteur, ils peuvent se tourner vers quelqu’un du village ou donner sa chance à un nouvel agriculteur ou à une agricultrice. Ils peuvent aussi choisir les modalités de mise à disposition de la terre (vente, location) et proposer des conditions plus ou moins favorables (en termes de prix, durée, etc.) dans le cadre des limites posées par la loi.
Aujourd’hui, l’immense majorité des terres agricoles est dans les mains de plus de 4 millions de petits propriétaires privés, pour beaucoup âgés. Dans dix à quinze ans, la propriété sera encore plus morcelée et complexe, avec de nombreuses indivisions et un éloignement géographique et social croissant entre propriétaires et agriculteurs. En parallèle, un nouveau groupe de propriétaires a fait son apparition depuis deux décennies : les sociétés agricoles, dont certaines sont financiarisées. Sans une connaissance fine de la structure du foncier et des profils des propriétaires, impossible de les inciter à s’emparer des enjeux collectifs au cœur de notre société : alimentation, emploi, climat et biodiversité… qui vont bien au-delà des enjeux de propriété individuelle.
Changements de propriétaires
En effet, les propriétaires peuvent constituer un levier ou un frein à l’installation de nouveaux agriculteurs (chapitre 2). La terre, essentiellement transmise par héritage, est de plus en plus morcelée. Désormais, un agriculteur est en moyenne face à 14 propriétaires différents ! Cet émiettement de la propriété pose et va poser de plus en plus de problèmes lors de la transmission des fermes. Surtout, la concurrence croissante pour accéder aux terres, entre différentes générations et types d’agriculteurs ainsi qu’entre usages agricoles et non agricoles (développement résidentiel, loisirs, production d’énergie) introduit une rupture majeure avec la logique patrimoniale qui prévalait dans l’agriculture familiale : la terre devient un capital à valoriser, le cas échéant au détriment de la fertilité des sols, du maintien de la ferme ou même de l’activité agricole.
Pourtant, certains propriétaires se mobilisent pour orienter l’usage de leurs terres, favoriser une installation ou soutenir des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement. Dans ce contexte, il est également important de comprendre les différences régionales dans la structure de la propriété et les pratiques relatives aux transferts de terres, par vente, héritage ou location.
Des sociétés agricoles
L’étude commanditée par Terre de Liens permet enfin de mettre en lumière l’arrivée récente des sociétés agricoles parmi les propriétaires de terres agricoles (chapitre 3). Elles acquièrent des terres agricoles, tant sur le marché foncier que de manière moins transparente en achetant des parts d’autres sociétés agricoles (qui sont elles-mêmes propriétaires ou locataires de terres), un marché parallèle dont la régulation peine à se mettre en place pour limiter la spéculation et la concentration foncière. Ces fermes, dont une partie permettent l’entrée à leur capital à des investisseurs qui n’ont aucun lien avec l’activité agricole, reposent sur un modèle économique qui impose de dégager un profit financier pour leurs investisseurs. Quitte à s’éloigner des enjeux de production alimentaire, d’équilibre des territoires ou de protection de la biodiversité et à susciter une déstructuration profonde du secteur agricole.
Comment, dès lors, inciter les propriétaires à conserver un usage agricole durable de leurs terres, plutôt que de chercher une rente foncière plus élevée ? Comment les inciter à choisir l’installation de nouveaux agriculteurs, plutôt que de louer ou vendre à des fermes déjà établies, accélérant la concentration des terres et la disparition des fermes ? De nouvelles pratiques, mises en oeuvre par des propriétaires privés, des organisations citoyennes et des collectivités locales, peuvent ouvrir la voie. Il est temps également que ces pratiques soient favorisées et renforcées par les politiques publiques et qu’un cadre législatif national ambitieux soit adopté pour impulser des changements profonds et adapter nos réglementations aux enjeux actuels.
Les recommandations de Terre de Liens
La première recommandation à l’issue du rapport est d’assurer la transparence sur la propriété et l’usage des terres agricoles en créant un Observatoire des terres agricoles qui garantirait l’accès aux données pour la recherche, les organismes en charge de la régulation foncière, les partenaires locaux impliqués et les ONG. Cela permettrait de caractériser précisément la structure de la propriété et l’usage des terres agricoles en France et de mesurer les évolutions en cours.
La seconde est d’inciter les propriétaires fonciers à maintenir la vocation agricole de leurs terres en supprimant les plus-values foncières réalisées en cas de changement d’usage, et en sanctionnant le non-respect des décisions prises par les instances de régulation, Safer pour les ventes de terres et commission départementale d’orientation agricole (CDOA) pour les autorisations d’exploiter.
La troisième est de renforcer la régulation des transferts de parts sociales (comme voulait le faire la loi Sempastous). Il est nécessaire d’aligner le seuil de déclenchement du contrôle des transferts de parts sociales sur le seuil d’agrandissement excessif défini dans les schémas directeurs régionaux des exploitations agricoles (SDREA) ; de soumettre l’ensemble des cessions de parts de société contrôlant des terres à autorisation administrative ; d’abroger la mesure prévoyant de donner l’autorisation de cession à défaut de réponse de l’administration ; de s’assurer que les mesures compensatoires ramènent les surfaces en dessous du seuil d’agrandissement excessif ; d’améliorer la transparence en permettant aux Safer d’identifier les bénéficiaires effectifs de sociétés et les surfaces agricoles qu’ils contrôlent.
La quatrième est de développer une gouvernance démocratique et transparente des terres agricoles en fixant un cadre commun aux SDREA pour définir des critères objectifs d’orientation des terres agricoles répondant aux enjeux sociaux, économiques et environnementaux de l’agriculture et de l’alimentation, tels qu’inscrits dans le Code rural (art.1) et qui s’appliquent aux différents marchés d’accès à la terre. Il est important d’harmoniser la régulation foncière en articulant les instances de régulation (Safer et CDOA), en soumettant à autorisation administrative tous les projets de location, de vente de terres agricoles et de vente de parts de société disposant de droits d’usage de terres agricoles. Enfin, il est nécessaire de garantir la participation effective aux instances de régulation des représentants des syndicats agricoles, des élus du territoire et des organisations citoyennes et environnementales, sous le contrôle du représentant de l’État, ainsi que la transparence des débats et décisions vis-à-vis du grand public.
Terre de Liens est un mouvement citoyen qui combine un réseau associatif actif dans toute la France (la Fédération du même nom), une entreprise d’investissement solidaire (la Foncière) et une Fondation reconnue d’utilité publique. Il agit pour faciliter des portages fonciers non lucratifs et favoriser une agriculture plus durable. Le mouvement détient aujourd’hui plus de 330 fermes, sur environ 10 000 hectares. Il mène aussi une réflexion sur les leviers qui pourraient amener tous les propriétaires de terres agricoles à privilégier les transmissions.
RÉCOLTE, un projet de sciences participatives avec Terre de Liens
RÉCOLTE est un partenariat entre Terre de liens et l’UMR Innovation de INRAE (Montpellier), où des géographes et sociologues s’intéressent depuis de nombreuses années aux enjeux entourant le foncier et le bâti agricoles.
C’est aussi un projet de sciences participatives, ouvert à tout acteur socio-économique, visant le transfert d’initiatives innovantes et la structuration d’un réseau d’acteurs français autour de la gestion durable du foncier agricole.
La plateforme internet RÉCOLTE permet de diffuser et de consulter des fiches portant sur des expériences de projets fonciers agricoles menés à l’initiative ou avec le soutien des collectivités territoriales. Les fiches décrivent des actions foncières innovantes, les analysent (étapes clés, leviers, freins, perspectives), et donnent des liens pour aller plus loin. Elles offrent un panel diversifié de « possibles » pour préserver les terres agricoles et installer des agriculteurs.
Objectifs :
• Etudier et faire connaître le « panel des possibles » pour agir sur le foncier agricole
• Valoriser les projets des collectivités et encourager l’action foncière agricole
• Favoriser l’échange et le partage d’expériences entre acteurs
Pour consulter les fiches, proposer une nouvelle initiative foncière, c’est ici
RÉCOLTE veut favoriser l’échange et le partage d’expériences entre acteurs différents : citoyens, chercheurs, agriculteurs et porteurs de projets, élus et techniciens des collectivités, services de l’État, bureaux d’étude, organisations professionnelles, organismes nationaux à vocation agricole (ONVAR)… Pour construire cette communauté d’acteurs en réseau, RÉCOLTE propose des formations, des séminaires thématiques, des rencontres. Le 2e séminaire, intitulé « De la terre au projet de territoire, la transversalité de l’action foncière agricole » a rassemblé plus de 700 praticien.nes du foncier agricole le 27 janvier 2022 (interventions à revoir ici).