Quel heurt est-il ? Crise

Published on 7 avril 2023 |

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Crise de la bio : arrêt sur l’image

Par Lucie Gillot – © Nicolas DUPREY/CD 78

« Bio méprisée, bio enterrée ». Le 28 février dernier, au Salon international de l’agriculture, les acteurs de l’agriculture biologique n’ont caché ni leur amertume ni leur colère, en ceinturant d’une bâche noire le stand de l’Agence Bio : telle un linceul, celle-ci vient symboliser le sort funèbre de toute une filière.

Après plusieurs années passées en haut du panier, la consommation de produits issus de l’agriculture biologique (AB) connaît un brutal coup d’arrêt, se heurtant à la crise inflationniste, aux doutes et arbitrages économiques des consommateurs, ainsi qu’à un manque de soutien des pouvoirs publics. Une situation qui tranche avec les objectifs de développement fixés par le gouvernement, la France s’étant engagée à atteindre 18 % de sa Surface Agricole Utile (SAU) en bio d’ici 2027. Dans ce contexte, comment maintenir le cap ? Points de vue d’acteurs.

« Nous sommes passés de + 15 % par an jusqu’en 2020 à – 15 % »

Le président de Biocoop, Pierrick De Ronne, l’avoue très volontiers : personne n’avait envisagé que la consommation des produits bios connaîtrait un « retournement aussi brutal ». Bien sûr, exception faite de la crise du Covid-19, le taux de croissance commençait à ralentir depuis 2018, indiquant un tassement de la demande. Mais rien ne laissait imaginer un tel renversement : « Nous sommes passés de + 15 % par an jusqu’en 2020 à – 15 % » dorénavant. À l’origine de cette crise, la conjonction de deux événements, totalement indépendants l’un de l’autre.

Citons en premier lieu le contexte inflationniste : l’envolée des prix de l’alimentation, couplée à celle de l’énergie, a contraint les ménages à opérer des arbitrages économiques, soit en réduisant leur volume d’achats soit en privilégiant les produits les moins chers1. Avec un surcoût estimé à 30 % environ, la bio est restée plus fréquemment sur les gondoles, notamment celles des grandes et moyennes surfaces, lesquelles ont réagi en déréférençant ces produits, ce qui a accentué le phénomène.

« À court terme, le risque tient en un mot : déconversion »

Pour toute la filière, c’est la douche froide. Car ce décrochage entre offre et demande revêt des conséquences économiques immédiates sur les prix d’achat au producteur et la destination des surplus. Bien souvent ceux-ci sont déclassés, comprenez réorientés vers les marchés conventionnels et vendus sans la marque AB.

À court terme, le risque tient en un mot : déconversion2, c’est-à-dire le départ des producteurs du circuit de l’agriculture biologique (AB) et leur retour en conventionnel. En hausse, ces déconversions inquiètent d’autant plus que la France s’est engagée, comme bien d’autres nations européennes, à accroître ses surfaces agricoles en bio (Lire « La bio, où en sommes-nous en Europe ? »).

Promesses déçues

Mais, les acteurs du bio le savent, l’inflation n’est pas le seul facteur à l’œuvre. Le label pâtit également d’un problème d’image. Portée jusqu’alors par une aspiration à manger plus sain et une montée des préoccupations environnementales3, la consommation des produits issus de l’agriculture biologique s’est vue concurrencée par une multitude d’autres logos – signes de qualité, certifications voire simples allégations s’affranchissant de cahiers des charges pointilleux.

Qu’ils aient pour finalité la santé, l’environnement, la qualité, l’origine des produits ou qu’ils s’inscrivent dans une logique de proximité, ceux-ci sont venus brouiller l’image du bio qui n’est désormais plus perçu comme le seul et unique logo paré de toutes les vertus. D’autres produits, tout particulièrement ceux issus des circuits courts et de proximité sont ainsi de plus en plus plébiscités.

Pour le député Dominique Potier, on peut certes blâmer cette concurrence mais il faut reconnaître que les arbitrages opérés par les consommateurs témoignent pour partie d’une « déception à l’égard des promesses du bio ». Au risque de déplaire, celui qui fut également agriculteur en bio rappelle qu’il existe aussi « une bio non équitable, qui ne respecte pas le travail digne et présente un bilan carbone négatif ».

« La production sous serre de légumes labellisés AB a été autorisée pour résister à la concurrence féroce des pays de la péninsule ibérique »

Un exemple ? Peut-être vous souvenez-vous des vifs débats, en 2019, sur le chauffage des serres pour la production de fruits et légumes bios en contre-saison, typiquement des tomates, qui avaient opposé d’un côté les promoteurs de la démarche qui y voyaient un moyen de déjouer la concurrence étrangère et, de l’autre, les acteurs plus historiques de la bio qui dénonçaient une aberration agronomique et écologique.

Son issue ? « La production sous serre de légumes labellisés AB a été autorisée [NDLR sous certaines conditions4] pour résister à la concurrence féroce des pays de la péninsule ibérique qui, eux, produisent dans des conditions sociales effarantes », résume l’élu, qui y était opposé. N’empêche, en dépit des ajustements trouvés, « nous avons perdu sur le fond. Et cette défaite dit le système concurrentiel auquel la bio est confrontée à l’échelle mondiale ». Dans ce cadre, il plaide pour que le label AB intègre ces aspects sociaux et environnementaux (Lire « Vers un label remodelé »).

La bio, trop conventionnelle ?

Loin d’être anecdotique, cet exemple des serres chauffées résume à lui seul une difficulté à laquelle l’image de l’agriculture biologique se trouve aujourd’hui durement confrontée : sa « conventionnalisation ». Formulé depuis plus d’une dizaine d’années déjà, le terme désigne le mouvement par lequel l’agriculture biologique emprunterait le même chemin que l’agriculture dite conventionnelle, celui d’une intensification des modes de production, d’une concentration des moyens de production et d’une distanciation avec les consommateurs5.

Un paradoxe pour un mode d’agriculture qui s’est, à l’origine, construit comme une alternative au modèle dominant (lire « Une très courte histoire de la bio »). Sociologue à l’institut Agro Montpellier, Ronan Le Velly rappelle par exemple que « la question des modes de certification et de commercialisation a toujours fait débat, certains acteurs critiquant le cahier des charges et la certification par tierce partie du label AB et privilégiant la vente en circuits courts. Dans ce contexte, le positionnement récent d’opérateurs tels que Carrefour, Leclerc ou encore d’entreprises agroalimentaires comme McCain et Bonduelle en bio, a ravivé ces débats. Il en va de même pour l’arrivée d’agriculteurs nouvellement convertis, issus du système conventionnel et qui en conservent certaines caractéristiques : exploitations plus grandes, organisées en rendement d’échelle, avec des systèmes plus spécialisés ».

« La question des modes de certification et de commercialisation a toujours fait débat »

Il en résulte un décalage entre « l’idéal projeté dans la bio et ce que les gens découvrent » qui induit« une baisse de confiance dans le label », résume Pierrick de Ronne. Signe tangible de cette érosion, le dernier baromètre de l’Agence Bio, qui a en charge le développement, la promotion et la structuration de l’agriculture biologique française, conclut à une « montée de la défiance à l’égard des produits bios ».

À titre d’exemple, parmi les raisons motivant la non-consommation de produits biologiques, 57 % des sondés ont « des doutes »sur le fait que ces produits le soient« totalement ». Voilà qui a de quoi surprendre quand on sait que l’obtention de ce logo est soumis à une réglementation très stricte6.

Les pots cassés d’une conversion au pas de course ?

« Les débats autour de la conventionnalisation constituent probablement la toile de fond du recul de la consommation actuelle », abonde Servane Penvern, cheffe de projet du programme de recherche pluridisciplinaire Metabio7, initié en 2019 par Inrae et qui étudie – justement – les conséquences et les conditions d’un changement d’échelle de l’agriculture biologique en France. Alors que les précédents programmes visaient à identifier « les verrous au développement de la bio ou à en accroître les performances », Metabio a fait le choix de poser comme hypothèse une « transformation radicale de l’agriculture »au sein de laquelle l’agriculture biologique serait le mode de production majoritaire.

Il faut dire que, en 2019, au moment de la genèse de ces travaux de recherche, « la bio était en pleine croissance, ce qui générait beaucoup de questionnements sur l’avenir de ce développement et les directions que celui-ci allait prendre », se souvient Servane Penvern. Bien que Metabio soit toujours en cours, quelques éléments peuvent dès à présent nous éclairer.

« La bio a toujours été rangée du côté de l’agroécologie mais, aujourd’hui, l’agroécologie c’est tout »

Primo, la bio tire tout le monde vers le haut. À mesure que celle-ci se développe, les pratiques conventionnelles tendent elles aussi à s’agroécologiser. Un effet positif pour l’ensemble de l’agriculture mais qui, d’une certaine manière, tend à mettre la bio au même niveau que les autres méthodes. « La bio a toujours été rangée du côté de l’agroécologie mais, aujourd’hui, l’agroécologie c’est tout. […] En faisant la promotion des pratiques agroécologiques sans les caractériser, les politiques publiques ont apporté de la confusion et sous-valorisé l’intérêt de l’agriculture biologique ».

Lire aussi : “Au-delà du bio, quelles voies pour l’agroécologie en France ?”

Deuxio, il faut à la fois « procéder à la massification de l’agriculture biologique sans perdre sa capacité d’innovation ». Délicate équation, qui nécessite un accompagnement dans le temps long, bien au-delà de l’étape de conversion qui dure trois ans. « On ne peut pas attendre de l’agriculteur qui vient de se convertir qu’il ait également réussi à intégrer tous les principes de la bio – diversification des cultures, bouclage des cycles pour ne plus recourir aux engrais chimiques, relocalisation de l’approvisionnement et des circuits de vente, le tout dans un ensemble cohérent. »

Dès lors, la question du manque de temps constitue un véritable enjeu des réflexions actuelles sur le développement de ce type d’agriculture. « Si l’on s’en tient strictement au processus de conversion des exploitations, on peut très bien avoir une bio très majoritaire dès 2030. En revanche, si l’on vise une bio multiperformante, la question est tout autre car cela implique des enjeux en termes de transmission de savoir-faire, d’innovation, de révision de conception des systèmes dans leur ensemble. Or cette question de la temporalité est rarement prise en compte ». Pour Servane Penvern, sans doute payons-nous les pots cassés d’un changement d’échelle trop rapide, qui a mis l’accent sur la conversion au détriment d’un réel changement des pratiques.

Les consos ont bon dos

Pour tenter de raccrocher les wagons entre l’offre et la demande, l’équipe de France du bio, un consortium regroupant notamment l’Agence Bio et plusieurs interprofessions, a lancé en 2022 la campagne #Bioréflexe, dont l’un des enjeux vise justement à mieux faire connaître les atouts du bio et, ainsi, « inciter les Français à transformer leurs habitudes de consommation , en 2019,[…] et participer à la transition agroécologique ». Aux consos donc, les clés de l’avenir de la bio ?

Prudence, tempère Pierrick de Ronne. Si cet amoureux de la bio rend grâce aux consommateurs militants de la première heure qui ont porté son essor, il alerte néanmoins sur les limites d’une approche trop centrée sur la communication, assez « court-termiste » et qui vient masquer un défaut de planification. « Il en va du bio comme de l’écologie : on explique aux gens qu’ils doivent baisser leur chauffage ou porter un col roulé mais il n’y a pas de démarche de planification et de vision à moyen terme. Si on prétend atteindre les objectifs fixés par les politiques eux-mêmes, on est loin de disposer des moyens nécessaires. » Conclusion : « On ne peut pas laisser le consommateur tirer seul la consommation du bio, c’est une évidence. »

Pour le président de Biocoop, c’est plutôt le levier de la fiscalité qu’il faut activer pour que soient pris en compte « les coûts évités et les services rendus » par l’agriculture biologique, par exemple en matière de préservation de la biodiversité ou de la qualité des milieux aquatiques.

« Le seul indicateur c’est le marché, comme si la santé du sol et des hommes relevait de cette seule dynamique »

« Est-ce que la bio doit être financée uniquement par l’achat ? Non », tranche également Dominique Potier, depuis son bureau de l’Assemblée nationale. Lui aussi déplore le fait que les services environnementaux rendus par la bio soient si peu rémunérés au regard de leurs bénéfices. Ce serait pourtant « un excellent investissement pour la dépense publique ; il est toujours plus pertinent d’investir dans la prévention que dans la réparation ».

Sur ce point, et c’est là un des ferments de la colère des agriculteurs bios, les politiques actuelles ne s’orientent guère dans le bon sens. Point de cristallisation de l’ire de la profession, la dernière réforme de la PAC qui a entériné la suppression des aides au maintien8, estimant le marché suffisamment porteur pour assurer la rémunération et la croissance de la filière.

Problème, cette décision survient au moment même où le marché change radicalement de tempo. « C’est extrêmement déstabilisant » et à contre-courant des objectifs fixés – 18 % de la SAU en bio d’ici 2027. Cela conduit en outre à considérer que « le seul indicateur c’est le marché, comme si la santé du sol et des hommes relevait de cette seule dynamique », alerte Dominique Potier. Pour Servane Penvern, « l’arrêt des aides au maintien illustre parfaitement » ce constat d’un changement d’échelle rapide, les aides se limitant à l’étape de conversion et non plus au changement de pratiques à plus long terme.

Changeons de logique

Le manque de soutien politique, Pierrick de Ronne le déplore tout autant. Il s’inquiète de l’image que les acteurs publics ont de ce secteur : « Dans l’esprit de nos politiques, c’est un segment de marché réservé aux riches et je pense que c’est une réelle erreur d’appréciation politique ».

Pour Ronan Le Velly, tout ceci pose également la question de l’effet de tous ces discours. Dans un entretien publié sur le blog de la revue Sesame9, il alerte ainsi sur leurs effets auto-réalisateurs : « Les débats actuels sur la stagnation de la consommation bio sont loin d’être neutres. Bien au contraire, ils sont hautement performatifs car ils vont façonner la trajectoire future de l’agriculture biologique. S’ils imposent l’idée que la bio est trop chère, qu’elle ne touche qu’une frange restreinte de la population, les acteurs de la transformation et de la distribution ne vont guère développer ce segment. »

« Le cahier des charges AB a un minimum d’engagements qui font que la bio sera toujours plus chère que le conventionnel »

La filière bio, autant que ses défenseurs, en ont parfaitement conscience, raison pour laquelle de nombreuses réflexions s’engagent sur cette question d’un « juste » prix. Reste que « le cahier des charges AB a un minimum d’engagements qui font que la bio sera toujours plus chère que le conventionnel », insiste Pierrick De Ronne. Alors, bien sûr, « on peut faire du biodiscount, plus industrialisé, avec une main-d’œuvre exploitée, celle-là même qui perturbe notre image et nous pénalise aujourd’hui, ou maintenir une bio avec des engagements forts et une logique de prix juste ».

Sur ce point, dit-il, Biocoop ne transigera pas avec ses engagements initiaux. Bien que la question du prix du bio ne soit pas nouvelle, tant s’en faut, elle cristallise aujourd’hui tous les débats, faisant presque oublier l’enjeu principal assigné au développement de l’agriculture biologique : « réussir la transition agroenvironnementale10 ».

Pour sortir de l’impasse, plusieurs acteurs proposent d’inverser le regard, en agissant non plus sur les prix mais sur les revenus disponibles pour accéder à ce type de produits, en subventionnant par exemple les achats. Une réflexion qui fait son chemin et dont il faudra suivre la mise en œuvre.

Vers un label remodelé

Et si la bio allait encore plus loin que son cahier des charges actuel ? Voilà déjà plusieurs années que le député Dominique Potier le défend : la marque AB, propriété du ministère de l’Agriculture, doit s’enrichir de deux nouvelles dimensions que sont le bilan carbone et la dimension sociale. « Intégrer le bilan carbone permettrait d’éliminer les modes de production écologiquement aberrants », comme ceux dépendant de transports très longues distances d’intrants organiques ou encore les fameuses serres chauffées.

Quant à la question des conditions de travail, le député s’inquiète notamment de celles ayant cours dans les vastes exploitations spécialisées, telles qu’elles existent en Andalousie, où des saisonniers agricoles – généralement des travailleurs migrants – s’activent dans des serres surdimensionnées11. C’est à la lumière de ces évolutions qu’il défend un enrichissement du label AB français.

« Intégrer le bilan carbone permettrait d’éliminer les modes de production écologiquement aberrants »

À ses yeux, le contexte est tout à fait propice à une telle perspective, puisque l’Union européenne a adopté, en décembre dernier, une nouvelle directive sur les règles relatives à l’information sociale et environnementale des entreprises – la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), dont l’entrée en vigueur est programmée pour le 1er janvier 2024. « Nous disposerons donc d’un cadre législatif et de repères communs pour qualifier les entreprises et les produits sur des critères nouveaux. […] La bio doit ainsi afficher son choix d’être dans un modèle économique et social global, qui correspond profondément aux aspirations des consommateurs. C’est une opportunité à saisir qui, en outre, ne nuit pas au label européen. »

Par ailleurs, cela permettrait peut-être d’éviter le développement de deux types d’agriculture biologique, l’une orientée vers une logique de prix bas, l’autre engagée sur ces aspects environnementaux et équitables.

Une très courte histoire de la bio

En 2015, la revue « Pour » publie un long dossier intitulé « La bio à la croisée des chemins » (n°227). Dans l’une des nombreuses contributions, le sociologue Benoît Leroux retrace la genèse de l’agriculture biologique. Dès les années cinquante et soixante, des associations mêlant agriculteurs et consommateurs se structurent, avec pour point commun « la dénonciation des pratiques agrochimiques et industrielles auxquelles elles proposent de substituer des pratiques alternatives ». Au fil des ans, deux courants émergent : Lemaire-Boucher en 1953 et Nature & Progrès en 1964.

Fait notable, bien qu’issus d’un même mouvement, ces deux courants reposent sur des idéologies différentes, le premier ayant plutôt des références « conservatrices », avec un ancrage religieux, tandis que le second, plus « sensible aux mouvements anticapitalistes et anticentralisateurs des années 70 », se veut rationnel. Ce sont les consommateurs adhérents ou proches de Nature & Progrès qui vont organiser les premiers groupements d’achat. Ceux-ci se fédèreront, plus tard, au sein d’une structure nommée Biocoop.

« Ces coopératives sont alors animées par le militantisme de leurs membres, surtout à leur début, et par des valeurs éthiques qui les conduisent à rémunérer au juste prix les producteurs, en favorisant les produits frais, locaux et de saison. » En 1981, la loi d’orientation agricole reconnaît « sans la nommer » l’existence d’une agriculture qui ne recourt pas aux engrais chimiques. Ce n’est qu’en 1988 que l’agriculture biologique est officiellement consacrée et que la marque AB, propriété de l’Etat français, est créée. Suivra en 2010 son homologue européen l’Eurofeuille.

La bio : où en sommes-nous en Europe ?

Selon les dernières données publiées par l’Agence Bio, organisme de référence en la matière, 10,3 % des Surfaces Agricoles Utiles (SAU) sont conduites en agriculture biologique en France, contre 8,1 % à l’échelle communautaire. Dans le détail, de très fortes disparités sont observées d’un État membre à l’autre : l’Autriche fait figure de premier de cordée avec 26 % de SAU, tandis que l’Italie est à plus de 16 % et l’Espagne et l’Allemagne à 10% chacune. Si l’on regarde par contre le nombre d’hectares, ce sont l’Espagne, la France, l’Italie et l’Allemagne qui occupent le podium. « Ces quatre pays (…) représentaient 56 % des surfaces cultivées en bio dans l’UE en 2019. »

Du côté du marché, la situation est tout aussi disparate. « Dans un certain nombre de pays, comme la France et l’Allemagne, le marché bio a commencé à se développer avec la distribution spécialisée. Dans d’autres pays, comme le Danemark, le Royaume-Uni et l’Autriche, la grande distribution a été le principal moteur du développement du marché bio. » Des contextes de développement diffèrent donc d’un État à l’autre, la croissance du bio étant portée tantôt par une diversité d’acteurs, typiquement la France, l’Allemagne ou l’Espagne, tantôt par la grande distribution, comme en Autriche, au Danemark ou au Portugal.

« La consommation a quadruplé dans l’UE, entre 2004 et 2019 »

Dernier élément d’importance, la consommation. Après avoir crû très fortement – « la consommation a quadruplé dans l’UE, entre 2004 et 2019 » –, celle-ci connaît un fort ralentissement dans plusieurs pays. Par exemple, en Italie, la « consommation en produits bio a chuté de 8 % entre 2021 et 2022 », indique Paolo Bruni, président de CSO Italy, une organisation professionnelle, tout en précisant qu’elle avait, sur la même période, « baissé de 14 % pour les produits conventionnels ». En Allemagne, le marché s’est lui aussi contracté, dans des proportions cependant moindres : « Les ventes de produits biologiques en 2022 ayant reculé de 3,5 % par rapport à 2021 ».

Cela n’a toutefois pas refroidi les ambitions de nos voisins outre-Rhin qui viennent de revoir leurs engagements à la hausse, visant 30 % de terres arables en bio en 203012. À propos de ces grandes tendances, le député européen Paolo di Castro invite à distinguer la situation de l’Europe du Nord de celle du Sud, « les revenus européens n’ayant pas évolué de la même manière » d’un pays à l’autre. Sans compter que les motivations des uns et des autres diffèrent : les consommateurs français sont plutôt sensibles à la dimension santé, tandis que nos voisins allemands privilégient l’environnement.

Sources :

L’agriculture bio dans l’Union européenne, Agence Bio, édition 2021 : https://www.agencebio.org/wp-content/uploads/2022/01/Carnet_UE-_2021.pdf.

– « Les opportunités et difficultés du marché du bio : l’avis des principaux acteurs », webinaire 11-01-2023.

– Rapport 2023 du BOLW, Fédération allemande de l’agriculture biologique.

LIRE AUSSI :


  1. Si, globalement, la consommation alimentaire accuse une baisse de 4,6 % sur l’année 2022, ce chiffre atteint 6,3 % pour les produits bios, selon la Fédération nationale de l’agriculture biologique.
  2. Les déconversions sont estimées sur la base du nombre d’arrêts de l’activité, un arrêt pouvant résulter d’une liquidation, d’un départ à la retraite ou d’une sortie de l’AB. Entre 2021 et 2022, le nombre d’arrêts a progressé, passant de 2,9 à 3,7 % (Le Monde, 20-08-2022). À noter que, selon Agrapresse, certaines coopératives – Le Gouessant, Lactalis, Cavac ou Bodin Volailles – « ont toutes encouragé leurs producteurs bios à se déconvertir depuis 2021 [pour] réduire les volumes et redresser les marchés », n° 3870, page 12.
  3. Voir l’entretien avec Pascale Hébel : https://revue-sesame-inrae.fr/alimentation-le-sacre-du-sain-et-du-sans/
  4. Son encadrement est néanmoins plus strict que prévu initialement. Voir notamment cet article de Libération qui résume assez bien toutes les réflexions : https://www.liberation.fr/france/2019/07/11/serres-chauffees-en-bio-un-bon-compromis_1739437/?redirected=1
  5. Selon la définition proposée par C. Lamine, N. Egon et Sibylle Bui dans « Maintien des valeurs dans la croissance de la bio. Enseignements du projet HealthyGrowth », dans Innovations Agronomiques, 2016, 51, pp.139-150.
  6. La production bio est encadrée par le règlement européen n° 843/2007 et strictement contrôlée par des organismes certificateurs indépendants : https://www.economie.gouv.fr/particuliers/comprendre-labels-bios#
  7. https://www6.inrae.fr/metabio
  8. Prenant le relais des aides à la conversion, les aides au maintien visaient à rémunérer les services environnementaux rendus par l’AB au motif qu’ils n’étaient pas pris en compte par le marché.
  9. « Les débats sur la stagnation de la consommation bio sont loin d’être neutres »
  10. C’est notamment ce que rappelle la Cour des comptes dans son rapport sur le soutien à l’agriculture biologique https://www.ccomptes.fr/fr/publications/le-soutien-lagriculture-biologique
  11. Sur les conditions de travail des saisonniers agricoles étrangers, au Maroc et en France, lire les articles publiés dans ce numéro : « À Chtouka, l’effet de serf » et « Saisonniers agricoles étrangers : les nouveaux damnés de la terre ».
  12. « Le gouvernement allemand fait un premier pas vers une agriculture plus biologique », dans Euractiv, 22 février 2023.

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3 Responses to Crise de la bio : arrêt sur l’image

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  3. Claude Aubert says:

    J’ai lu avec intérêt votre article. Je le trouve très bien et partage l’essentiel de son contenu. J’aimerais compléter par quelques réflexions sur les causes de la crise actuelle. L’inflation et les labels concurrents y contribuent, mais je pense que l’essentiel, en tous cas à long terme, est la perte de confiance d’une partie croissante des consommateurs. il importe d’en déterminer les causes, qui sont multiples.
    1) Le « bio bashing » ambiant. On n’a jamais vu et lu autant de contrevérités sur le bio, et cette accumulation finit par convaincre une partie des consommateurs. L’exemple vient d’en haut, puisqu’on peut lire sur le site de l’Académie d’agriculture, dans un texte intitulé « Questions sur l’agriculture biologique », ceci : « Les aliments bio ne présentent en général pas d’avantages, ni pour la nutrition ni pour la santé » et aussi « pour l’environnement, les conclusions sont plus mitigées, mais il apparait que souvent le conventionnel fait aussi bien, ou mieux, que le bio ». Certes peu de gens s’informent directement à cette source, mais les mêmes éléments de langage sont repris par des médias grand public. Pourquoi alors payer plus cher des aliments sans avantages pour la santé et l’environnement ?
    2) Le manque de réactivité des organisations bio face à ces contrevérités, faute sans doute de prendre le temps de réagir et de s’informer auprès des nombreuses sources scientifiques qui rétablissent la vérité.
    3) La tendance à l’industrialisation d’une partie de l’agriculture biologique, qui brouille son image,
    4) Les insuffisances des cahiers des charges bio, qui parlent de biodiversité et de fertilité du sol d’une manière très générale mais sans exigences précises,
    5) L’ absence, dans les cahiers des charges, de règles en matière sociale, ce qui conduit à des aberrations comme celles des cultures bio sous serre en Andalousie.
    Certes, convaincre les consommateurs que manger bio est important pour leur santé et pour l’environnement n’est qu’une partie de la solution. Le rôle des pouvoirs publics reste essentiel. Mais qui les informe, par exemple, que le coût des externalités négatives de l’agriculture intensive à base de pesticides et d’engrais azotés de synthèse (dépollution, coût sanitaire, perte de biodiversité, contribution plus élevée au réchauffement climatique, appauvrissement de sols en matière organique) est supérieur au surcoût des aliments bio, avec le constat que le coût des externalités est pris en charge par la collectivité, donc par nos impôts, et le surcoût des produits bio par ceux qui les consomment.

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