Quel heurt est-il ? bio

Published on 7 avril 2023 |

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« Les débats sur la stagnation de la consommation bio sont loin d’être neutres »

Par Lucie Gillot.

Première grande crise d’une filière qui a longtemps affiché des taux de croissance à deux chiffres, la consommation de produits issus de l’agriculture biologique marque sérieusement le pas depuis quelques mois. Au-delà des facteurs expliquant ce recul, il convient de s’interroger sur ce que produit l’avalanche de discours autour de cette crise du bio. Un pas de côté opéré par Ronan Le Velly, professeur de sociologie à l’Institut Agro Montpellier, en marge du dossier qu’y consacre Sesame 13.

Qu’est-ce qu’un système alimentaire alternatif ? En existe-t-il une définition partagée ?

Historiquement, le terme désigne des initiatives diverses telles que l’agriculture biologique, les circuits courts, le commerce équitable ou encore les indications géographiques protégées, toutes ayant pour trait commun de s’opposer à certaines caractéristiques du système alimentaire conventionnel. Bien que très pratique, ce qualificatif « d’alternatif » a rapidement posé question y compris auprès des chercheurs qui l’ont eux-mêmes promu, tout simplement parce qu’il est difficile de fixer une limite stricte entre conventionnel et alternatif. Tout n’est pas noir ou blanc, certains éléments pouvant être communs aux deux, à l’instar de la commercialisation en grande distribution.

Aussi, plutôt que de dire que les systèmes alimentaires alternatifs sont des systèmes qui fonctionnent différemment, il me semble plus juste de dire qu’ils ambitionnent de le faire. Et d’étudier, dans cette perspective, la promesse de différence qu’ils portent. Toute une série d’acteurs cherchent à organiser autrement la production et la consommation alimentaire. Regardons donc comment ils s’y prennent et s’ils y parviennent. Dans le cas de la bio, cela conduit à regarder la taille et le type d’exploitation, l’organisation des filières, les réseaux de distribution choisis… Pour un même label et cahier des charges, les réalités sont diverses. Une caractéristique dont les acteurs du bio ont d’ailleurs pleinement conscience.

Pouvez-vous être plus précis ?

Il faut rappeler qu’historiquement, avant même l’arrivée du bio en grandes surfaces, la question des modes de certification et de commercialisation a toujours fait débat, certains acteurs critiquant le cahier des charges et la certification par tierce partie du label AB et privilégiant la vente en circuits courts. Dans ce contexte, le positionnement récent d’opérateurs tels que Carrefour, Leclerc ou encore d’entreprises agroalimentaires comme McCain et Bonduelle en bio, a ravivé ces débats. Il en est de même pour l’arrivée d’agriculteurs nouvellement convertis issus du système conventionnel, qui en conservent certaines caractéristiques : exploitations plus grandes, organisées en rendement d’échelle, avec des systèmes plus spécialisés. À chaque fois surgit la question : va-t-on perdre les valeurs de la bio ?

Vous étudiez cette question des systèmes alternatifs depuis quinze ans. Sur quels leviers ceux-ci se sont-ils développés ? On entend souvent dire que ce sont les consommateurs qui ont porté leur développement. Partagez-vous ce point de vue ?

C’est un peu l’histoire de l’œuf et de la poule : on se demande toujours qui influence qui alors qu’on ne pourra jamais trancher véritablement ce débat. Néanmoins, au vu de mes recherches, qui sont centrées sur le rôle des intermédiaires, je pense que c’est plutôt l’offre qui stimule la demande que l’inverse. Qu’est-ce que cela veut dire ? Que la distribution alimentaire – notamment la grande distribution – a une influence très forte, à travers l’offre qu’elle propose, sur la consommation. Évidemment, si la grande distribution croit au bio ou à une autre démarche, c’est qu’elle dispose de signaux qui le lui indiquent. Les deux sont liés, pour le meilleur comme pour le pire d’ailleurs.

On le voit actuellement : la grande distribution a fait le ménage dans son offre bio, ce qui a contribué au recul de la consommation. La représentation que les acteurs de l’offre et de la demande ont du consommateur constitue dès lors une question centrale. De ce point de vue-là, les débats actuels sur la stagnation de la consommation bio sont loin d’être neutres. Bien au contraire, ils sont hautement performatifs car ils vont façonner la trajectoire future de l’agriculture biologique. S’ils imposent l’idée que la bio est trop chère, qu’elle ne touche qu’une frange restreinte de la population, les acteurs de la transformation et de la distribution ne vont guère développer ce segment.

“La lecture que l’on fait du marché a, elle aussi, des effets performatifs sur ce que doit être une politique publique”

Pour revenir à ce duo offre-demande, il faut envisager les choses de façon symétrique. Le développement de la bio a également été tiré par le fait que les acteurs de la transformation et de la distribution alimentaire sont allés démarcher des coopératives agricoles initialement frileuses pour les inciter à se positionner sur le bio. Fortes des débouchés et des prix rémunérateurs, elles ont fini par y aller. S’y ajoute également le volet politiques publiques, avec les aides à la conversion et, jusqu’à une période récente, au maintien. À cet égard, la lecture que l’on fait du marché a, elle aussi, des effets performatifs sur ce que doit être une politique publique.

Si les aides au maintien ont été supprimées, c’est bien parce qu’on a considéré que le marché « tirait » suffisamment les producteurs. En d’autres termes, tous ces discours sur l’état de l’économie, le marché, les désirs des consommateurs sont décisifs, tant pour les politiques de distribution que pour les politiques publiques.

Dans le contexte actuel, émerge tout un questionnement autour de la nécessité d’ajuster offre et demande alimentaires. Est-ce faisable et, le cas échéant, à quelles conditions ?

Les intermédiaires des filières agroalimentaires, y compris les coopératives, ont une capacité d’organisation et d’inflexion très forte, c’est ma conviction. Ils peuvent aussi bien imposer des modes de production aux agriculteurs – qu’ils soient écologisés ou industriels – que peser dans les pratiques de consommation, par les gammes de produits proposés. Prenons le cas des légumineuses, dont on tente actuellement de relancer la consommation. L’un des axes choisis, c’est le développement de préparations comme les steaks végétaux, afin de stimuler de nouveaux modes de consommation. En pratique, cet effort de médiation entre offres et demande, qui relie ces deux entités mais les formate également, renvoie à un travail de planification de la production, en quantités et en qualités.

Reste que cela doit se faire de façon la plus concertée possible. Car il est possible de s’entendre aussi bien sur une bio à bas prix qu’une bio plus exigeante et rémunératrice, sur une bio industrielle et spécialisée comme sur une bio plus diversifiée dans les exploitations et les territoires. Tout cela dépendra de la vision de l’agriculture biologique que les acteurs veulent promouvoir. 

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