Published on 26 février 2019 |
0[CA-SYS] Des essais de couverts d’interculture en semis direct pour réguler les adventices (1)
Par Stéphane Cordeau, INRA, UMR Agroécologie, Dijon
Limiter voire arrêter le travail du sol, utiliser des couverts pour favoriser la régulation biologique des adventices : voilà qui intéresse les agriculteurs et mobilise les chercheurs. Retour sur des visites d’essais de la plateforme CA-SYS1 (unité expérimentale d’Epoisses) menés par Stéphane Cordeau, INRA – UMR Agroécologie Dijon, avec des agriculteurs et conseillers agricoles sur les questions de transition à l’agriculture de conservation2
Au domaine d’Epoisses, nous avons présenté à de nombreuses reprises à des groupes d’agriculteurs cinq systèmes contrastés sur leur usage d’herbicide. Dans ces systèmes conduits depuis 17 ans, l’effet des couverts a été testé et comparé à celui du travail du sol en interculture. D’autre part, un essai3 pluriannuel permet d’analyser l’effet des couverts d’interculture et de quantifier leur effet, particulièrement, sur quatre points majeurs : la flore adventice, l’azote restitué au sol, la flore microbienne du sol et la performance (rendement, qualité) des cultures suivantes de la rotation (orge de printemps et lin d’hiver) conduites en semis direct.
L’effet des couverts sur la flore adventice
Mettre en place un couvert réduit en moyenne de 80% la biomasse des adventices en interculture. Cette compétition est due à la forte biomasse des couverts, mais ceux qui produisent le plus de biomasse ne sont pas forcément composés d’une grande diversité d’espèces semées. D’autre part, l’effet suppressif des couverts sur les adventices dépend du niveau de ressources du sol (eau, azote).
Peu ou pas d’effet est observable sur la flore adventice dans la culture suivante (après le couvert). Il n’est pas démontré que l’usage des couverts, à lui seul, permet de réduire l’utilisation d’herbicide. Néanmoins, sans travail du sol, les couverts sont un levier important pour agir sur la flore adventice, à intégrer dans une gestion à long terme, c’est-à-dire à l’échelle de la rotation.
Sur la flore microbienne du sol
Rouler les couverts pour améliorer leur destruction augmente la quantité d’azote restituée au sol sur le court terme, c’est-à-dire pour la culture suivante (Romdhane et al., sous presse). Or, la diversité microbienne baisse quand la quantité d’azote total du sol augmente, alors que l’abondance microbienne n’est pas affectée. Rouler un couvert augmente les communautés microbiennes dénitrifiantes, celles qui transforment l’azote disponible pour les plantes en N2O, gaz à effet de serre au pouvoir réchauffant 300 fois supérieur à celui du CO2 !
Herbicides : arrêter, mais comment ?
La synthèse4 de quelques essais faite par l’Inra et les instituts techniques Terres Inovia et Arvalis (Métais et al., 2019) montre que l’effet des couverts sur la flore adventice est bien plus visible en situation de non-travail du sol. Comment cela fonctionne-t-il ?
Adventices : les empêcher de lever…
80% des adventices des cultures sont des espèces annuelles qui doivent produire des graines chaque année pour se reproduire et maintenir leur population. Ces graines tombant à la surface du sol, si aucun travail du sol n’est réalisé, par exemple en semis direct, elles germent en surface, où elles sont exposées aux variations environnementales (sec-humide, chaud-froid), et parfois même, à l’ombre d’un couvert.
Nous avons étudié à l’Inra de Dijon (UMR Agroécologie) l’effet du non-enfouissement des graines et des conditions environnementales (humidité, lumière, présence d’un couvert) sur la germination, l’émergence et la croissance de plusieurs espèces adventices annuelles (Cordeau et al., 2015 et 2017). Pour la majorité d’entre elles, le constat est sans appel : laisser les graines en surface diminue de 26% la germination. En présence d’un stress hydrique, elle diminue de 19%, et de 17% en présence d’un couvert.
Et quand ces trois conditions sont réunies, ce qui est souvent le cas en été dans des parcelles en semis direct sous couvert, l’effet négatif sur la germination est amplifié. Ces résultats varient selon les adventices considérées, comme souvent, mais confirment que la germination est une phase cruciale pour les espèces annuelles et qui peut être perturbée par l’arrêt du travail du sol et l’installation d’un couvert.
… puis les concurrencer
Le principe agroécologique mis en œuvre est de réguler les plantes adventices majoritairement par la compétition5 des couverts pour les ressources aériennes (lumière) et souterraines (eau, nutriments)6 même si la prédation et l’allélopathie7 existent.
Nombre de pratiques agricoles permettent de mobiliser la compétition comme outil de régulation des adventices : rotation, choix variétal, couvert d’interculture, couvert permanent, couvert détruit maintenu en mulch mort8, semis sous couvert en relais, etc. Les couverts agissant par compétition pour des ressources limitantes, leur réussite dépend du niveau de ressources (principalement eau et azote) et de leur conduite9 (choix des espèces, densité et date de semis, date et mode de destruction). Il s’agit également de prendre en compte la biologie et l’écologie des espèces adventices présentes pour comprendre comment les réguler au mieux10 (période d’émergence, nitrophilie, type biologique, etc.).
Il est illusoire de penser que les couverts représentent à eux seuls une méthode de substitution au désherbage chimique, mais ils sont un réel levier agroécologique et biologique à insérer dans une réflexion systémique à l’échelle de la rotation.
Des couverts nuisibles aux nuisibles : l’art de mettre le couvert
Il est possible de jouer sur la diversité d’espèces ou de variétés, en les choisissant pour leur capacité à cohabiter, à produire ensemble beaucoup de biomasse et à concurrencer les adventices. Bien que les mélanges soient souvent composés d’une grande diversité d’espèces, la diversité variétale, qui existe à l’intérieur de chaque espèce, est encore trop peu exploitée. Reste à étudier les caractéristiques biologiques des variétés que l’on souhaiterait promouvoir, comme leur capacité à préempter les ressources (pour en priver les adventices), à tolérer l’ombrage d’autres espèces (pour pousser en mélange), à tolérer ou non le froid (pour passer ou non l’hiver) et à croître avec peu d’azote et peu d’eau (ce qui est souvent le cas l’été quand les couverts sont plantés), etc. Le tout dans un seul objectif : maximiser la régulation biologique des adventices.
Adapter la conduite du couvert (date et densité de semis) et son insertion dans la rotation est une autre voie de réflexion. Couvrir le sol pour concurrencer les adventices est un levier que l’on doit mobiliser à de nombreuses reprises à l’échelle de la rotation. Avec les étés secs que l’on observe et qui privent les agriculteurs de quelques orages d’été propices au développement des couverts, un semis sous couvert dans la culture précédente peut être envisagé. Même si le semis à la volée est plus aléatoire qu’un semis en terre, il peut s’avérer efficace certaines années sur des couverts à petites graines.
Pour réaliser un couvert dense, il faut le conduire avec la même attention qu’une culture, d’où l’appellation Culture Intermédiaire Multi-Services (CIMS). Augmenter la densité de semis permet de compenser des dates de semis retardées pour maintenir le potentiel de biomasse produite et donc de concurrence par le couvert.11
Agriculture de conservation des sols : des pistes de recherche
Les systèmes qui relèvent de l’Agriculture de Conservation des Sols (ACS) sont très diversifiés. Durant la phase de transition vers l’ACS, le changement de flore adventice (espèce plus adaptée au non-travail du sol, et augmentation de la diversité adventice) va occasionner des modifications des relations de compétition. La nuisibilité d’une communauté adventice plus diversifiée est mal connue. De plus, la diversité du pool de ressources du sol provenant de la dégradation des couverts et des cultures diversifiées de la rotation peut modifier les relations de compétition adventice-culture ou adventice-couvert.
Enfin, la phénologie des adventices (stade de développement, par exemple, floraison, grenaison) étant affectée par la présence des couverts et leur mode de destruction, la concurrence avec la culture suivante peut s’en trouver affectée. La nuisibilité secondaire12 et le rôle du stock semencier peuvent être différents quand le sol n’est plus travaillé. Autant de pistes de recherche que la diversité des pratiques de l’agriculture de conservation ouvre aux chercheurs et aux agriculteurs.
Références bibliographiques
Cordeau S., Guillemin J.P., Reibel C., Chauvel B., 2015. Weed species differ in their ability to emerge in no-till systems that include cover crops. Annals of Applied Biology, 166 (3), 444-455, doi:10.1111/aab.12195
Cordeau S., Reibel C., Strbik F., Matejicek A., Dugue F., Lizon Au Ciré D., Guillemin J.P., 2017. Capacité des adventices à germer en surface dans diverses conditions, in : Séminaire de restitution à mi-parcours du projet de recherche ANR CoSAC (Conception de Stratégies durables de gestion des Adventices dans un contexte de Changement : climat, pratiques agricoles, biodiversité). Gestion des Adventices dans un Contexte de Changement, Paris, France, https://www.researchgate.net/publication/329034347_Capacite_des_adventices_a_germer_en_surface_dans_diverses_conditions
Métais P., Vuillemin F., Cordeau S., 2018. Étude de l’effet du travail du sol et des couverts sur les adventices dans des contextes de production variés, https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01608249
Métais P., Vuillemin F., Cordeau S., 2019. Travail du sol et couverts : quels effets sur les adventices ? Phytoma – La Défense des Végétaux, 720, 35-38.
Romdhane S., Spor A., Busset H., Falchetto L., Martin J., Bru D., Breuil M.C., Philippot L., Cordeau S. (in press). Cover crop management practices rather than the composition of cover crop mixtures affect microbial communities in no-till agroecosystems. Frontiers in Microbiology.
- CA-SYS est un acronyme anglais (Co-designed Agroecological SYStem experiment) qui signifie en français : expérimentation collaborative de systèmes agroécologiques
- L’agriculture dite de conservation repose sur trois grands principes : couverture maximale des sols, perturbation minimale du sol, rotations longues et diversifiées. Leur application doit permettre de maîtriser les adventices et de diminuer la pression des ravageurs.
- Essai analytique, soutenu par le projet Casdar VANCOUVER et l’ANR COSAC
- Dans le cadre de l’ANR COSAC
- La compétition chez les plantes est le processus qui conduit à une limitation de croissance (ex. biomasse) ou du développement (ex. impossibilité de fleurir ou grainer) d’une plante sous l’effet d’une autre en condition de ressources limitantes (eau, nutriments, lumière)
- Voir : https://www.researchgate.net/publication/321670880_Gestion_des_adventices_au_moyen_des_cultures_intermediaires_multi-services_potentiels_et_limites
- Allélopathie : désigne l’effet des interactions biochimiques directes ou indirectes d’une plante sur une autre
- Mulch : végétal souvent roulé ou broyé formant une couche sur le sol pour empêcher la pousse des mauvaises herbes, préserver l’humidité du sol et enrichir la terre en se décomposant. Ce mulch est souvent réalisé à partir des couverts que l’agriculteur fait pousser sur sa parcelle
- https://inra-dam-front-resources-cdn.brainsonic.com/ressources/afile/459053-543cd-resource-3rdf2018-diaporama-cordeau.pdf
- https://www6.inra.fr/ciag/content/download/6220/45938/file/CIAG43-8-Cordeau.pdf
- https://www.researchgate.net/publication/321670880_Gestion_des_adventices_au_moyen_des_cultures_intermediaires_multi-services_potentiels_et_limites?_sg=Xcfz98-a1GeeSDoPndAuYtUgw-ecxrwL4MYnkAVJdgAH9m1E8j-RPExGtO0GPaUjfShBV6XKHUeIWvPjLW_QeWM2iKRat4v8on04zVbd.hN0mPaSlpfVPde5hvt4gpSGUvuBSXoQCDG2wHu94C1tnrmPMC9W34yEfav-mPzUeQmgC3LsgpfYHeXbAVHPrvQ
- Capacité des adventices à grainer et à remplir le stock de semence pour des années