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De l'eau au moulin

Publié le 10 mars 2020 |

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[Biodiversité] Observations du bord d’un champ

Par Vincent Albouy, entomologiste et naturaliste, Office pour les insectes et leur environnement (OPIE)

En 2009, ayant pris conscience de l’effondrement des populations d’insectes, y compris des espèces les plus communes, j’ai étudié sur deux ans la biodiversité du bord d’un champ cultivé intensivement dans ma commune du centre de la Charente-maritime. Cette étude a fait l’objet de trois articles dans la revue Insectes de l’Opie. En voici un bref résumé.

Le terrain d’étude est une bordure entre un champ et un chemin d’exploitation. Cette bordure, longue de 250 m environ et large de 1,50 m (soit une surface de 375 m2) part d’une route départementale et va buter contre un bois de chênes. J’y ai effectué 67 visites d’avril à octobre 2009 et 2010.

La végétation

J’ai relevé 65 plantes à fleurs différentes que j’ai pu déterminer au moins jusqu’au genre (voir tableau I ici). La berme apparaît comme une lisière entre différents milieux caractérisés n’accueillant que des plantes communes. à côté de la végétation dominante des prairies poussent des plantes cultivées, des « mauvaises herbes » des cultures, des plantes des friches. Les milieux semi-naturels des alentours apportent aussi un petit lot d’espèces, notamment de lisières et de sous-bois et de zones plus humides.

Orchys pyramidal. Photo Vincent Albouy.

La faune entomologique

Mon inventaire, sans être exhaustif, signale les espèces les plus fréquentes, les plus visibles ou les plus remarquables. Il regroupe les insectes butineurs observés sur les fleurs, les insectes fréquentant la végétation, repérés à vue, notamment en marchant dans l’herbe, et les invertébrés du sol et de la litière, observés surtout en retournant les rares pierres présentes dans la berme et quelques planches abris déposées à intervalles réguliers (tableau II ici).

Sur les fleurs

Durant deux ans, je n’ai observé, outre quatre abeilles solitaires indéterminées, qu’une seule abeille mellifère malgré la présence d’un rucher à quelques centaines de mètres, et quelques individus appartenant à deux espèces de bourdons. L’offre de fleurs de ce bord de champ apparaît donc comme trop aléatoire pour fixer des populations d’abeilles. Il s’en trouve pourtant à proximité, l’atteste le Méloé proscarabée vu en avril dont les larves sont parasites d’abeilles solitaires.

Seules trois espèces peuvent être considérées comme nombreuses sur les fleurs de la berme. Le Cèphe pygmée a apprécié particulièrement les fleurs de bouton d’or au printemps, avec souvent plusieurs individus dans chacune. Cette tenthrède est liée aux cultures des alentours, puisque la larve vit dans les tiges des céréales. Au tournant du printemps et de l’été sont apparues les Cantharides fauves, plus prédatrices que butineuses, visibles surtout sur les fleurs en ombelles mais aussi sur celles de liseron. En août enfin j’ai vu en nombre, butinant surtout les fleurs de liseron, des Sphaérophores notées, syrphes migrateurs.

Quelques individus du syrphe du groseillier et du syrphe bâton ont fait une apparition au printemps et en été. Il y a eu très peu d’autres Diptères floricoles, et je n’ai pu en déterminer qu’un seul, jusqu’au genre seulement, un Bombyle. Les papillons ont été encore plus rares sur les fleurs : deux vus en train de butiner, un petit Lycène bleu et une Hespérie marron qui ne sont pas laissé attraper ni photographier, donc restés indéterminés.

Parmi les Coléoptères, outre la Cantharide fauve déjà citée, j’ai noté sur les fleurs de bouton d’or plusieurs Cétoines hirsutes et Draps mortuaires. Ces espèces sont communes dans les environs sur les fleurs de colza. J’ai également noté l’Œdémère noble et l’Œdémère ochracée, ainsi que quelques Psilothrix bleu-vert et un Lepture à 2 fascies.

Ptérophore blanc. Photo Vincent Albouy.

Sur la végétation

Je n’ai vu que quelques chenilles de vulcain sur une touffe d’ortie ainsi qu’une chenille d’Écaille martre et une autre de Noctuelle fiancée en quête d’un endroit pour se chrysalider. J’ai croisé diverses punaises, notamment la Corée marginée, la seule à être présente en nombre, la Punaise de la pomme de terre et la Punaise des prés. Aucun Homoptère mis à part quelques crachats de coucou[1].

Parmi les Coléoptères phytophages, quelques charançons, notamment deux espèces de Lixe, quelques Lémas à pieds noirs sur une touffe de graminées en juillet, et une Coccinelle à 16 points, qui consomme des rouilles, champignons parasites du feuillage des plantes.

Les prairies sont le royaume des grillons, des sauterelles et des criquets. Seuls quelques Grillons des champs ont creusé leur terrier dans la bordure, et en 2010 seulement. Les sauterelles ont été assez rares. J’ai observé quelques larves indéterminées et un adulte de Grande Sauterelle verte, de Conocéphale gracieux et d’Ephippigère carénée.

Les criquets se sont montrés plus nombreux, se faisant entendre à partir de juin. J’ai identifié au chant le Criquet des pâtures et le Criquet mélodieux, assez nombreux jusqu’à l’automne, ainsi que le criquet duettiste représenté par quelques individus isolés, trois espèces très communes qui supportent les perturbations humaines. Rencontre surprenante le 28 juillet 2009 : un Criquet tricolore, surtout littoral dans la région et qui fréquente presque exclusivement les prairies riveraines au bord des eaux courantes ou stagnantes à l’intérieur des terres. Or la première mare ou le premier ruisseau se trouvent à plus d’un kilomètre à vol d’oiseau ; serait-ce un effet secondaire de l’irrigation du maïs ?

Cette biomasse modeste de végétariens nourrit des prédateurs, dont les espèces sont la plupart du temps représentées par un ou quelques individus seulement. Outre la Grande Sauterelle verte déjà citée, j’ai noté une Coccinelle à damier et quelques Moines pour les Coléoptères, un Empis marqueté et une Échinomyie sauvage pour les Diptères, une Punaise des bois, une Mouche scorpion. Parmi les araignées, assez peu nombreuses, seules l’Argiope frelon, l’Épeire diadème et la Thomise variable ont pu être identifiées. Le prédateur le plus fréquent, observé tout au long de la période d’observation, en particulier sur les orties, fut le Faucheux.

Dans le sol et parmi la litière

Moins susceptible d’être perturbée par les herbicides et les broyages, la faune du sol semblait la plus intéressante à étudier. La pose de quelques planches abris m’a livré divers lombrics, des limaces d’au moins 3 espèces différentes, dont une seule identifiée, la grosse Limace rouge, le Cloporte des murs, quelques mille-pattes dont un Polydesme, les autres restant indéterminés, quelques araignées également indéterminées. J’y ai aussi observé régulièrement des staphylins indéterminés. Je me suis concentré sur les carabiques, 13 espèces au total. Toutes sont communes à l’exception de l’Ophone à tarses roux qualifié d’assez rare dans la littérature.

En dehors des espèces notées sous ces planches, j’ai débusqué quelques autres insectes liés au sol ou à la litière au moins durant une partie de leur cycle vital : un Perce-Oreille commun, un Hanneton estival dont la larve vit aux dépens des racines de graminées, deux Silphes tristes écrasés par la roue d’un tracteur, quelques Tipules.

Les effets du temps

En 2009 et 2010, donc, ce bord de champ ne semble pas être un lieu de vie permanent pour la plupart des espèces qui s’y trouvent. Il apparaît plutôt comme un corridor écologique et une zone refuge temporaire réduits à leur plus simple expression. Pour qui a connu la richesse du moindre bord de chemin d’autrefois, la perte de biodiversité enregistrée en un demi-siècle donne le vertige.

Aujourd’hui, il n’y a plus rien à observer. Pour l’anecdote, j’avais prévu de refaire un inventaire dix ans plus tard. Malheureusement, à l’automne 2018, la berme a été creusée sur toute sa longueur d’une tranchée pour enfouir des câbles de fibre optique, le chemin menant à un château d’eau hérissé d’antennes.


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