Publié le 9 novembre 2021 |
1[Agriculture 2040] 4. Comment mangerons-nous en 2040 ?
Par Pascale Hébel, directrice du pôle consommation et entreprise au Centre de Recherche pour l’Étude et l’Observation des Conditions de vie (CRÉDOC).
S’il existe des cultures et des élevages, c’est bien qu’il y a des mangeurs, qu’il vaudrait mieux écouter. Riches d’enseignements, les enquêtes destinées à mieux cerner leurs besoins et désirs pourraient dessiner une nouvelle voie pour les différentes productions agricoles en 2040. L’enjeu étant d’adapter l’offre à la demande d’alimentation durable des consommateurs Français et Européens en conciliant un impact carbone limité et une qualité nutritionnelle suffisante (Darmon, Soler, 2011)1.
Fondées sur des modifications de la production agricole, les prospectives agricoles s’intéressent peu aux consommateurs et à l’acceptabilité de l’offre envisagée. Au lieu d’établir des hypothèses de réduction de gaz à effet de serre sur la production agricole, ne vaudrait-il pas mieux projeter les besoins alimentaires des individus et leur capacité à s’adapter ? Et comment intégrer le fait que nos besoins biologiques ne se résument pas à de la simple énergie ingérée ?
Manger ce que l’on voudrait
Seule la moitié des Français a accès à l’alimentation qu’elle désire, une proportion en forte hausse depuis huit ans. A la question « Parmi les quatre situations suivantes, quelle est celle qui correspond le mieux à celle que vous vivez actuellement dans votre foyer ? », à peine 48% des personnes interrogés se reconnaissent, en 2021, dans la réponse « Vous pouvez manger tous les aliments que vous voulez », contre 63% en 2013.
Comment expliquer cette chute du nombre de celles et ceux qui ne peuvent pas manger selon leur bon plaisir ? D’abord, par la hausse du poids du logement (près de 30% en 2020, contre 11% en 1960) dans le budget des Français. Premiers touchés : essentiellement les plus jeunes et les plus modestes, près de la moitié de nos concitoyens tout de même. Deuxième explication, l’envie grandissante de consommer du bio. A la question ouverte « Qu’est-ce qu’un aliment de qualité ? », « Bio » est le mot le plus fréquemment cité depuis 2015. Encore un rêve, beaucoup trop cher… Dans ce contexte où la dépense est une préoccupation grandissante, le critère du prix se situe à la 3e position (en augmentation de onze points entre 2018 et 2021), derrière « le produit de saison » et « l’origine France ». Conséquence : seule la moitié des consommateurs peut aujourd’hui payer plus cher pour obtenir des produits jugés sains et durables.
Aucun gouvernement n’a su enrayer l’augmentation du prix du logement chez les plus jeunes et les plus modestes, et ce ne sont pas les hausses des prix de l’énergie et du gaz, en cette rentrée de septembre 2021, qui permettront à tous les consommateurs de payer plus cher des produits français. Ceux qui comparent les prix afin de trouver des produits accessibles sont les plus jeunes (64% des 18-34 ans) et les classes moyennes inférieures (61%).
« Une seule santé » pour les jeunes et les plus diplômés
Malgré ces tensions sur les prix, les principales attentes des consommateurs sont environnementales. Pour les plus éduqués et les jeunes générations, la dégradation de l’environnement culmine en tête des problèmes cités, devant les maladies graves2. En juillet 2021, les consommateurs étaient 36% à être préoccupés (en premier ou en second) par la dégradation de l’environnement, contre 16% en 2008, soit +20% en 13 ans, avec une accélération due au Covid-19.
Figure 1 : Découpage de la population en générations caractérisées par les événements marquants connus lorsqu’ils avaient 20 ans.
Génération « Mieux manger »
Par conséquent, quand les consommateurs éco-anxieux et les plus jeunes (la génération « Mieux manger », née entre 1997 et 2006, qui aura 20 ans en 2022) veulent agir, ils le font au travers de leurs choix alimentaires. Ce qu’ils attendent ? Des produits de saison, locaux (régionaux) ou en circuit court, ce qui vient révéler une opposition à la mondialisation des échanges (84% des consommateurs jugent que cette dernière favorise la propagation des épidémies comme le coronavirus3) et accompagner un élan de solidarité – les envies de juste rétribution des agriculteurs et producteurs sont en forte hausse. En résumé, derrière le local, on cherche à préserver la planète en réduisant les transports, tout en plaidant pour une plus juste rémunération de l’agriculteur français.
Figure 2 : Proportion d’individus citant l’environnement comme leur première préoccupation (devant les violences, les maladies graves, le chômage, la pauvreté, l’immigration, la drogue, les conflits sociaux, les tensions internationales et l’Europe).
Légende : A l’âge de 18 ans, 27% de la génération Mieux Manger (née entre 1997 et 2006) citent la dégradation de l’environnement comme première préoccupation ; ils sont 25% dans la génération Nomade (née entre 1987 et 1996), 18% dans la génération Internet (née entre 1977 et 1986), et 6% dans la génération Rationnement (née entre 1917 et 1926).
Source : Enquêtes Conditions de vie du CREDOC.
La crise de la Covid 19 a intensifié la prise de conscience d’une nécessaire modification des régimes alimentaires pour être en bonne santé. Les questions de bien-être animal, elles aussi, sont en hausse, ainsi que les questions de biodiversité désormais bien installées dans le débat public. Sanction immédiate : le ralentissement de la croissance du bio en 2021 s’explique, en partie, par ces exigences croissantes en faveur de l’animal et de l’origine France pas toujours garanties par le label bio.
L’assiette, de plus en plus « végé »
Dans la pratique, les régimes alimentaires suivent les envies des consommateurs. On observe ainsi une baisse de 24% de la consommation de la viande, en 10 ans, et dans le même temps une hausse des fruits et légumes frais, en particulier des graines et légumineuses telles que les lentilles. Mais que l’on ne s’y trompe pas, ce verdissement de l’assiette se fait davantage pour des raisons de santé qu’écologiques.
Les périodes de rupture offrent une fenêtre pour changer de comportement. A l’occasion des différents confinements, une moitié de la population a pu mettre en adéquation ses actes avec ses attentes, avec un retour en cuisine pour une reprise en main de son alimentation (un phénomène déjà visible depuis une quinzaine d’années).
La question climatique
Globalement en dix ans, l’impact moyen du régime alimentaire sur les gaz à effet de serre a diminué de 14%. Par effet mécanique du vieillissement et des changements générationnels, la baisse sera équivalente d’ici 2030. La diminution restera toutefois plus faible que l’objectif de baisse globale des gaz à effet de serre de 55% entre 1990 et 2030, que vient de fixer la Commission européenne. Il est donc nécessaire de mettre en place des politiques publiques ad hoc pour accélérer le mouvement de modification des régimes alimentaires.
Figure 3 : Contribution des groupes alimentaires aux émissions de gaz à effet de serre en 2010 et 2019 (en %).
Source : Abribalyse et enquêtes alimentaires CCAF 2010 et 2019 (CREDOC)
Accéder à l’alimentation désirée
Les politiques publiques doivent donc prendre en compte les difficultés d’accès à une, c’est la définition de la sécurité alimentaire. En clair, que chacun puisse faire des choix éclairés et manger avec un petit budget, tout en maintenant la qualité et la diversité de son alimentation.
On en est encore loin. La grande majorité des Français rêvent de bio, un désir inaccessible pour beaucoup au regard de son prix (plus de 50% par rapport aux produits standard). Si le budget logement ne diminue pas, alors le chèque alimentaire ou la suppression de la TVA sur les produits les plus durables deviendra nécessaire, afin que 52% de la population continue de se nourrir comme elle le souhaite.
Lire les contributions au dossier [Agriculture 2040]
– 1. Quel avenir pour l’agriculture en France dans 20 ans ?, par Pierre Guy, Michel Petit, anciens chercheurs INRAE, Anne Judas (revue Sesame)
– 2. La disparition des insectes. Témoignage d’un naturaliste (1969-2021), par Vincent Albouy, naturaliste, ancien président de l’Office Pour les Insectes et leur Environnement, auteur de plusieurs ouvrages sur les insectes.
– 3. La biodiversité, support de la production agricole, par Vincent Bretagnolle, directeur de recherche, Centre d’Etudes Biologiques de Chizé, UMR7372, CNRS.
– 4. Comment mangerons-nous en 2040 ? par Pascale Hébel, directrice du pôle consommation et entreprise au Centre de Recherche pour l’Étude et l’Observation des Conditions de vie (CRÉDOC).
– 5. Connaître le passé, envisager l’avenir, par Yves Guy, agronome.
– 6. Paysages, eau et biodiversité, par Pierre Guy, Jean-Pierre Dulphy, anciens chercheurs INRAE.
– 7. L’élevage des herbivores domestiques : pour un élevage économe et durable par nécessité, par Jean-Pierre Dulphy et Pierre Guy, anciens chercheurs INRAE.
– 8. Réflexions sur les filières avicoles, par Bernard Sauveur, ancien chercheur INRAE.
– 9.Concilier productivité et durabilité : quels rôles pour les mécanismes de marché ?, par Michel Petit, économiste, ancien chercheur INRA.
– 10. Créer ou recréer des emplois agricoles ?, par Anne Judas (revue Sesame), en collaboration avec Cécile Détang-Dessendre (DR INRAE).
– 11. Quelle agriculture dans un monde vivable ?, par Cécile Claveirole, ingénieure agricole, responsable politique des questions agricoles, et Marie-Catherine Schulz-Vannaxay, ingénieure agronome, coordinatrice du réseau agriculture de France Nature Environnement.
– 12. Une recherche agronomique pour une agriculture durable, par Gilles Lemaire, membre de l’Académie d’Agriculture de France et ancien chercheur INRA.
- Darmon N., Soler G.L., 2011. « Impact carbone et qualité nutritionnelle des régimes alimentaires en France », in Esnouf C., Russel M., Bricas N. (coord.), Rapport Inra-Cirad, pp. 45-59.
- « One Health » (Une seule santé) signifie chercher à penser la santé à l’interface entre celle des animaux, de l’Homme et de leur environnement, à l’échelle locale nationale et mondiale : https://www.inrae.fr/alimentation-sante-globale/one-health-seule-sante
- A la question « Pouvez-vous me dire si les facteurs suivants favorisent la propagation des épidémies comme le coronavirus ? », 84% citent la mondialisation des échanges après le manque des investissements dans la recherche, la diminution des forêts, le réchauffement climatique, Etude Ademe-Crédoc, 2020.
Bonjour, mais tous « ces jeunes » ont-ils le réflexe de couper leur téléphone portable ? de couper avec leurs réseaux sociaux qui leur racontent n’importe quoi ? de prendre le temps (pas si long) de cuisiner ? d’arrêter de regarder leurs écrans ? de se faire livrer des plats tout près par des livreurs sous payés ? de continuer l’agribasching ? de vouloir travailler ailleurs que dans l’administration ? d’être toujours contre les vérités scientifiques et revouloir inventer le fil à couper le beurre ?