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À mots découverts

Publié le 7 juin 2021 |

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[Travail] L’agriculture à bout de bras

Par Lucie Gillot

La crise du Covid-19 aura eu ce mérite : non pas seulement mettre en lumière ces travailleurs invisibles que sont les salariés agricoles de tous bords, mais reconnaître leur caractère indispensable. Une « armée de l’ombre » placée subitement sous les projecteurs. À l’heure où les déplacements de population se heurtent encore aux frontières sanitaires, où la récolte de fraises est de nouveau en péril, la question de la pénurie de main-d’œuvre reprend le chemin des médias. Reste qu’il serait illusoire de croire qu’elle disparaîtra une fois la crise du Covid-19 passée. Dans une France préoccupée par la problématique de la souveraineté alimentaire, une question fait tache : qui va biner ?

18 mars 2020. À peine le confinement était-il décrété, les frontières fermées, que la FNSEA publiait un communiqué de presse. Objectif : interpeller le gouvernement sur les risques que cette décision faisait peser sur la production française et la satisfaction des besoins en main-d’œuvre. Et les ministères de l’Économie et de l’Agriculture de répliquer sans attendre avec l’annonce, le 24 mars, d’un plan de soutien spécifique. De celui-ci, médias et réseaux ont retenu l’appel lancé par Didier Guillaume à « rejoindre la grande armée de l’agriculture française1  ». Les volontaires n’étaient pas incités à prendre le maquis mais à se connecter à une plateforme conçue par la start-up WiziFarm « Des bras pour ton assiette », afin de venir prêter main-forte aux exploitants. Un chiffre tourne alors en boucle : 200 000 postes sont à pourvoir, selon la présidente de la FNSEA Christiane Lambert, plus précisément « 45 000 saisonniers en mars, 80 000 en avril et à peu près autant en mai ».

Pour beaucoup, la crise du Covid-19 aura servi de révélateur aussi bien du caractère « essentiel » de l’activité agricole et alimentaire, dont les professionnels sont restés « sur le front » durant toute la période de confinement2, que de la « dépendance » du système agricole français à la main-d’œuvre étrangère3. Avec, à la clé, une multitude de débats, ici sur la nécessité de « relocaliser la main-d’œuvre » à des fins de souveraineté alimentaire, là sur le désamour des Français pour ces métiers jugés peu attractifs, sans oublier la question, centrale, des conditions et de la pénibilité du travail. Mais que sait-on du rôle et de l’importance de la main-d’œuvre salariée en agriculture ? 

Loin d’être une nouveauté, le salariat existe depuis longtemps en agriculture. « Au XIXe siècle, la part de salariés était très importante ; elle est aujourd’hui plus faible », rappelle Jean-Noël Depeyrot, chargé de mission au Centre d’études et de prospective du ministère de l’Agriculture, lors d’une séance de l’Académie d’agriculture de France4. Cette ancienneté ne doit cependant pas masquer de profonds changements. Mobilisant les données du vaste chantier Actif’Agri (voir « À visages découverts »), J.-N. Depeyrot esquisse touche après touche le portrait d’un secteur où s’estompe le modèle de l’exploitation familiale. Parmi ses signes distinctifs, retenons tout d’abord ceci : alors que le nombre d’exploitants agricoles décroît – la France a perdu un quart de ses exploitants en quinze ans –, le travail salarié, à l’inverse, « se renforce et se diversifie ». En 2016, 756 000 salariés agricoles ont travaillé dans les exploitations françaises, tous types de contrat confondus – CDI, temporaires (CDD, saisonniers) et apprentis. Cet essor du travail salarié s’explique en partie par « l’externalisation croissante de la main-d’œuvre ». Ainsi, de plus en plus d’exploitants délèguent certains travaux à une entreprise dédiée. Qu’il s’agisse de groupements d’employeurs, d’entreprises de travaux agricoles ou d’agences d’intérimaires, elles ont pour point commun d’avoir fortement prospéré ces dernières années et de recourir majoritairement – mais pas uniquement – à des contrats temporaires.

Qu’en déduire ? Si le salariat existe depuis très longtemps en agriculture, il prend depuis une vingtaine d’années des formes nouvelles, que caractérise l’essor du travail temporaire, avec une poussée marquée des contrats saisonniers et le recours croissant à des entreprises extérieures. Outre la forte précarité associée à ces boulots de courte durée, se pose la question des tensions que cela génère lors des pics d’activité ainsi que celle, primordiale, du suivi sanitaire de ces travailleurs. « Entre 2002 et 2016, 90 % des saisonniers sont sortis du système, ce qui pose un problème de suivi en termes de management, de formation et de santé », précise J.-N. Depeyrot. 

Et la main-d’œuvre étrangère dans tout ça ? Si l’on en croit les données d’Actif’Agri, leur proportion va croissant : en 2010, 18,8 % des saisonniers étaient étrangers, contre 24 % en 2016. 

Le mirage de la relocalisation

Loin d’être hexagonale, la problématique du travail saisonnier et le recours à une main-d’œuvre étrangère se pose, avec une insistance plus ou moins marquée, au sein d’autres États membres de l’Union européenne (voir « L’Homme invisible »). Dans une note éditée en juin 2020 par le Cepii5, le Centre d’Études Prospectives et d’Informations Internationales, les économistes Cristina Mitaritonna et Lionel Ragot ont étudié les réponses apportées par plusieurs d’entre eux suite au premier confinement et aux restrictions de circulation ou d’accès à l’espace communautaire. Et leurs conclusions sont riches d’enseignement. 

Premièrement, les tentatives de remplacement de la main-d’œuvre étrangère par une main-d’œuvre autochtone ont échoué. À la fin du confinement, selon WiziFarm, plus de 300 000 Français s’étaient portés volontaires. Et pourtant, au regard de ces chiffres, le nombre de contrats signés fait grise mine. Un rapport du Sénat souligne ainsi que sur les « 300 000 inscriptions entre mi-mars et début mai, 15 000 ont obtenu un contrat de travail6 ». Même constat au Royaume-Uni où, sur les 50 000 candidatures postées, moins de 200 ont finalement abouti.

Pour L. Ragot, professeur d’économie à l’université Paris Nanterre et conseiller scientifique au Cepii, il s’agit là d’un phénomène de fond : il est illusoire de croire que la main-d’œuvre étrangère peut être remplacée par des autochtones, même en augmentant sensiblement la rémunération.

Pour étayer ce constat, il s’appuie notamment sur les travaux de Michael A. Clemens. Cet économiste américain a étudié l’impact qu’a eu, en 1964, l’arrêt du programme « Bracero ». Mis en place en 1942, ce dernier permettait à des citoyens mexicains de venir travailler temporairement dans des fermes américaines7. L. Ragot en résume ainsi les conclusions : « L’élasticité de l’offre de travail des autochtones aux salaires proposés est quasiment nulle ». En clair, à l’arrêt du programme, « ils [les braceros] n’ont pas été substitués par des travailleurs américains : soit il y a eu substitution technologique, dans ce cas-là les fermiers ont basculé sur du capital et des machines, soit il y a eu substitution de production, c’est-à-dire que les agriculteurs américains ont opté pour des cultures nécessitant moins de main-d’œuvre ». 

Deuxièmement, il est probable que la crise du Covid-19 agisse comme un déclencheur conduisant à des changements structurels du travail agricole et que, dans son sillage, les agriculteurs mettent en place, à plus long terme, des stratégies pour se passer des travailleurs étrangers. Cette hypothèse repose sur un cas concret : l’épisode du Brexit au Royaume-Uni. « Nous avons été interpellés par la situation anglaise parce que, avant le Covid-19, elle a connu une diminution assez sensible du nombre de travailleurs migrants suite au vote du Brexit ». Les raisons ? « Une ambiance globale hostile, un des principaux déterminants du Brexit ayant quand même été le refus de l’immigration ». S’y est greffée une baisse de la valeur de la livre sterling, rendant moins attractive la venue au Royaume-Uni.

Les agriculteurs outre-Manche « ont essayé de remplacer cette main-d’œuvre qui ne venait plus par une main-d’œuvre locale. Mais, là non plus, ça n’a pas marché. C’est également ce que nous avons retrouvé avec le Covid-19 ». Face à cette raréfaction, les Britanniques « se sont lancés dans la substitution technologique », comme les agriculteurs américains avant eux. Le gouvernement britannique a ainsi alloué quatre-vingt-dix millions de livres – environ 104 millions d’euros –, à un programme axé sur le développement de l’intelligence artificielle et la robotique. Pour L. Ragot, tous ces exemples doivent nous interpeller quant au devenir de la main-d’œuvre agricole étrangère à plus long terme. À partir du moment où les technologies de la robotique seront économiquement matures (baisse de leurs prix), ce qui n’est pas encore le cas, elles s’imposeront. « Opter pour ou refuser leur usage relèvera d’un choix de société, mais pas d’une option économique », prévient-il. D’autres éléments vont, en outre, peser dans la balance. « Le robot n’a besoin de personne. Il pourra récolter en une nuit et un jour tout ce qui se trouve sous une serre. Et là, il n’y a pas de loi du travail qui empêche de le faire travailler la nuit. »

Devine qui vient biner ce soir

Fin de l’histoire ? Pas encore. Revenons à l’exemple de la plateforme WiziFarm, ses 300 000 candidats versus les 15 000 embauches. Question : comment expliquer un tel fossé entre le nombre de candidatures déposées et le peu de recrutements ? « Beaucoup se sont inscrits mais finalement n’y sont pas allés, détaille L. Ragot, mais ce résultat provient plus des réticences de la part des agriculteurs à signer des contrats que de l’engouement des volontaires8. »

Pour Frédéric Décosse, sociologue au Laboratoire d’Économie et de Sociologie du Travail (LEST-CNRS), nous touchons là au cœur du problème. « En mars et avril, les politiques se sont vraiment faits les porte-voix de l’idée selon laquelle on manquait de main-d’œuvre. Et, comme toujours, ce n’est qu’en partie vrai. » Pour celui-ci, le discours autour de la pénurie de main-d’œuvre revêt deux aspects, rarement distincts. Il y a tout d’abord la question du « stock », à savoir celle du manque de bras, et cette idée selon laquelle les autochtones ne postulent pas aux offres d’emplois agricoles. Conséquence, les producteurs n’ont d’autre choix possible que celui de se tourner vers une main-d’œuvre étrangère. 

Mais ce discours masque, selon F. Décosse, une réalité dont on fait peu de cas : les producteurs rechignent eux aussi à recruter des autochtones. Et il insiste sur la « fonction idéologique de la pénurie de main-d’œuvre » qui vient justifier le recours aux travailleurs étrangers. « Quand vous écoutez les discours des employeurs, les termes sont les mêmes – « Les gens sont venus mais ne font pas l’affaire ; ils n’ont pas le rendement que l’on attend ». […] Au-delà de la question du stock et de l’idée qu’il n’y aurait pas suffisamment de bras pour satisfaire les besoins, il y a la question du travail. Quel est le rendement attendu ? Quelles sont les conditions de travail, d’emploi et de rémunération ? C’est bien ça qui est en jeu », relève le sociologue. 

D’ailleurs, la profession ne tait pas ses réticences à solliciter ses concitoyens. « Si on embauche des locaux, on ne va pas sortir nos récoltes », lâchait un producteur de fraises du Lot au « Monde9 » quand un producteur de cerises déclarait au micro de France Bleu « rechigner à employer de la main-d’œuvre française qui n’est pas qualifiée, qui n’a pas assez de rendement » 10». 

Loin de jeter la pierre aux principaux concernés, F. Décosse plaide pour que la question du travail soit pleinement investie. « J’étudie la question de la main-d’œuvre agricole depuis quinze ans et j’ai toujours entendu dire que les locaux sont des bras cassés ». Reste que, derrière cet argument, une question reste en suspens, « celle de l’assignation au travail ». Contrairement aux travailleurs étrangers, les salariés français ont la possibilité de « comparer les conditions de rémunération, d’emplois, de mettre en concurrence les employeurs et les secteurs », y compris hors agriculture. Finalement, la problématique à instruire est « celle de la liberté de travail ». Sous-entendu : c’est une liberté dont les migrants disposent peu (lire l’entretien complet). 

Ce qui nous travaille 

Bien évidemment cette problématique doit être mise en regard d’éléments tels que la pression économique, très forte sur les secteurs agricoles qui ont recours à ce type de main-d’œuvre. Citant le cas des Bouches-du-Rhône et de ses exploitations arboricoles et maraîchères fortement tournées vers l’export, F. Décosse invite à « replacer la problématique dans le contexte d’une agriculture globalisée » où plusieurs bassins – Provence, Espagne ou Maroc – se livrent une âpre lutte des prix. « La concurrence s’opère sur la base du travail, celui-ci représentant 50 % du coût de production. » Même analyse du côté des auteurs d’Actif’Agri qui rappelaient ainsi que « l’accroissement du salariat et l’externalisation concourent au développement d’emplois précaires11. Cette fragilité et le faible niveau des rémunérations des salariés sont à mettre au regard de la modicité et de l’instabilité des revenus de la majorité des exploitants ». Improbable relocalisation de la main-d’œuvre, essor de la robotique, vrai-faux débat autour de la pénurie de main-d’œuvre, recours croissant aux travailleurs migrants avec toutes les interrogations que cela soulève, pénibilité, manque d’attractivité du métier… Quels visages aura demain le salarié agricole, si tant est qu’il soit toujours humain ?

Loin d’être épisodique, la question du travail agricole va devenir centrale. Si vous en doutez encore, voici, en guise de conclusion, quelques-uns de ses derniers bruissements. Alors que se poursuivent les discussions sur la réforme de la PAC 2021, un collectif de 300 organisations européennes a récemment proposé de conditionner les aides de la PAC « au respect des conditions de travail et d’emploi » au même titre que les normes environnementales ou celles concernant la santé publique12. L’un des auteurs dénonce ainsi l’absence de prise en compte, dans l’attribution de ces aides publiques, du « respect des droits de l’homme ». Plus près de nous, le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie, a rappelé le rôle que pouvait jouer la robotique agricole dans la transition agroécologique. Il a annoncé qu’à l’occasion du plan de relance le gouvernement mettait « à disposition 215 millions d’euros pour financer le renouvellement des équipements 13». Parallèlement, certains réfléchissent à une autre manière de penser le capital en agriculture, entendu cette fois au sens premier du terme, « ce qui est capital et que l’on veut préserver ». C’est le fil suivi par l’association La Coop des communs avec le principe de la méthode Care qui bouge les lignes habituelles des grilles comptables. Leur question : pourquoi la comptabilité ne prend-elle en considération que le capital financier et pas les salariés (capital humain) ou la nature (capital environnemental)14 ? Réponse aux prochains épisodes. 

À visages découverts

Fruit d’un travail collectif édité par le Centre d’Études et de Prospective (CEP) du ministère de l’Agriculture en 2019, Actif’Agri propose une minutieuse radiographie du travail en agriculture et de ses acteurs – exploitants, salariés et aidants familiaux. De cette vaste enquête, retenons ici quatre points. 

Premièrement, le travail salarié s’accroît. Une tendance qui doit être mise en regard de la diminution du nombre d’exploitants, un agriculteur sur trois n’étant pas remplacé. Parmi les différents statuts possibles – CDI, CDD, CDD-saisonniers ou apprentis, ce sont les contrats saisonniers qui progressent le plus. En 2016, environ un tiers de la main-d’œuvre salariée des exploitations, évaluée en Unité de Travail Annuel15  (UTA), était assuré par des saisonniers. Mais la proportion change dès lors qu’on regarde le nombre de travailleurs concernés : sur les 756 000 salariés agricoles présents sur les exploitations en 2016, 532 800 étaient des saisonniers, soit 70 %. 

Deuxièmement, le recours au travail salarié diffère de façon manifeste d’une exploitation et d’un secteur d’activité à l’autre. « Les 10 % d’exploitations les plus grandes emploient 22 % de la main-d’œuvre totale, 14 % des actifs familiaux et 40 % des salariés », détaille J.-N. Depeyrot. Côté production, l’arboriculture et la viticulture sont les secteurs les plus friands de main-d’œuvre temporaire. 

Troisième phénomène, l’externalisation croissante de la main-d’œuvre. Auparavant marginale, la sous-traitance devient peu à peu courante, témoignant d’un changement du modèle agricole et du recul de la figure de l’exploitation familiale, encore majoritaire. En 2010, la main-d’œuvre dite externe était estimée à 8 000 UTA… contre 29 760 UTA en 2016. 

En dernier lieu, que sait-on de ces travailleurs ? « Ce sont des salariés plutôt jeunes, et ceux en CDD sont encore plus jeunes », explique J.-N. Depeyrot. Ainsi, 45 % des salariés hors CDI ont moins de trente ans et ce sont plutôt des « emplois masculins ». 

Sources : Conférence de J.-N. Depeyrot, Actif’Agri : « Transformations des emplois et des activités en agriculture », analyse n° 145, novembre 2019.



L’Homme invisible

Si le travail saisonnier et le recours à la main-d’œuvre étrangère sont une réalité dans plusieurs États membres de l’UE, ils prennent cependant des proportions diverses. Par exemple, en Italie, 932 000 travailleurs sont concernés par les contrats saisonniers ; ils assurent 59 % des UTA salariés. Après avoir fortement progressé ces dernières années, la main-d’œuvre étrangère y effectue désormais 36 % des emplois saisonniers. Au Royaume-Uni, le travail saisonnier concerne 37 % des travailleurs salariés. Il est cependant assuré à 95 % par des travailleurs migrants, qui œuvrent principalement dans le secteur des fruits et légumes. 

Dans leur note, C. Mitaritonna et L. Ragot précisent que « les données nationales officielles sous-estiment le rôle des migrants saisonniers dans l’agriculture » puisqu’elles « tiennent compte des travailleurs saisonniers recrutés par des entreprises de services situées sur le territoire national » mais « n’incluent pas ceux qui sont employés par des entreprises de services basées dans d’autres pays de l’UE ». Autrement dit, les travailleurs détachés . Rares sont les chiffres fiables sur le sujet. Actif’Afgri a estimé à 67 600 le nombre de travailleurs détachés ayant travaillé sur une exploitation française en 2016. 

Source : « After Covid-19, Will Seasonal Migrant Agricultural Workers in Europe Be Replaced by Robots? », op. cit.


Agroécologie : mode d’emplois 

Ce pourrait être un sujet de colle d’une école d’agro : par son moindre recours aux intrants chimiques, la transition agroécologique va-t-elle générer un surcroît de travail ? Et peut-on l’estimer ? Tandis que certains se lancent dans de surprenantes conjectures – un article de « L’Express » avance par exemple qu’une agriculture « affranchie des éléments chimiques » devrait mobiliser 20 à 30 % de la population active française16, les chercheurs planchent sur le sujet. Comme souvent, leurs conclusions sont un tantinet plus nuancées. Pour tenter d’objectiver la question, ils ont notamment étudié la charge de travail en agriculture biologique, entendue ici comme un exemple possible de pratiques agroécologiques. Résultat : tout d’abord, l’orientation productive va lourdement peser dans l’équation. « En maraîchage, il n’y a guère de différence car ce sont déjà des exploitations intensives en termes de charge de travail. En revanche, sur les bovins lait, on serait à 15 % de plus de main-d’œuvre et 26 % en grandes cultures », explique Cécile Détang-Dessendre, directrice scientifique adjointe agriculture à INRAE. Ensuite, la diversification des activités agricoles – par exemple la création d’ateliers de transformation ou le développement de la vente directe – va également faire bouger le curseur. Tout ne relève donc pas des pratiques aux champs. À ce stade, il s’avère encore difficile de tirer des conclusions générales sur la charge de travail que va induire la transition agroécologique. Pour C. Détang-Dessendre, « il faut être très prudent dans ce que l’on dit de la relation travail, emploi et agroécologie. D’un côté, les agriculteurs disent redonner du sens à leur métier et, de l’autre, le déploiement de ces pratiques leur demande souvent de travailler plus, dans un contexte où le temps de travail en agriculture dépasse déjà les niveaux des autres secteurs d’activité ».

  1. « Course contre la montre pour éviter une pénurie de saisonniers », Agra Presse, 27 mars 2020.
  2. « Les métiers au temps du corona», France Stratégie, avril 2020. 
  3. « No Food, Water, Masks or Gloves: Migrant Farm Workers in Spain at Crisis Point», The Guardian, 1er mai 2020. 
  4. « La sécurité alimentaire en France. La crise Covid-19 rebat-elle les cartes ? Les questions autour de la main-d’œuvre », Jean-Noël Depeyrot, colloque « État de l’agriculture en 2021. L’agriculture post-covid : global ou local ? », AAF, 10 février 2021.
  5. « After Covid-19, Will Seasonal Migrant Agricultural Workers in Europe Be Replaced by Robots? » C. Mitaritonna et L. Ragot, CEPII Policy Brief n°33, juin 2020.
  6. Rapport d’information n°535 (2019-2020) de MM. L. Duplomb, F. Montaugé, B. Buis et F. Menonville, déposé le 17 juin 2020. 
  7. Source : https://www.greelane.com/fr/sciences-humaines/histoire-et-culture/the-bracero-program-4175798
  8. Forte pénibilité du métier, manque de visibilité, défaut de formation complètent également cette liste. Voir le thread de la Revue Sesame de mai 2020 : https://twitter.com/RevueSesame/status/1258068913046372354
  9. « Saison agricole : “Si on embauche des locaux, on ne va pas sortir nos récoltes” », Le Monde, 15 mai 202O.
  10. Coronavirus, le manque de main-d’œuvre se fait sentir pour les cultures », France Bleu Occitanie, 1er avril 2020.
  11. Constatant la forte exposition des travailleurs saisonniers et mobiles à des « conditions de travail et de vie défavorables ainsi qu’au risque d’exploitation », le Conseil européen a invité en octobre 2020 la Commission à mener une étude sur ce sujet.
  12. « Les esprits s’échauffent autour de l’inclusion des droits des travailleurs dans la PAC », Euractiv.com, 18 février 2021.
  13. Voir son intervention lors de la 5e édition du Forum international de la robotique, le 8 décembre 2020, et son interview pour L’Usine Nouvelle, le 5 mars 2021. 
  14. « Comptabilité et communs : l’apport de la méthode Care », point d’étape du 8 décembre 2020, la Coop des communs. 
  15. elon l’Insee, « l’Unité de Travail Annuel (UTA) est l’unité de mesure de la quantité de travail humain fourni sur chaque exploitation agricole. Cette unité équivaut au travail d’une personne travaillant à temps plein pendant une année ». 
  16. « Le mythe de la relocalisation et de l’autonomie économique », L’Express, 30 avril 2020. 

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