Quel heurt est-il ?

Published on 29 octobre 2020 |

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[Covid-19, sciences en société] « Pourquoi accepte-t-on de payer si cher des produits qui ne le méritent pas ? »

Si vaccin contre le Covid-19 il y a, pourra-t-il devenir un bien commun,(presque) gratuitement accessibleàtoutes et tous ? Si le débat n’est pas encore tranché, il pose la question du modèle économique qu’il y a derrière la production et la commercialisation des traitements pharmaceutiques. Éclairages sur un marché qui dérive et quelques leviers à moindre coût, avec Hervé Chneiweiss, directeur du laboratoire Neuroscience Paris Seine-IBPS et président du comité d’éthique de l’Inserm.

En fait, on sait mal comment sont fixés les prix des médicaments, des traitements…
Le prix des innovations thérapeutiques (molécule chimique ou processus de soin) devient de plus en plus délirant car, avec le temps, la production est toujours davantage déconnectée de toute réalité économique. Désormais, le prix n’est plus établi au regard du coût de production, mais en fonction de ce que vous– ou votre assurance maladie –êtes prêt à payer. Un exemple de caricature de prix fou : le traitement pour l’amyotrophie spinale progressive découle de brevets de thérapie génique déposés par l’équipe Inserm-AFM de Judith Melki du Généthon1. Comment se fait-il que, partant d’une innovation publique, la start-up de biotech montée par l’AFM ait été rachetée, avec ses différents brevets, par une entreprise américaine afin de mener les essais cliniques impossibles à réaliser en France2, faute de moyens ? Puis, que cette start-up ait été rachetée très cher par le géant suisse Novartis, qui essaie de se rembourser en proposant le nouveau traitement au coût de l’ancien traitement, calculé sur la vie entière d’un individu, soit cinq millions de dollars (et finalement approuvé par la FDA américaine pour 2,2 millions de dollars) ? En réalité, cette innovation thérapeutique ne coûte pas ce prix. Mais, étant donné sa meilleure efficacité, Novartis estime qu’elle peut exiger un prix « économique » au regard du traitement actuel.

Comment agir, face à cette dérive ?
Le comité d’éthique de l’Inserm travaille sur la notion d’innovation frugale et cherche à répondre à deux questions : 1) Est-on capable de contrôler la chaîne de valeurs d’une découverte ? 2) Quelle innovation l’Inserm reconnaît-il ou récompense-t-il ? En fait, les institutions poussent l’innovation quand une propriété intellectuelle est à la clé en termes de nouveauté, de molécules ou de procédés. Par exemple, la stratégie de repositionnement de médicaments (réutilisation de molécules dont le brevet est échu)qui permet des avancées dans le traitement de cancers n’est pas encouragée, alors qu’elle serait bien plus économique que la création de nouvelles molécules et plus rapide à tester chez le patient. Sauf que, dans le système actuel de R&D encouragé par les pouvoirs publics, l’innovation doit créer de la propriété intellectuelle, être valorisable sous forme de brevets, de start-up ou de licence à des industries pharmaceutiques. Nous sommes dans une sorte de perversité de systèmes d’incitation à faire du toujours plus et toujours plus cher.
Ensuite, pourquoi accepte-t-on de payer si cher des produits qui ne le méritent pas ? Par exemple, la synthèse dudiméthyfumarate (DMF), une petite molécule immunosuppresseur utilisée dans la sclérose en plaques, revient à deux euros le kilo. Eh bien, le système de santé accepte de rembourser ce traitement à hauteur de 160 000 euros le kilo. Il faut établir le juste prix des médicaments plutôt que de toujours courir après la dernière molécule. Fascination pour la technologie, qui fait que rien n’est trop cher : les CAR-T pour l’immunothérapie des cancers, c’est formidable mais ça va être 500 000 euros par patient et par traitement. Voilà, à côté de ces avancées formidables mais hors de prix, il peut y avoir des avancées formidables et raisonnables : le Sloan Kettering à New York propose déjà des traitements par CAR-T, tous frais inclus et rentables selon eux, pour 100 000 dollars. Et le coût peut encore baisser. Concernant l’innovation en prévention par exemple, les initiatives européennes du millénaire contre les maladies associées à la pauvreté ont conduit à la distribution de moustiquaires imprégnées ou à l’éducation sanitaire pour assécher les eaux dormantes, pour lutter contre le paludisme. Résultat : sans nouvelle molécule, on est passé d’un million de morts par an en 2000 à 438 000 en 2016.
Reste que, aujourd’hui, l’idéologie dominante, c’est celle du coût public et du profit privé. Peut-être que celle qui émergera post-Covid peut signer le retour à un meilleur équilibre entre le bénéfice collectif et le bénéfice privé.

Les vaccins contre le coronavirus Sars-Cov-2 développés aujourd’hui sont souvent le fruit de collaborations public-privé, par exemple l’université d’Oxford et AstraZeneca…  
Oui, la loi Bayh-Dole de 1980 a ouvert la boîte de Pandore en incitant les universités américaines à breveter et valoriser leurs découvertes. Le système s’est ainsi transformé. À partir de cette époque, petit à petit, les industriels de la pharmacie ont liquidé leur recherche fondamentale. Tous les succès de ces groupes, que ce soit Astra, Pfizer ou Novartis, ne viennent pas de molécules produites en recherche interne, mais des biotech issues du secteur académique qu’ils ont rachetées. C’est le modèle dominant du Winner takes all. Un modèle financiarisé où l’industrie pharmaceutique est devenue le bénéficiaire final de l’innovation thérapeutique et se charge de l’emballage, du packaging, du marketing, de la distribution.
En résumé, voilà le schéma : un laboratoire public fait une découverte majeure ; une structure de valorisation est créée où est logée la propriété intellectuelle ;puis des systèmes de capital risque viennent financer la recherche et développement en aval. Huit de ces boîtes sur dix coulent, car au bout de cinq ans elles n’ont toujours pas fait la preuve que leur innovation deviendra un médicament. Mais les deux qui survivent deviennent des vecteurs d’innovation rachetés très cher par les Big Pharma, qui à leur tour vont valoriser le produit.

Pour aller plus loin, lire l’entretien in extenso avec Hervé Chneiweiss :
« Big Pharma : vers la fin d’une idéologie dominante ? »

Lire l’ensemble du dossier [Covid-19, sciences en société]

  1. Créé en 1990 par l’Association Française contre les Myopathies (AFM), Généthon est dédié à la conception et au développement de médicaments de thérapie génique pour les maladies rares.
  2. Pour le Covid, les essais se font sur plusieurs milliers de patients, ce qui représente des dizaines de millions de dollars ou d’euros, sans aucune garantie de succès. Le 9 septembre, on apprend ainsi qu’AstraZeneca suspend les essais cliniques de son vaccin, mené sur des dizaines de milliers de volontaires, en raison de l’apparition chez une personne d’une « maladie potentiellement inexpliquée », sans doute due à un effet secondaire grave. Mais qu’il a pu les reprendre trois jours après.

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