Publié le 17 octobre 2024 |
0Oranges, ô désespoir
Avec Eric Imbert, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), spécialiste de l’économie des filières. Propos mis en forme par Romane Gentil.
Vous connaissiez l’effet papillon ? Eh bien voici l’effet psylle. C’est l’histoire d’un insecte de quelques millimètres de longueur, Diaphorina citri, qui provoque en partie le chaos sur le marché mondial du jus d’orange concentré. La crise est sans précédent et affecte les deux premières régions productrices au monde d’oranges à jus. À commencer par la Floride, dont la récolte dégringole d’environ 200 millions de caisses culture par an avant 2005 à 20 millions seulement pour la saison 2023-20241. Au Brésil, qui à lui seul totalise 75% des exportations mondiales, la récolte est au plus bas ces deux dernières années : 316 millions de caisses en 2022-2023, 307 pour la campagne 2023-2024, contre près de 400 les années précédentes. Résultat : le cours du jus d’orange concentré a augmenté de 300% en 20 ans.
Cherchons la petite bête
Que s’est-il passé ? Tout commence en Asie, d’où vient la maladie du Huanglongbing (HLB), causée par une bactérie du genre Candidatus Liberibacter, dont le minuscule insecte de la famille des psylles est porteur. Ce « piqueur-suceur » transmet le microorganisme aux arbres en se nourrissant, lorsqu’ils plantent leur rostre dans le végétal pour ponctionner y la sève. La bactérie parasite alors le tissu conducteur des orangers, provoquant le jaunissement des feuilles et la déformation des fruits, qui deviennent amers. Pire, à terme, l’arbre meurt, car aucun traitement efficace n’a encore été trouvé. C’est en 2005 que le HLB, aussi appelé « citrus greening », ou encore « maladie du dragon jaune », est observé pour la première fois dans les vergers d’oranges floridiens, certainement importé par un voyageur imprudent en provenance d’Asie. Dans la foulée, la maladie ne tarde pas à se répandre en Amérique du Sud, notamment dans les vergers de la région de São Paulo.
Lire aussi : Les palmiers à huile, les orangs-outans et les peuples autochtones
Malgré l’augmentation des doses d’insecticides et des compléments nutritionnels administrés aux orangers, la Floride reste le principal territoire touché par le greening, avec une production divisée par dix depuis 2005. Cette grande vulnérabilité s’explique : les vergers de la région sont imbriqués dans le tissu urbain, où les agrumes ornementaux des particuliers sont de véritables réservoirs de contamination, impossibles à traiter. Et les récents cyclones n’arrangent rien : leurs vents violents balaient le territoire en y propageant la maladie. Au Brésil, où les vergers sont plus éloignés des habitations, la dispersion de la maladie est moins explosive. La production n’en est pas moins en perte de vitesse. La faute, cette fois, au changement climatique, qui entraîne une raréfaction des précipitations et des épisodes de chaleur extrême. En 2024, dans la « ceinture des agrumes », les pluies accumulées étaient inférieures de 54% par rapport à la moyenne historique. De fait, la prochaine récolte devrait encore chuter d’un quart cet hiver.
La recherche se presse
Aujourd’hui, le HLB a contaminé tous les recoins du globe. À deux exceptions près : l’Australie et le bassin méditerranéen. Ce dernier représente les 2/3 de l’exportation internationale d’agrumes frais, d’où l’importance d’un travail d’épidémiosurveillance efficace.
Face à l’inévitable propagation de la maladie, la recherche s’active pour gagner la course contre la montre. Depuis plusieurs années, le Cirad, l’Inrae et IT² (Institut Technique Tropical) et la Fredon (Fédération régionale de défense contre les organismes nuisibles) planchent sur la création de nouvelles variétés d’orangers résistants. En parallèle, ils développent des solutions de lutte biologique, dont la dispersion d’une micro-guêpe parasitant les psylles. Pour autant, les producteurs sont le plus souvent condamnés à arracher leurs arbres pour en replanter des sains.
Plus une goutte
De son côté, la demande est à la baisse depuis plusieurs années. En cause, la concurrence accrue des autres boissons à destination des jeunes consommateurs. Aux Etats-Unis, où la diminution est la plus marquée, la boisson a aussi un problème de réputation : face à l’augmentation des taux d’obésité et de diabète du pays, le jus d’orange est considéré comme trop sucré et donc mauvais pour la santé. À cela s’ajoute l’augmentation des prix du produit final qui dissuade les acheteurs.
Mais cette diminution de la consommation ne représente rien à côté de la crise de la production, dont un des dommages collatéraux est la diminution des stocks. Si elles étaient historiquement élevées, les réserves mondiales sont aujourd’hui en chute libre, ce qui contribue à l’envol des prix du concentré sur le marché mondial. Alors que la tonne s’échangeait à 2000 $ sur le marché de Rotterdam en 2008, il faut désormais compter plus de 7200 $.
À ce rythme, le jus d’orange va-t-il devenir un produit de luxe ? Il faut dire que c’est toute la filière qui est mise à mal. D’abord, malgré l’augmentation des prix du concentré, les producteurs font face à une absence de rentabilité ces dernières années, due à la chute des récoltes et à l’augmentation des dépenses liées aux traitements et à la plantation d’arbres sains. Ensuite, avec la baisse des volumes, l’industrie du jus d’orange est menacée, car son modèle économique repose sur des économies d’échelle. En Floride, le secteur a déjà perdu 50% des emplois. Pour autant, les transformateurs n’ont pas dit leur dernier mot. Parmi les solutions d’adaptation, certains optent pour la création de nouveaux mélanges de jus, dans lesquels l’orange est minoritaire. Dans les rayons, les « cocktail du matin », « mélange tropical » et autres astuces fleurissent à vue de nez. Certains envisagent même de demander la modification de la réglementation sur la mention « jus d’orange », pour pouvoir y intégrer les petits agrumes.
- La caisse « culture » d’oranges pèse 40.8 kg ↩︎