Par ailleurs Stockage de céréales

Published on 12 mars 2024 |

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Burkina Faso : l’effet insoupçonné du stockage de céréales

Le warrantage paysan, mis en place au Burkina Faso depuis 2005, offre une possible réponse aux défis de l’insécurité alimentaire dans les pays du Sahel en période de soudure. En échange d’un crédit, les producteurs stockent une partie de leur récolte dans des entrepôts collectifs, évitant ainsi les pénuries et garantissant en théorie des prix stables. Explications dans cet article extrait de la revue Sesame 14.

Par Élodie Maître d’Hôtel,

Économiste du développement à l’UMR Moisa du Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement (CIRAD), elle a mené une évaluation d’impact sur le warrantage dans l’ouest du Burkina Faso, avec Tristan Le Cotty (Cired-Cirad), Issoufou Porgo (Confédération paysanne du Faso), Julie Subervie (CEE-M-Inrae) et Raphaël Soubeyran (CEE-M-Inrae).

Élodie Maître d’Hôtel © Gilles Sire 2023

Les pays du Sahel, régulièrement frappés par des épisodes d’insécurité alimentaire, sont particulièrement vulnérables en période de « soudure », quand les stocks de céréales (mil, sorgho et maïs) de l’année précédente viennent à manquer, avant que survienne la nouvelle récolte. Une situation qui a une incidence directe sur les prix des céréales. Car, au sein d’une année, les prix augmentent en moyenne de 40 % entre les saisons de récolte et celles de  soudure. Or, en plus de stocks bas, les familles n’ont alors plus suffisamment de liquidités pour s’approvisionner sur les marchés, entrant dans des cercles vicieux d’endettement.

Au Burkina Faso, pour faire face à ce phénomène, les groupements de producteurs agricoles, en collaboration avec des institutions de microfinance, mettent en œuvre le « warrantage » paysan depuis 2005. Le principe : en échange d’un crédit auprès d’une institution bancaire ou de microfinance, les producteurs stockent une partie de leur récolte dans un entrepôt collectif, ce qui constitue la garantie – « warrant », en anglais – du crédit obtenu. Lequel permet à ces paysans de ne pas être contraints de vendre leurs céréales à prix bas en saison de récolte.

Deux conditions sont toutefois requises pour assurer la réussite du dispositif : d’abord, des infrastructures de stockage conçues pour résister aux attaques de ravageurs et aux infiltrations d’eau. Ensuite, des relations de confiance entre les institutions financières et les organisations de producteurs, qui ne se décrètent pas mais se construisent dans le temps. En effet, les céréales sont stockées pendant six mois dans un entrepôt scellé par un système de double cadenas, une clé étant détenue par le groupement et l’autre par l’institution financière.

Le warrantage permet dès lors aux producteurs qui le peuvent et le veulent de bénéficier de prix plus élevés et d’un « effet revenu », en « spéculant » sur l’augmentation saisonnière des prix. Mais il assure également à tous une disponibilité alimentaire en saison de soudure : c’est « l’effet sécurité alimentaire ». Ces deux effets ont été mis en évidence dans huit villages burkinabè ayant eu accès à des entrepôts de warrantage, dans le cadre du projet européen FARMAF (Gestion du Risque Agricole en Afrique) entre 2013 et 2016. Par rapport aux villages témoins, la période de soudure a, en moyenne, diminué de deux semaines, tandis que l’augmentation des revenus a encouragé les investissements agricoles, avec une augmentation moyenne de 1,8 hectare par exploitation. Mais c’est un autre élément, plus surprenant, qui a particulièrement retenu notre attention : certains producteurs ont stocké une partie de leurs céréales sans demander de crédit en retour !

De fait, le warrantage les protège d’une forme de pression sociale qui les oblige à redistribuer, mais aussi de leur propre tentation. En saison de récoltes, ces derniers peuvent en effet avoir tendance à « surconsommer », pour répondre à des besoins certes physiologiques mais aussi sociaux : il faut payer les frais médicaux et de scolarité, participer à des cérémonies, nombreuses en cette période de l’année, ou se montrer solidaires entre ménages. L’un d’eux rapportait ainsi que « le stockage à la maison subit des pertes, et la famille est le premier ravageur » [1]. Épargner ses récoltes loin des yeux, c’est donc une façon de mieux gérer la disponibilité de ses ressources vivrières tout au long de l’année et donc de se prémunir contre l’insécurité alimentaire. Ainsi, le warrantage se révèle être bien plus qu’un simple outil de spéculation ou d’accès au crédit.

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[1] A Ghione., Kambou F., Le Cotty T., Maître d’Hôtel E., Malnoury G., « Le warrantage paysan, un outil de protection des ressources », Revue Grain de Sel n° 59-62, p. 17-18, 2013.

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