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Publié le 26 novembre 2024 |

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Les amis d’Idéfix

Dans sa dernière chronique pour le 16e numéro de la revue Sesame, Manau, agriculteur bigourdan, soulève une question peu évoquée dans le débat public : malgré des intérêts communs sur bien des sujets, « pourquoi écologistes et paysans en arrivent non pas à se détester mais, tels deux aimants, à se repousser ? »

Longtemps, je me suis interrogé sur l’incapacité qu’ont écologistes et agriculteurs à s’entendre alors qu’ils défendent des intérêts communs. C’est à l’occasion d’un débat entre les deux parties que mon cerveau de rustre s’est soudainement dilaté pour, enfin, devenir efficace. Profitons de l’anecdote pour souligner l’importance capitale du débat, trop rare à mon goût, qui permet, s’il n’apporte que rarement des solutions, de mettre en parallèle les éclaircissements nécessaires à l’analyse et à la construction de la conviction…

Ce jour, donc, l’un des intervenants, ardent défenseur de la forêt et de l’arbre vante les mérites de l’association arbre-prairie pour l’élevage. Éleveur de bovins à l’herbe, j’adhère totalement à son discours, étayant même son argumentaire par l’exposé de données pratiques et vécues, confirmant la véracité de son exposé. J’ai en tête un frêne centenaire dont le feuillage se répand sur plusieurs mètres au-dessus du pâturage, faisant office de parapluie par temps venteux et pluvieux, de parasol rafraîchissant et ombrageux en saison sèche et ensoleillée. Une aubaine pour les animaux, nettement plus efficace que les ombrelles des plages niçoises ou biarrotes. Tout va bien. Les deux parties sont en harmonie sur le sujet.

Les choses vont se gâter lorsque je pousse le raisonnement à l’extrême en faisant part de mon expérience récente. Depuis quelques jours, j’ai abandonné l’élevage bovin, après en avoir apprécié le rapport contrainte-rentabilité, pour me consacrer pleinement à la production de céréales, non pas que j’espère une meilleure rémunération, mais au moins le rapport temps de travail-résultats comptables me paraît plus approprié. Le frêne centenaire, atout d’une époque, devient du jour au lendemain une contrainte. L’aire géographique feuillue qui va surplomber mes nouvelles cultures va amputer mes revenus. Je n’ai eu d’autre choix que de l’abattre. Les amis d’Idéfix sont atterrés.

Atterrés sans doute par l’image de cet arbre centenaire, lieu de vie, combattant victorieux des éléments violents qu’il a affrontés, à la fois puissant et amical, robuste et frémissant, qui va se fracasser au sol, emportant dans le vacarme de sa chute un siècle d’histoire. Atterrés par le choc de la réalité. Celle de la vie du paysan contraint de sacrifier un ami pour sa propre survie. Je suis le bourreau qui, de sa lame affutée, a tranché la carotide gorgée de sève… Mais qui est le donneur d’ordre ?

Le technicien de l’industrie aéronautique, à la fois soucieux de son alimentation et ravi qu’un accord bilatéral, troquant gigot néo-zélandais contre A320 toulousain, lui assure un avenir matériel contractualisé ? Le coopérateur, oubliant sa vocation première visant à valoriser les productions de sa base pour, au contraire, générer par l’importation une concurrence meurtrière ? L’étudiant, amateur opportuniste de kebab et de hamburger pour boucler son budget écran ? L’élu et sa hantise de la réélection ? le végan ? le journaliste ? l’économiste ? le scientifique ? le paysan lui-même ? Tous et personne à la fois… Une forme de nébuleuse puissante composée de particules si fines qu’il est impossible d’en dégager un responsable unique.

Outre le fait que l’anecdote permet de visualiser l’intérêt d’un système précis d’élevage, balayant les discours extrémistes du « zéro barbaque », elle permet d’expliquer pourquoi écologistes et paysans en arrivent non pas à se détester mais, tels deux aimants, à se repousser. Pour l’un, la nature est un métier avec les contraintes induites : rémunération, rentabilité, investissements, pérennité économique. Pour l’autre, la nature est un loisir, une passion, un cadre mais les besoins matériels sont assurés par une autre source.

Soyons optimistes. Bien poser le problème, c’est déjà source d’apaisement pour une entame de résolution.

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