Quel heurt est-il ? Nouvelles technologies génomiques

Published on 20 février 2023 |

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« Il faut penser les nouvelles technologies génomiques avec une approche politique globale »

Propos recueillis par Valérie Péan

Avec trois lettres seulement, c’est déjà la cacophonie. Les uns disent NBT (New Breeding Techniques), d’autres évoquent plus précisément les NGT  (New Genomics Techniques) ou encore sa version française, NTG, pour Nouvelles Techniques Génomiques. Dans cette forêt d’acronymes, certains ont tranché et parlent d’ « OGM cachés ». De quoi réveiller les collectifs et les arguments d’il y a vingt ou trente ans, quand faisaient rage de violentes batailles, jusque dans les mondes pas si feutrés de la recherche scientifique.

Mais de quoi parle-t-on au juste ? C’est à partir des années 2000 que se sont développées ces méthodes nouvelles, et plus encore depuis la mise au point en 2012 de CRISPR-Cas9, qui permet à moindre coût de modifier beaucoup plus précisément le génome d’une plante, d’un animal ou d’un micro-organisme. Une mutagenèse dite dirigée, car elle induit une modification sur une séquence ciblée de l’ADN. Réparer, inactiver,  ou rajouter un gène… pour quoi faire ? En termes d’applications végétales, les ambitions sont affichées: meilleure tolérance à la sécheresse, résistance aux maladies, qualités nutritionnelles, sur fond d’adaptation au changement climatique et de souveraineté alimentaire.

Les critiques aussi qui, pêle-mêle, s’interrogent comme autrefois sur le modèle économique et ses effets de concentration ou ses conséquences sur la biodiversité, la traçabilité de ces nouvelles variétés et l’information du consommateur, la multiplication des brevets qui verrouillent l’innovation et autres sujets de dissensus. Un débat avivé par la perspective à court terme d’un changement de réglementation européenne. En clair, le « toilettage » de la directive communautaire de 2001, qui définit les OGM, en réglemente les utilisations et, point important, en exempte un certain nombre de procédés techniques.

En ligne de mire : les plantes issues des NTG doivent-elles, ou non, être soumises aux mêmes obligations que les OGM « classiques » ? Bref, un paysage complexe et multi-facettes, dans lequel toutefois des réflexions collectives ont le mérite de baliser des chemins. C’est le cas de l’avis de l’Académie des Technologies, rendu public le 15 février 2023. Son pilote, Bernard Chevassus-au-Louis, bénéficie d’une autorité scientifique incontestable mais aussi d’une aura de « sage » (sa modestie dût-elle en souffrir). Biologiste et humaniste, il s’est prêté au jeu du grand entretien.

Sorti major de sa formation de biologiste, le normalien Bernard Chevassus-au-Louis s’est spécialisé dans la génétique des poissons. Un chercheur de classe exceptionnelle qui fut directeur général de l’INRA (1992-1996), avant de naviguer dans plusieurs sphères, mais toujours au sommet de la vague : président du Centre national d’études vétérinaires et alimentaires (1997-1999) puis de l’Agence française de la sécurité sanitaire des aliments, vice-président de la commission du génie biomoléculaire (1998-2002), ou encore président du Museum national d’histoire naturelle (2002-2006). Membre de l’Académie des technologies depuis 2008, il a conduit plusieurs rapports et missions remarquables notamment en matière d’évaluation environnementale, de biovigilance, d’analyse et de gestion de risques. En 2015, il succède à Hubert Reeves à la tête d’une association à laquelle il demeure très attaché et au beau nom d’ Humanité et Biodiversité.

Vous inscrivez clairement votre avis dans le sillage du conflit sur les OGM. Le monde de la recherche en a-t-il tiré les leçons pour aborder aujourd’hui le cas des plantes issues des Nouvelles Techniques génomiques (NTG) ?

Bernard Chevassus-au-Louis : Ce qui m’intéressait, c’était effectivement d’inscrire ce travail dans la mémoire « chaude » des OGM et d’expliquer qu’il fallait prendre en compte, quoi qu’on en pense, cette « culture profane » que la société a développée à cette occasion. Car repartir d’une feuille blanche, comme on l’a fait avec les nanotechnologies, risque de nous conduire dans le mur. Or j’ai vu bien des fois des gens honnêtes intellectuellement présenter leur nouveau savoir-faire sur la face brillante. Mais une innovation, c’est aussi une perturbation, qui va remettre en cause des acteurs, des pratiques, des organisations et qui ne sera donc pas toujours accueillie positivement. Et plus votre innovation est importante, plus la perturbation le sera.

Dans le même ordre d’idées, cet avis porte un autre message important : une technologie nouvelle ne sera jamais évaluée par les citoyens sur le plan technique. Leur cadre d’analyse et leur rationalité ne consistent pas à se demander « comment ça marche ? », mais « qu’est-ce que cela change ? ».

D’ailleurs, les mouvements de contestation actuelle, portés notamment par des associations environnementales, parlent d’ «OGM cachés » à propos des NTG. Pour eux, la page n’est pas blanche du tout.

Oui, car entre les premiers OGM des années 1990 et les technologies nouvelles, ont émergé discrètement, dans les années 2000, les Variétés Rendues Tolérantes aux Herbicides (VRTH), elles aussi dénoncées par certains collectifs comme des « OGM cachés », car obtenues, pour certaines, non plus par la sélection de mutants spontanés, mais par mutagenèse in vitro ou in vivo. Dans le rapport 1 que j’avais présidé sur les OGM au Commissariat général au plan, en 2001, nous avions déjà alerté sur la mise en culture de ces variétés dans le silence des campagnes et sur un possible réveil à ce propos de la critique et du débat public. Cela a maintenu effectivement vivante la rhétorique des opposants, prête à être réutilisée aujourd’hui contre les nouvelles techniques génomiques.

Il semble qu’il y ait un problème de vocabulaire pour désigner ces nouvelles technologies, communément présentées comme des outils d’«édition» génomique.  Or en français, éditer, c’est publier, faire paraître…

Après une discussion assez courte, nous avons opté dans l’avis pour l’expression « réécriture » du génome. Car l’édition est en effet une mauvaise traduction de l’anglais editing (« correction », « modification »). La notion de réécriture semblait plus proche du sens anglo-saxon pour évoquer le fait qu’on réécrit des morceaux du génome à partir de son alphabet.

Mais cette image d’alphabet et de réécriture du génome ne laisse-t-elle pas penser qu’on en maîtrise toutes les lettres pour « rédiger » ce qu’on veut ?

A ceci près que depuis les premiers OGM, la conception de ce qu’est le génome a évolué, passant du paradigme informatique à celui des systèmes dynamiques. Dans les années 70 et 80, on évoquait le « programme », le « code » à quatre lettres, l’ « information »… Une fois séquencé le génome, on pouvait presque penser qu’il n’y avait plus rien à savoir et à comprendre. Or, depuis, on sait à l’inverse que c’est là que tout commence : comment cette information va-t-elle être activée, régulée, traduite ? Nous voilà dès lors dans le système complexe et dynamique, dont une des propriétés est qu’il est difficilement prévisible dans la globalité de ses interactions.

Continuons sur le vocabulaire… Comment appeler ces plantes dont on a réécrit une partie du génome? Sont-ce des OGM ou pas ?

Nous avons été assez consensuels sur ce point. Ne tournons pas autour du pot :  la définition officielle des OGM qui figure dans la directive européenne – « un organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle » – fait que ces plantes relèvent des Organismes Génétiquement Modifiés. Certes, cette directive a un caractère un peu contingent, exemptant par exemple certaines méthodes au nom d’une utilisation traditionnelle, alors que d’évidence, elles modifient le génome. D’où ce débat que nous avons eu : les plantes issues des NTG doivent-elles être évaluées comme des OGM, ou en s’appuyant sur les différentes exemptions existantes ?

Dans votre avis, vous ne préconisez pas pour autant une refonte de cette directive. Pour quelle raison ?

Se lancer dans l’élaboration d’une nouvelle directive est très lourd. Cela va prendre dix ans. Sachant qu’ensuite, il y a l’étape de la transposition dans les droits nationaux… Il est préférable dans l’immédiat de regarder toutes les possibilités qu’ouvre la directive actuelle, même imparfaite, et de toiletter la liste des annexes, qui listent notamment les techniques qui entrent dans le champ de l’application de la directive et celles qui en sont exemptées, pour tenir compte de l’évolution des technologies.

Là aussi de manière consensuelle, nous avons estimé que pour les techniques dites SDN3 (Lire encadré « CrispR-Cas 9 et ses applications »), qui visent à insérer un gène complet d’une autre espèce dans le génome de la plante, doivent être évaluées comme les OGM classiques, même si à la différence de ces derniers, on estime savoir où on insère le transgène. En revanche, et sous réserve qu’on vérifie que rien d’autre n’a été modifié, la stratégie qui consiste à réécrire un gène d’une plante, en s’inspirant d’un autre gène présent chez des espèces dites apparentées (SDN2), pourrait faire l’objet de dérogations, car c’est très proche des phénomènes de mutation. Mais jusqu’où va-t-on dans la notion d’espèces apparentées ? Il y a des zones grises.

Toute discipline scientifique est potentiellement totalitaire.

Au-delà de la réglementation, le cas des NTG connait plusieurs points de friction, dans des registres très différents : les conflits de représentation de la nature, la conception de l’agroécologie, la propriété intellectuelle, la concentration économique des entreprises semencières, l’effet sur la biodiversité, la coexistence des filières, la détectabilité et la traçabilité… Exactement les mêmes qui émaillaient le conflit des OGM !

Effectivement, il n’y a pas de nouveaux registres de la controverse. Du moins je n’en vois pas d’autres qui viendraient renouveler la rhétorique. Sans vouloir les hiérarchiser, je m’attarde sur la question de la naturalité, sur laquelle nous réfléchissons beaucoup au sein de l’association Humanité et Biodiversité. Avec ce constat : expliquer qu’il y a un certain continuum de la biodiversité et que nous sommes une espèce, non pas comme les autres mais parmi les autres, déstabilise fortement une partie des citoyens qui considèrent l’être humain à part, voire supérieur. Ils aiment d’autant plus la nature qu’elle est perçue comme une altérité, un lieu exempt de toute trace humaine. Vouloir changer ces représentations est un peu vain et nécessiterait plusieurs générations… 

Surtout, on ne peut pas parler de biodiversité à longueur de journée et refuser qu’existe une biodiversité des représentations et des cosmologies. Je la vois personnellement comme une richesse. Concernant plus précisément les NTG, les cas où celles-ci réécrivent quelque chose que la « nature » a déjà écrit dans des espèces voisines, et dont on connaît la fonction, nous semblent scientifiquement défendables et socialement compréhensibles.

Les partisans de ces technologies arguent de l’excellence scientifique et de la course internationale dans laquelle nous aurions pris du retard vis-à-vis des Etats-Unis et de la Chine qui déposent déjà beaucoup de brevets.  En somme, s’en passer en France et en Europe serait catastrophique. Ce même raisonnement avait été tenu pour les premiers OGM. Or force est de constater aujourd’hui que, malgré l’interdiction depuis 2008 des cultures OGM dans l’Hexagone, notre agriculture et nos industries semencières ne se sont pas effondrées… Que penser de cette affirmation selon laquelle « il n’y a pas d’alternative » ?

C’est l’objet de la conclusion forte du rapport : non pas le fait qu’il n’y aurait pas d’alternative, mais qu’il faut penser ces nouvelles technologies génomiques avec une approche politique globale : Il s’agit de décider si l’on mobilise ces techniques autour d’un projet global et cohérent sur l’avenir de l’agriculture, au regard de tous les défis autour de la transition agroécologique, ou si l’on choisit de s’en passer. Dans notre avis, nous mentionnons effectivement que l’agro-industrie française et européenne n’a pas été affaiblie par l’interdiction des OGM. En particulier parce que parmi les applications les plus importantes, figurent le soja et le coton, qui ne concernent guère nos semenciers.

Mais il ne faut pas généraliser cette conclusion : il me semble que, vu le potentiel de ces technologies, il y a un risque fort de décrochage de la compétitivité de nos semenciers s’ils ne peuvent utiliser ces nouveaux outils et nous avons voulu le dire. Et puis, Il y a là peut-être un créneau pour l’émergence de start-up souhaitant se lancer avec ces méthodes génomiques pour aborder des espèces « orphelines », c’est-à-dire peu travaillées par les semenciers existants, ou pour créer des variétés adaptées à des contextes locaux.

On oppose souvent ceux qui ont une approche dite systémique, appréhendant la complexité des interactions entre les sols, les plantes, les nutriments, les pratiques… et ceux qui auraient une vision « moléculariste », réduisant le vivant à l’ADN. Peut-on espérer dépasser ce clivage avec les NTG?

Ayant navigué sur diverses planètes académiques, j’ai tendance à dire que toute discipline scientifique est potentiellement totalitaire. A un moment donné, pour des raisons diverses, elle prétend tout expliquer ou apporter des solutions à tous les problèmes. Je citerai dans le désordre les mathématiques, la physique, la génétique, la neurobiologie, l’économie, l’écologie… Il est intéressant de constater qu’à chaque échec de cette prétention, la science rebondit. C’est ainsi qu’une nouvelle discipline émerge et je trouve cette « dynamique évolutive » passionnante.

Cela dit, je suis peut-être optimiste, mais j’ai tendance à penser que ma discipline,  la génétique, a connu mais à maintenant passé ce stade « d’ubris ». Regardons dans l’état actuel de chaque discipline, avec un peu de modestie, ce que chacune peut faire ou pas. Avec cet horizon : il y a des chantiers concrets, où des agriculteurs attendent la recherche pour continuer à vivre à peu près correctement de leur activité. Eux ne se nourrissent pas d’idées et de concepts. D’ailleurs, si on a créé de grands organismes de recherche thématiques, tels l’Inra, l’Inserm ou l’Ifremer, c’est quand même bien pour ça, et non pour cultiver indépendamment les grandes disciplines, ce qui est le rôle de l’Université.

D’un point de vue plus personnel, que vous a appris le pilotage de ce groupe de travail et de l’avis qui en est issu ? Avez-vous eu des étonnements à cette occasion ?

L’étonnement majeur, c’est à quel point cela s’est bien passé, alors même que la composition de ce groupe était très plurielle, comprenant notamment de « grands brûlés » des OGM ! La méthodologie a compté. Nous nous sommes inspirés d’une intervention que Michel Badré2 avait faite à l’Académie à propos de la manière de gérer des controverses : la première étape consiste à faire un constat de dissensus, en listant de manière exhaustive les points sur lesquels il y a des questionnements ou des controverses. Puis à les traiter un par un. Et parvenir à écrire collectivement une synthèse. C’est ce que nous avons fait.

La problématique des NTG ayant de multiples facettes, nous nous sommes mis d’accord pour la décomposer en dix modules (du bilan des OGM passés jusqu’à la traçabilité des plantes NTG, en passant par l’économie de l’innovation, l’évaluation ou encore l’expertise socio-économique). Cela a permis à chacun de travailler à son rythme durant l’été, avec un rendez-vous en septembre.  Quand j’ai recueilli leurs productions pour proposer non seulement un texte de synthèse mais une mise en perspective, eh bien, les analyses ont très vite convergé.

Il ne faudrait pas qu’on nous refasse le coup de  «l’âge de l’innocence » des débuts.

Le rôle de la recherche publique est-il essentiel dans cette affaire ?

Oui. Si elle n’entreprend rien, vue la dynamique économique actuelle, les NTG vont se focaliser, comme ce fut le cas des OGM, sur les niches économiques les plus rentables. En effet, l’essentiel du coût de développement d’une nouvelle variété, c’est la phase de R&D et il est donc compréhensible que l’on cherche à amortir ce coût en ciblant les espèces cultivées sur des surfaces importantes. Les nouvelles technologies n’ont pas de finalités intrinsèques : elles vont là où les situations dominantes les appellent.

Finalement, à quelles conditions la société accepterait-elle ces plantes issues de ces technologies ?

Si celles-ci sont présentées de manière crédible comme étant au service d’un projet qui intéresse la société tout entière, dans les domaines de l’alimentation, de l’agriculture et de l’environnement, cela peut passer. Si, en revanche, elles sont seulement considérées comme un ‘truc’ de plus dans la boite à outils de gens qui, surtout si ce sont des firmes internationales, continuent leur « business » comme avant, il est à craindre qu’on ressorte les couteaux. Un exemple concret : le tournesol. On voit bien qu’avec la guerre en Ukraine, premier exportateur mondial en la matière, la question des huiles alimentaires se pose de manière cruciale, avec cette idée :  il nous faut relancer leur production sur notre territoire. Travailler avec des technologies génomiques sur des semences de tournesol qui n’intoxiquent pas les pollinisateurs et qui s’insèrent dans une conception agroécologique, pourrait apparaître acceptable aux yeux des citoyens.

Reste que la notion d’agroécologie est très floue.

C’est un chercheur d’Inrae, François Casabianca qui, un jour, m’a signalé l’importance des concepts flous pour faire avancer les idées. Il a pris l’exemple chinois du moyeu de la roue. Si on enlève le moyeu, tout le monde va se demander ce qu’il faut mettre au milieu pour que les barreaux puissent rayonner tout autour… Certes, la vision scientifique aime bien avoir des idées carrées, des concepts bien définis, mais des mots comme « développement durable », « nature » ou « agroécologie », permettent à chacun de s’en emparer, d’y trouver l’occasion de proposer des contenus et de prendre à ce titre des engagements concrets. Ce sont des outils de dynamique sociale intéressants.

En revanche, il faudrait en finir avec « l’économie de la promesse », selon l’expression forgée par Pierre-Benoît Joly 3, dans laquelle les OGM devaient permettre de nourrir le Monde.   

Une remarque d’abord.  Quand les biotechnologies végétales sont apparues, avant même que ce mot existe, elles n’ont rencontré aucune interrogation. C’était une biologie « sympathique », dans une ambiance paisible et optimiste.  Certains de de ces pionniers ont ainsi vécu l’irruption du débat public comme « étonnante » au sens étymologique, comme un coup de tonnerre. Or cette génération est en train de disparaître et il ne faudrait pas qu’on nous refasse le coup de  «l’âge de l’innocence » des débuts. Concernant l’économie de la promesse, je suis d’accord, mais il faut toutefois veiller à ne pas basculer de l’autre côté du cheval. Certes, nous devons être conscients que toute innovation est surévaluée, dans sa dimension positive, par son auteur (et sous évaluée dans ses effets négatifs éventuels). Il ne faudrait toutefois pas tomber dans cet autre discours : « la République n’a pas besoin de savants !»4

Soyons plutôt pragmatiquement sceptiques, je dirai plutôt « agnostiques » vis-à-vis des technologies. Les bonnes innovations sont rares et nous devons à la fois, pour affronter les défis de demain, avancer sur deux jambes : poursuivre la recherche de ces « bonnes innovations » et chercher des solutions en nous appuyant sur les savoir-faire d’aujourd’hui. Et, si certaines technologies nouvelles  allègent l’obligation de la sobriété, on ne pourra que s’en réjouir. C’est ce type d’équilibre qu’il faut trouver. Si nous disons que nous n’en avons pas besoin de progrès technologique, nous porterons une responsabilité toute aussi lourde que ceux qui disent que la technologie à elle seule pourra nourrir le Monde.

Nota bene : Pour aller plus loin, on peut également consulter ce récent document d’Inrae : Carole Caranta, Mathilde Causse, Fabien Nogué, Annabelle Déjardin, Emilie Gentilini, et al.. État des
connaissances sur la contribution des technologies d’édition du génome à l’amélioration des plantes
pour la transition agroécologique et l’adaptation au changement climatique.
INRAE. 2022.


OGM : vingt ans de conflits

« L’année 2023 marque le quarantième anniversaire de la production des plantes OGM. C’est en effet en Belgique en 1983[ …] qu’une première plante « transgénique », un tabac porteur d’un gène de résistance à un antibiotique, a été produite ». Dès les premières pages de l’avis de l’Académie des Technologies, le ton est donné. Pas question d’oublier la virulence des débats sur les OGM qui, en France, ont marqué un tournant dans les relations sciences et société.

Pour comprendre, revenons dans les années 1990. Déjà en 1986, la catastrophe de Tchernobyl et la trajectoire de son panache radioactif avait fissuré la confiance des Français dans les propos rassurants des pouvoirs publics. Viennent ensuite l’affaire du sang contaminé – triple scandale sanitaire, financier et politique – et la crise de la vache folle.

Ambiance… C’est sur ce terreau on ne peut plus anxiogène qu’en 1996, l’arrivée en France d’un cargo américain de soja transgénique suscite la Une choc de Libé : « Alerte au soja fou ». Très vite, des associations, militants et producteurs de la confédération paysanne se mobilisent. Et dès l’année suivante, ont lieu les premiers fauchages d’essais au champ. Les sondages le montrent : les Français expriment un rejet massif de ces OGM rebaptisés par certains « Opinions Grossièrement manipulées ». Que sont ces premiers OGM ?

Des plantes de grande culture -le maïs, le soja, le colza et le coton- dont le patrimoine a été modifié par l’insertion d’un gène issu d’une bactérie. L’objectif : rendre ces plantes modifiées résistantes soit à un ravageur, soit à un herbicide. Les promesses des multinationales, dont Monsanto ? Principalement vaincre la faim dans le Monde, réduire les pesticides et améliorer la santé des agriculteurs.

Des arguments sans effet sur les inquiétudes et les oppositions qui se cristallisent autour de plusieurs terrains : dans le désordre, les risques environnementaux de dissémination de « flux de gènes » ; les risques sanitaires (« du poison dans nos assiettes ») ; l’appropriation du vivant par le système des brevets ; la transparence de l’information via l’étiquetage des produits contenants des OGM… Sans oublier la mise en cause d’un modèle économique favorisant la concentration des entreprises semencières.

Malgré une tentative de démocratie technique menée par l’Etat, avec l’organisation sur le sujet d’une conférence des citoyens, en juin 1998, les mobilisations s’amplifient, se coordonnent et prennent diverses formes, y compris dans les prétoires avec des recours en justice, les contre-expertises se structurent, et le conflit divise jusque dans les communautés scientifiques. Un climat qui conduit la France à interdire en 2008 la culture des OGM à des fins commerciales, y compris le fameux maïs MON810, seule plante transgénique autorisée pour la culture au niveau européen. Quant aux essais au champ, aucune demande d’autorisation n’a été demandée depuis 2013. Restent les importations : en Europe et donc en France, une centaine d’OGM ou leurs produits dérivés sont autorisés pour l’importation et l’utilisation alimentaire (humaine et animale), soumis à un étiquetage obligatoire.

CRISPR-Cas9 et ses applications

CRISPR-Cas9 est un complexe formé de deux éléments : d’un côté, un brin d’ARN, de séquence homologue à celle de l’ADN que l’on veut exciser, qui va reconnaître la séquence homologue sur l’ADN et s’y placer ; de l’autre, une enzyme capable de couper l’ADN, le Cas9. Le « trou » laissé par l’action de ce complexe pourra alors être comblé par n’importe quel nouveau fragment d’ADN. On distingue trois types de « réparation » :

Les réparations SDN1 (SDN = nucléases site-spécifique) : les « trous » sont réparés par les mécanismes naturels de la cellule. Cette réparation peut engendrer des délétions et/ou insertions (d’une ou de plusieurs bases) et/ou des mutations ponctuelles (substitutions).

Les techniques désignées par le terme SDN2 utilisent une « matrice » ADN de réparation similaire sur toute sa longueur à la séquence ciblée, à l’exception de courtes régions et/ou délétions et/ou insertions (d’une à quelques bases) situées dans sa zone centrale. Elles peuvent être utilisées pour obtenir des mutations ponctuelles choisies et des délétions (et insertions de petite taille) contrôlées.

Enfin, les techniques dites SDN3 utilisent une matrice de réparation dont la séquence ne ressemble pas à la séquence ciblée. Elles permettent notamment d’introduire un transgène, comme c’est le cas de la « transgenèse classique » mais le site d’intégration du transgène au sein de l’ADN génomique est choisi par l’expérimentateur.

Source : Avis de l’Académie des Technologies

GLOSSAIRE

L’édition du génome : cette expression, peu explicite,  désigne les processus de modification génétique ciblée, grâce à des « ciseaux moléculaires » tels Crispr-Cas9. C’est la précision de ces techniques qui est mise en avant, notamment au regard de celles utilisées pour les premiers OGM, qui consistaient  à introduire un gène « étranger » (voire « transgenèse ») à un emplacement aléatoire du génome d’un organisme vivant. 

Nouvelles Techniques Génomiques : elles désignent les techniques apparues depuis les années 2000, visant à modifier le « matériel » génétique d’un organisme, principalement en inactivant un gène, en le modifiant ou en insérant des fragments d’ADN plus ou moins importants, voire un gène entier. Parmi elles, figure celle de Crispr-Cas9, mais elle n’est pas la seule.

Mutagenèse : ce terme désigne le processus d’apparition d’une mutation dans l’ADN d’un organisme vivant.  Cette apparition peut être spontanée, donc « naturelle », ou provoquée volontairement. Il y eut d’abord la mutagenèse aléatoire qui consiste à exposer des végétaux à des rayonnements ou des agents chimiques pour modifier leur génome. Puis la transgenèse : l’insertion aléatoire d’un gène étranger (de bactérie, par exemple) dans une plante. Enfin, la mutagenèse est dite dirigée quand elle vise des emplacements ciblés du génome, par exemple avec CRISPR-Cas9, sans que soit nécessaire l’insertion de matériel génétique.

Nouvelles Techniques Génomiques : elles désignent les techniques apparues depuis les années 2000, visant à modifier le « matériel » génétique d’un organisme, principalement en inactivant un gène, en le modifiant ou en insérant des fragments d’ADN plus ou moins importants, voire un gène entier. Parmi elles, figure celle de Crispr-Cas9, mais elle n’est pas la seule.

La transgenèse : celle-ci consiste à insérer un gène « étranger » (un « transgène ») dans le génome d’un organisme. Par « étranger », entendons qu’il est issu d’une espèce incompatible sexuellement avec celle du receveur.

LIRE AUSSI :

  1. https://www.vie-publique.fr/rapport/25061-ogm-et-agriculture-options-pour-laction-publique
  2. Ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, qui a conduit notamment la médiation en 2017 du projet de Notre-Dame des Landes. Il préside actuellement le Comité consultatif commun d’éthique INRAE-Cirad-Ifremer-IRD.
  3. Économiste, président du Centre Inrae Occitanie-Toulouse.
  4. Telles auraient été les paroles attribuées au président du Tribunal révolutionnaire au moment de la condamnation à mort du chimiste Lavoisier en 1794, après la suppression de l’Académie des sciences par la Convention.

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