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De l'eau au moulin Parc national du Djurdjura

Publié le 20 septembre 2024 |

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[Forêts algériennes 3/3] Le Parc National du Djurdjura : un écrin de biodiversité au défi du développement

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Niché entre les wilayas de Tizi Ouzou et de Bouira, au nord de l’Algérie, le Parc National du Djurdjura (PND) s’étend sur 18 550 hectares de montagnes en Kabylie. Créé en 1925 et classé réserve de biosphère par l’UNESCO en 1997, le Parc est reconnu pour sa biodiversité exceptionnelle. Il abrite des cèdres de l’Atlas, des pins noirs endémiques, des singes magots, des hyènes rayées, des gypaètes barbus et des aigles royaux. Géré par la Direction Générale des Forêts sous l’égide du Ministère de l’Agriculture, du Développement Rural et de la Pêche, le parc joue un rôle crucial dans la recherche scientifique sur les milieux naturels et l’éducation environnementale. Il est fréquenté par de nombreux chercheurs et étudiants.

Depuis 1999, le Parc a élaboré quatre plans de gestion et un cinquième est en cours. Contruits selon une approche intégrée et participative, ces plans prévoient de conserver les écosystèmes, de promouvoir l’écotourisme et de renforcer les capacités des populations locales. Cependant, la mise en œuvre en reste incomplète. Le suivi écologique est faible et la sensibilisation du public connaît des lacunes. Il reste donc des défis majeurs. De même, la gestion des ressources naturelles et l’harmonisation des efforts de toutes les parties prenantes sont également des enjeux cruciaux.

Par Salah Najah, agronome et agroéconomiste
Visuel : parc national du Djurdjura © Massi Amaouz

Actions d’écodéveloppement et valorisation patrimoniale

Une attention particulière a été accordée aux populations locales dans les zones centrales et périphériques du Parc National du Djurdjura afin de concilier leurs besoins avec les objectifs de protection et de développement du parc. Des actions de proximité ont été entreprises pour créer des opportunités économiques, améliorer le cadre de vie et sensibiliser à la conservation de la nature, réduisant ainsi leur impact sur les milieux naturels. Ces initiatives d’écodéveloppement ont inclu la distribution de plants fruitiers, le développement de l’apiculture (presque 1000 ruches ont été distribuées), la mise en valeur de 1 315 hectares de terres et la réhabilitation de systèmes d’irrigation sur presque 8 km.

La conservation du patrimoine naturel

Pour assurer la conservation du patrimoine naturel au sein du Parc, des travaux sylvicoles ont été menés sur 1 270 hectares. Des efforts ont été faits pour assainir les forêts incendiées et dépolluer des habitats sur 245 hectares ; des clôtures ont été construites sur 6 km afin de protéger les réserves intégrales. Pour lutter contre l’érosion et améliorer l’aménagement du territoire, le Parc a également fait construire des murets et aménagé des points d’eau et 111 kilomètres de pistes. Des études approfondies sont menées sur les groupes de singes magots (Macaca sylvanus), la végétation, la sensibilité aux incendies, les ressources en eau mobilisables et le schéma directeur d’aménagement.

Le Parc, forces et faiblesses

Du côté des opportunités, le parc bénéficie d’une riche biodiversité, d’espaces naturels uniques, d’une activité touristique prometteuse et d’un fort engagement des populations locales. Sur le plan économique, il contribue à lutter contre la pauvreté en permettant des activités économiques durables telles que l’écotourisme. Sur le plan social, il valorise les savoir-faire locaux et favorise la participation des populations riveraines.

Mais le Parc est sensible aux perturbations externes, notamment celles du tourisme non régulé, qui peut accentuer l’érosion des sols et les problèmes de gestion des déchets. Il dispose de peu de ressources humaines qualifiées, manque de financement et de visibilité, sa gestion dépendant entièrement des pouvoirs publics. Sur le plan environnemental, les changements climatiques et les pressions anthropiques constituent des menaces importantes. Sur le plan économique, concilier développement économique et préservation de la biodiversité est un défi. Enfin, sur le plan institutionnel, l’instabilité politique et les difficultés de coordination entre les acteurs impliqués représentent des défis à surmonter.

La fréquentation touristique

Depuis 2009, les visiteurs sont des hommes à 84% (les femmes pratiquent moins les activités de montagne), et surtout des jeunes de 15 à 34 ans que l’aventure attire (61,11 %). Les employeurs constituent la catégorie principale de visiteurs, tandis que les cadres et ouvriers sont moins représentés en raison de contraintes de temps. La plupart de ces visiteurs proviennent des wilayas de Bouira (46,82 %) et de Tizi Ouzou (23,76 %) en raison de la proximité géographique.

C’est au printemps, en mars, qu’il y a le plus de visiteurs (58%), les conditions étant idéales pour les sorties. Ils viennent pour le calme de la forêt, se promener et se détendre (65%), ensuite pour découvrir la nature (11 %) et pique-niquer (11 %). Les sites les plus fréquentés, Tikjda, Tala Rana et Tala Guilef, sont accessibles par pluseurs routes et équipés d’infrastructures d’accueil. Tizi Boussouil est également très fréquenté les week-ends et en été. L’affluence touristique, estimée à 12 000 – 15 000 visiteurs chaque week-end et plus de 500 000 visiteurs dans l’année, exerce une pression significative sur les écosystèmes du parc. Elle perturbe leur équilibre et impacte la faune, la flore, les habitats et les fonctions écologiques. Le tourisme, crucial pour l’économie locale, engendre des défis environnementaux exacerbés par la présence de déchets plastiques.

Les populations riveraines

Le Parc National du Djurdjura abrite 19 communes, 12 sur le versant nord et 7 au sud, ce qui englobe 70 villages. La population directement riveraine du parc est estimée à environ 80 000 habitants. La gestion du territoire doit à la fois préserver la diversité biologique et paysagère du Parc, prévenir les incendies de forêt et les délits, protéger la société et l’économie ainsi que réguler la fréquentation touristique pour éviter le tourisme de masse. Cette gestion doit renforcer les mécanismes participatifs et de gouvernance, ainsi que promouvoir les savoirs locaux et des opportunités de développement durable. Les organisations non gouvernementales et associations environnementales jouent alors un rôle essentiel dans l’auto-organisation de la société et la poursuite d’objectifs communs.

Des associations nationales, régionales et locales s’impliquent dans les aires protégées

Jusqu’aux années 2000, le mouvement associatif était principalement axé sur des activités culturelles. Cependant, au fil du temps, il a progressivement pris conscience des enjeux environnementaux. Cette évolution s’est traduite par la création d’un grand nombre d’associations écologiques. En Algérie, selon le Ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales, on recensait, à la date du 10 janvier 2012, 61 associations nationales et 1 938 associations locales agréées à caractère environnemental, soit environ 2% du nombre total des associations. Le Djurdjura est le foyer de diverses associations écologiques et environnementales, ce qui reflète l’intérêt croissant de la société civile pour la protection de cet écosystème. Ces associations œuvrent dans divers domaines : conservation de la nature, éducation à l’environnement, écotourisme, développement durable, protection des animaux, gestion des déchets. Dans la wilaya de Tizi Ouzou, environ trente associations écologiques sont actives, et d’autres intègrent également la protection de l’environnement dans leurs actions. De même, la wilaya de Bouira compte une quinzaine d’associations environnementales, chacune ayant des objectifs spécifiques. Toutes contribuent à la préservation et à la promotion d’une gestion durable des ressources naturelles, sensibilisent la population locale et collaborent avec les autorités pour des initiatives environnementales d’ampleur.

Un programme de proximité

Lancé au début des années 2000 dans le cadre du Renouveau Rural, le Programme de Proximité de Développement Rural Intégré (PPDRI) a pour but de revitaliser les zones rurales en Algérie par des réformes et des politiques de développement. Impliquant étroitement les populations locales, le programme intègre diverses actions, de la diversification économique à la protection de l’environnement, en passant par le soutien aux jeunes entrepreneurs et l’amélioration des infrastructures. Favorisant une approche participative, il cherche à créer une synergie entre les acteurs.

Dans le massif du Djurdjura, il existe trois sortes d’acteurs du développement et ils sont complémentaires :

  • Les acteurs publics, tels que les services agricoles, les services forestiers, et les agences nationales de soutien à l’emploi des jeunes (ANSEJ) et de gestion du microcrédit (ANGEM) jouent un rôle essentiel dans la protection de l’environnement et l’insertion économique.
  • Les acteurs civils, les comités de village surtout, dont l’expertise et l’ancrage local permettent de façonner des solutions adaptées aux besoins de la population.
  • Les collectivités locales, à travers leurs élus, sont les architectes de politiques et de projets qui façonnent l’avenir du massif en harmonisant les aspirations communautaires avec les impératifs de développement durable.

Comme ailleurs en Algérie, dans le Djurdjura et depuis 2010 environ, le défi est de diversifier les acteurs du développement en encourageant l’émergence d’organisation civiles et privées pour lutter contre le chômage. Cependant, ces nouvelles entités ne sont pas décentralisées et manquent de proximité, tandis que les associations civiles manquent de moyens et de participation locale. Enfin, peu de changements touchent les institutions ou les méthodes. Des lacunes apparaissent en termes de participation, de proximité et de décentralisation, comme de coordination. La valorisation des ressources locales et la protection de l’environnement en pâtissent.

Une multitude de projets

Aujourd’hui pourtant, au cœur du massif du Djurdjura, une multitude de projets sont porteurs d’espoir. Le initiatives d’insertion économique des jeunes offrent un tremplin à l’entrepreneuriat local. En parallèle, les projets de développement rural intégré cherchent à transformer le paysage économique et social en intégrant des actions variées telles que l’agriculture, le tourisme et la préservation environnementale. Sur le front touristique, des projets ambitieux sont discutés, notamment la création d’un centre de formation et d’un parc de loisirs, tandis que la valorisation des ressources locales comme le liège, le bois et les métiers traditionnels inspirent de jeunes entrepreneurs.

Mais la protection de l’environnement reste un défi majeur, malgré les efforts déployés par les organisations civiles et les services forestiers pour sensibiliser et préserver les richesses naturelles du massif.

Trois projets collaboratifs et associatifs modèles sont conduits dans les domaines de la conservation et du développement socio-économique.

Le premier projet, mené par l’APE de Tizit, vise à dispenser une éducation environnementale aux écoliers de Souk el Had et Illilten. Les objectifs sont d’inculquer aux jeunes des valeurs de respect, de solidarité et de citoyenneté en organisant des journées environnementales, des projections éducatives, des jeux culturels, le nettoyage des alentours des écoles, des randonnées pédagogiques et des campagnes de plantation. Une deuxième phase du projet veut assurer la conservation de la forêt Tizggi N At Maatuq. Ce volet prévoit la plantation d’arbres de différentes espèces, le reboisement des zones incendiées, l’amélioration des sentiers pour les randonneurs, l’installation de panneaux informatifs et la création d’aires de détente.

Le second projet, proposé par l’association Agama, ambitionne de créer une micro-pépinière et une aire de récréation à Abi Youcef. L’objectif est de fournir aux habitants des plants d’arbres fruitiers, d’ornement ou forestiers, ainsi que des herbes aromatiques et des rosiers. Le projet veut ressusciter les traditions agricoles locales et promouvoir une agriculture biologique de montagne. Il comprend la production de fruitiers traditionnels (figuier et olivier), la culture de légumes, de petits fruits et d’herbes aromatiques. Une aire de récréation fleurie sera aménagée en espace de détente pour les villageois.

Le troisième projet, initié par l’association Tikjda, est d’aménager un sentier de randonnée équipé jusqu’au village abandonné d’El Kelaa-Tikjda. Il cherche à impliquer la société civile dans les efforts de conservation.

Tous posent les bases d’un mécanisme de collaboration robuste entre les associations locales et le Parc pour un avenir plus durable et construit en commun.

Des intérêts et des perceptions divergents

La protection de l’environnement dans le Djurdjura repose principalement sur les services des forêts, qui sont dépassés par les coupes illégales et les incivilités touristiques1. Les associations elles, manquent de moyens comme d’implication. La participation, la proximité, la décentralisation sont insuffisantes, tout comme la coordination entre les acteurs.

D’autre part les perceptions divergent : les jeunes blâment l’incompétence des élus et l’administration pour leur immobilisme, malgré les ressources disponibles. Les élus misent uniquement sur le tourisme et pointent un manque de motivation chez les jeunes. Les organismes publics se plaignent du manque de moyens et de responsabilité de la population, et les comités de village se limitent à la gestion des conflits sans prendre d’initiatives de développement.

En conclusion, ni les nouvelles orientations mettant l’accent sur la durabilité, l’implication communautaire, ni la diversification des acteurs dans le massif n’ont permis de surmonter les défis du développement et du chômage.

Au sein du parc national même, les débats sur la réglementation des pratiques ont révélé des divergences entre les autorités du parc, la Direction Générale des Forêts (DGF) et les riverains, notamment sur la cueillette des Produits Aromatiques et Médicinaux (PAM), autorisée uniquement pour la consommation familiale.

Une confusion persiste sur la perception des limites territoriales du parc et complique l’application des règlements2.

Du côté de Tizi Ouzou, on privilégie divers produits agricoles de terroir comme l’arboriculture, la culture de l’olivier, le maraîchage et les PAM cultivés en périphérie du parc. L’apiculture se développe et la fabrication de ruches est en expansion. La culture de champignons et de variétés arboricoles de terroir en pépinière sont également en croissance, malgré les défis que pose la commercialisation en l’absence de filières organisées. Le tourisme, bien qu’il soit une source de tensions, offre des opportunités : un gîte écotouristique, le Gîte du Capitaine (Lire encadre « Le Capitaine, un gîte écologique »), a été créé récemment dans le village de Timeghras et les activités écotouristiques sont promues via les réseaux sociaux.

Du côté de Bouira, malgré des tensions accrues et une perception négative du tourisme, il existe des produits de terroir valorisables : tomates, cerises, figues et piments. Du côté des acteurs, il reste à clarifier les règlements, à renforcer la gouvernance et à instaurer un dialogue inclusif entre toutes les parties prenantes pour une gestion équilibrée du parc. Dans l’ensemble, il serait souhaitable d’articuler l’écotourisme avec la valorisation des produits de terroir et de s’inspirer des expériences réussies de pays voisins comme la Tunisie avec la « route du patrimoine Unesco » ou comme le Maroc qui labellise des produits du terroir et les promeut sur des plateformes internationales pour renforcer le potentiel touristique de ses zones rurales. De même en France neuf activités agrotouristiques existent sous la marque Bienvenue à la Ferme3 : ferme-auberge, produits vendus à la ferme, ferme équestre, etc.

« Le Capitaine », un gîte écologique

Timéghras est le village le plus au sud de la wilaya de Tizi Ouzou. Situé sur le versant nord du Djurdjura, il est directement surplombé par le mont Thaletat. Massi Amaouz, un jeune homme de 37 ans originaire de Kabylie, y réside. Il est à la fois cuisinier et maçon de métier.

A l’idée de louer comme gîte la maison familiale qui n’était pas utilisée, il a longuement réfléchi, troublé de voir la maison quitter le cercle intime de la famille.

Entre 2017 et 2022, il l’a restaurée avec des matériaux traditionnels, la pierre taillée et le bois, ornée de poteries et de tapis anciens.

Il partage aujourd’hui ce lieu de tranquillité avec des visiteurs et leur permet de découvrir la beauté de la région. Depuis l’ouverture du gîte, il a accueilli des hôtes de 13 nationalités différentes, surtout des Français, sans oublier les touristes locaux, qui ont tissé des liens avec la population locale.

Massi encourage d’autres habitants à créer des hébergements écotouristiques. La Kabylie regorge de richesses à découvrir : son histoire, sa culture et ses paysages à couper le souffle. Le nom du gîte, « Le Capitaine », est un hommage à son père, que les combattants de la guerre d’indépendance avaient surnommé ainsi, à 10 ans, pour son courage et son dévouement.

Lire aussi

  1. En juillet 2023, le directeur du Parc National du Djurdjura a signalé à la presse un grave manque d’agents de terrain, résultant du gel de postes par le ministère des Finances et du non-remplacement des agents partant à la retraite depuis cinq ans
  2. En vertu de la loi n°11-02 du 17 février 2011, relative aux aires protégées, le zonage du parc national est passé de cinq à trois zones définies comme suit : la zone centrale (34,87 %) qui recèle des ressources uniques et où seules les études scientifiques sont autorisées ; la zone tampon (52,26 %) qui entoure ou jouxte la zone centrale permet des pratiques écologiquement viables (éducation environnementale, loisirs, écotourisme, visites guidées, recherche) mais aucune activité qui serait susceptible d’altérer les équilibres en place ; la zone de transition (12,87 %) qui entoure la zone tampon protège les deux premières zones et accueille les actions d’écodéveloppement. Les activités de récréation, de détente, de loisirs et de tourisme y sont autorisées.
  3. Marque déposée par l’Assemblée permanente des Chambres d’agriculture (APCA).

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