Publié le 24 janvier 2019 |
0Diversification des systèmes de cultures : les défis
par Didier Stilmant et Frédéric Vanwindekens, Centre wallon de Recherches agronomiques
Dóra Drexler, ÖMKi, Hungarian Research Institute of Organic Agriculture
Kevin Morel, Université Catholique de Louvain, Earth and Life Institute
Eva Revoyron, Inra-Ecole Supérieure d’Agriculture d’Angers
Walter Rossing, Farming Systems Ecology, Wageningen University
Luca Colombo, Fondazione Italiana per la Ricerca in Agricoltura Biologica e Biodinamica (FIRAB)
Antoine Messéan, Président de l’Association Française d’Agronomie (AFA), directeur de recherche Inra
En 2018, Sesame publiait l’article « Diversification : qu’est-ce qui freine ? ». Depuis, le programme DiverIMPACTS a étudié de près un vaste ensemble d’expériences de diversification au sein de systèmes de cultures annuelles, dans le temps (cultures multiples sur une année, allongement des rotations) comme dans l’espace (cultures associées par exemple), et cela dans toute l’Europe, de manière participative. Les premiers résultats permettent de mieux voir quels bénéfices les agriculteurs, les différents chaînons des filières et la société peuvent tirer de systèmes diversifiés, et comment.
La diversification des cultures est un des leviers potentiels pour développer des systèmes moins gourmands en intrants (engrais, produits de protection des plantes, etc.), plus respectueux de leur environnement et plus durables. En effet, la spécialisation des rotations et des territoires ont des conséquences négatives à plus d’un titre : (i) utilisation accrue des ressources naturelles (engrais et donc énergie fossile et émission de GES) suite à la disparition des légumineuses dans les rotations ; (ii) augmentation de l’utilisation des pesticides suite à une augmentation des pressions occasionnées par les adventices, parasites et maladies dans les systèmes simplifiés ; (iii) réduction de la biodiversité associée à des habitats homogènes et à une utilisation accrue des pesticides ; (iv) contribution à la stagnation des rendements ; (v) réduction de la fourniture de services écosystémiques et de biens publics en général. Malgré ses avantages, la diversification est limitée par une série de freins, comme le montre l’étude conduite en France par Meynard et al. (2018)1.
Dans ce contexte, le projet DiverIMPACTS2, a pour objectif global d’étudier l’ensemble des bénéfices et des potentialités qu’offre une plus grande diversité d’espèces au sein de systèmes de cultures annuelles. Cette diversification, qui se réfléchit dans le temps (cultures multiples sur une année, y compris les cultures de service ou de couverture, allongement des rotations) comme dans l’espace (cultures associées, cultures en bandes), apparaît comme une solution clé pour le développement d’agroécosystèmes multifonctionnels moins gourmands en intrants.
DiverIMPACTS se base, notamment, sur l’analyse d’expériences de diversification et sur une recherche participative. Incluant vingt-cinq initiatives mises en place par les acteurs eux-mêmes, le programme vise à mettre en évidence les bénéfices de ces systèmes pour les agriculteurs, les différents chaînons des filières et pour la société. Son second objectif est de mettre à la disposition des acteurs des innovations techniques, organisationnelles et institutionnelles pour lever les freins existants et bénéficier pleinement des diversifications.
Des expériences de diversification en Europe
Dans le cadre d’une enquête menée par les chercheurs, 128 expériences de diversification de systèmes de cultures, identifiées au sein de quinze pays européens, ont été analysées.
Elles présentaient différentes stratégies de diversification. Dans 50% des cas, de nouvelles cultures de rente, fourragères ou de service, sont introduites. Dans près de 15 % des cas, c’est l’association d’espèces au sein d’une même culture qui est mise en œuvre. Le développement de cultures multiples représente 10% des expériences avec, principalement, sauf dans les systèmes maraîchers, la mise en place d’une culture de service après la culture de rente. Dans les quelque 20% d’expériences restantes, les pratiques mettent en oeuvre, à part égale, deux voire l’ensemble de ces stratégies de diversification.
Les cultures utilisées afin de complexifier les rotations sont, dans 33% des cas, des protéagineuses ou de la luzerne. Dans 25% des cas, ce sont des céréales, y compris les pseudo-céréales que sont le sarrasin et le quinoa. Dans 20% des cas, des légumes, y compris des pommes de terre, sont introduits dans la rotation. Les plantes oléagineuses et les cultures industrielles, à vocation énergétique notamment, représentent chacune 10%.
Les cultures associées sont pour 25% des cultures en bandes, principalement des productions de légumes. Dans les 75% de cultures intimement associées au sein d’une même parcelle, plus de 90% mobilisent une légumineuse, à graine généralement (66 % des cas). Lorsque la légumineuse ne produit pas de graines commercialisables, elle est utilisée comme culture de couverture ou de service associée à la culture de rente.
Concernant les cultures multiples, 80% environ sont des couverts d’intercultures, des cultures de service intégrant des légumineuses annuelles ou pluriannuelles. Les 25% de situations n’intégrant pas de légumineuse implantent ces intercultures en tant que piège à nitrate. Les 20% des expériences qui mobilisent non pas des cultures de service mais bien des cultures de rente se rencontrent principalement en systèmes maraîchers dont les cycles de cultures sont, en général, plus courts.
Parmi les expériences de diversification recensées, 32% ont été initiées au niveau d’une exploitation, 40% comptent moins de 20 agriculteurs et 28% plus de 20. Dans plus de 66 % des cas, ces expériences innovantes de diversification sont dans une phase de diffusion à l’attention d’autres agriculteurs, dans leur contexte régional.
Diversifier, pourquoi ?
Ces initiatives de diversification ont pour objectif de réduire l’empreinte environnementale de leur production (33% des répondants), de stabiliser leurs rendements (50%) et d’améliorer leurs revenus (50%).
Parmi les facteurs clés qui, selon eux, permettent une diversification efficace au regard de ces objectifs, près de 66% des acteurs soulignent l’engagement et l’expertise des personnes engagées dans le collectif. Viennent ensuite (40%) le fait que des solutions techniques, des outils adaptés soient disponibles et qu’une organisation opérationnelle existe entre les acteurs. Les échecs sont principalement imputés à de mauvaises conditions de marché ou à l’absence d’intrants adaptés (semences, etc.).
Il est dès lors logique que les personnes interrogées désignent d’abord le développement des interactions entre les acteurs comme un catalyseur pour réussir, puis celui de solutions agronomiques adaptées et, enfin, d’un contexte économique favorable.
Logiquement, les trois principaux freins identifiés correspondent, en creux, à l’absence de chacun de ces trois éléments catalyseurs. La réglementation apparaît ensuite comme le facteur le plus limitant pour le développement des stratégies de diversification.
Meynard et al. (2018) avaient déjà identifié, comme principaux freins, un manque de références techniques, la concurrence avec les grandes espèces sur le marché et la diversité des modes de coordination entre les acteurs. Au niveau agronomique, ils soulignaient avant tout la nécessité d’accroître les progrès génétiques pour les espèces mineures ainsi que le manque de solutions de protection des plantes. Dans la présente enquête, les acteurs soulignent la nécessité de développer des alternatives résilientes face aux stress hydriques ainsi que des solutions pour la gestion des adventices et la protection des cultures d’une manière générale.
Une recherche participative
Divers producteurs et acteurs des filières, agents du développement, transformateurs, distributeurs, chercheurs, etc., mettent en œuvre des stratégies de diversification des systèmes de culture afin d’en accroître la durabilité. DiverIMPACTS accompagne vingt-cinq de ces groupes innovants dans leur dynamique.
Ces initiatives ont été sélectionnées afin de couvrir une large gamme de stratégies de diversification (cultures associées, cultures multiples, allongement des rotations, etc.) et d’organisation des filières mais également une large palette de conditions de sol, de climat et de contextes administratifs européens. Sur la base des stratégies mises en oeuvre, elles ont été réunies en cinq groupes qui se recouvrent partiellement (http://www.diverimpacts.net/case-studies.html) afin de permettre l’émergence de communautés de pratiques, un enrichissement mutuel et le partage de solutions avec les équipes de recherche. Ces cinq groupes suivent, respectivement, une stratégie principalement axée :
(1) sur l’implantation de cultures multiples en intégrant des cultures de service, valorisables comme ressources fourragères ou biomasse énergétique, entre leurs cultures commerciales ;
(2) sur la mobilisation de légumineuses, fourragères ou à graines, en vue de diversifier les rotations sous un climat plus sec, plus continental ;
(3) sur l’utilisation de cultures associées, principalement des céréales et des légumineuses à graines (protéagineux). L’innovation réside tant dans l’organisation spatiale de ces associations (mélange intime ou bandes parallèles plus ou moins larges) que dans les développements nécessaires en aval de la filière afin d’en permettre la valorisation ;
(4) sur la production et la valorisation de légumes, sous serre ou en plein champ ;
(5) sur ces différents leviers avec, en soutien à la mise en œuvre de nouvelles cultures de rente, le développement des filières de valorisation correspondantes.
Des ateliers pour co-innover
Les pilotes de ces stratégies de diversification participent à trois ateliers de co-innovation. L’objectif est d’équiper les participants afin de leur permettre d’accompagner les dynamiques en place ou naissantes (1) en identifiant les opportunités à saisir et/ou les obstacles à surmonter, (2) en développant, avec les acteurs des filières, des stratégies d’intervention et de suivi des performances des systèmes mis en œuvre.
La mise en œuvre de systèmes de cultures diversifiés nécessite non seulement le développement d’innovations agronomiques mais également organisationnelles ainsi que des aménagements et innovations systémiques, c’est-à-dire en profondeur, pas seulement à la marge, en amont et en aval des filières. Les ateliers doivent permettre de mettre en place un cadre suffisamment flexible, basé sur une planification adaptative, pour les acteurs.
Ces ateliers ont également permis d’inventorier les différents freins et leviers rencontrés lors du développement de ces initiatives.
Des barrières à la diversification
Une série de barrières existent à l’échelle tant des exploitations et des filières que des différents maillons allant des producteurs aux consommateurs.
A l’échelle des exploitations
Quel que soit le groupe, les connaissances (1) nécessaires à la mise en œuvre des stratégies de diversification, (2) relatives aux performances économiques et aux impacts de ces stratégies, ne sont pas aisément disponibles. La disponibilité, le coût du matériel végétal initial (semence) ou des machines agricoles nécessaires, tant pour la conduite de la culture que pour la gestion du produit récolté, représentent également des freins pour près de 50% des expériences accompagnées. Les porteurs de ces démarches soulignent, à plus de 40%, que la rentabilité du système dans le contexte économique et législatif actuel représente une barrière. Les faibles performances agronomiques des cultures innovantes et les incertitudes concernant la stabilité de leurs performances sont une question pour plus de 50% d’entre eux. Finalement, plus de 30% des groupes innovants mettent en avant la complexité de la gestion de systèmes de cultures diversifiés. Elle en limite l’adoption, d’autant plus qu’elle est accompagnée par des barrières culturelles et traditionnelles au changement (« mon père ne cultivait pas de lentilles, pourquoi moi je le ferais ? »).
En aval
La problématique des volumes, qui doivent être suffisants pour permettre le développement de chaînes de transport et de stockage rentables, est soulevée dans plus de 66% des expériences. Celle du tri des produits l’est spécifiquement par les groupes mobilisant des cultures d’association. Autres freins, la compétition des cultures de diversification avec des produits moins chers sur le marché international et les normes sanitaires ou de qualité minimale, en particulier pour des débouchés vers l’alimentation humaine (25 et 20 %).
Co-construire la coordination entre les acteurs, un élément clé
Près de 40% des expériences pointent la difficulté à mettre en œuvre des actions collectives entre les agriculteurs et le manque de communication entre les acteurs tout au long de la filière. Autant de freins au développement de coopérations qui pourraient aboutir à la fourniture de volumes significatifs pour les filières afin d’établir une réelle contractualisation entre les maillons impliqués. L’absence de prix garanti avec une distribution claire de la valeur ajoutée est pointée comme une barrière majeure (66%). 40% jugent que des contrats pluriannuels permettant de prévoir la durée des approvisionnements pourraient être un levier important pour soutenir les investissements et les risques que prennent les agriculteurs innovants.
Pour conclure
Ces premiers résultats soulignent l’importance des stratégies de diversification et le rôle prédominant des légumineuses en tant que culture de rente ou culture de service. Les barrières identifiées au sein des groupes d’innovation et les facteurs qui permettent un développement fructueux des expériences de diversification concordent : il est nécessaire que des collectifs engagés et porteurs d’une expertise dans le domaine soient capables de fédérer et d’organiser l’ensemble des acteurs de la filière autour de l’objectif fixé.
Deux inquiétudes concernent la stabilité des rendements et la rentabilité des systèmes. Le projet DiverIMPACTS porte une attention particulière à la caractérisation de la performance non pas d’une culture en tant que telle mais bien de la culture inscrite dans une rotation diversifiée afin d’en définir les performances directes mais également indirectes sur la qualité de l’écosystème ainsi que sur les performances des cultures ultérieures. Parallèlement, il accompagne les équipes dans la mise en œuvre d’une approche participative et réflexive qui devrait leur permettre de mobiliser les acteurs clés pour atteindre un objectif commun et partagé.
- Meynard J.M., Charrier F., Fares M., Le Bail M., Magrini M.B., Charlier A., Messéan A., 2018. Socio-technical lock-in hinders crop diversification in France. Agronomy for Sustainable Development, 38:54. https://doi.org/10.1007/s13593-018-0535-1
- Le projet DiverIMPACTS est soutenu par le programme cadre européen Horizon 2020. Pour en savoir plus : https://www.diverimpacts.net/