Sciences et société, alimentation, mondes agricoles et environnement


De l'eau au moulin

Publié le 15 mars 2021 |

24

De quoi la viande cellulaire n’est-elle pas le nom ?

Une chronique de Claude Boiocchi, consultant et philosophe
(photo : FX D’Hollander)

Présentée par ses promoteurs comme une solution prodigieusement ingénieuse, la « viande cellulaire » semble s’imposer comme le nouvel eldorado qui séduit les investisseurs et excite les entrepreneurs les plus avant-gardistes. Songez que cette fascinante alternative nous sauverait à la fois de la sous-alimentation à venir et nous libérerait de notre soumission fautive à l’élevage intensif cruel, polluant et dévastateur. Mais de quoi parlons-nous au juste lorsque nous nous laissons aller à convoquer cette étrange expression pour tenter de conjurer notre sort ?

Pour tenter de répondre à cette question, il nous faut d’abord nous interroger sur le sens que nous attribuons aux mots et à l’importance que nous accordons à cette forêt de sens. En effet, nous vivons dans un monde bruissant de mots, des mots qui se disent, qui s’écrivent et nous servent à identifier des choses, des individus, des êtres, et notamment à les penser sous une forme organisée et dénombrable. Dès lors que nous comprenons ce que peux signifier une chose, ce que peut être une entité vivante, nous nous sentons capables de la désigner et d’en compter les manifestations.

Ainsi nous nous représentons notre environnement en repérant la présence de ce que nous pensons être un arbre, une pomme, une fourmi, un chien, une chaise, un voilier, un avion, etc. Or, pour qu’une chose soit comptable il faut qu’elle soit « une » afin que nous puissions en percevoir une autre puis d’autres équivalentes.

Ce qui nous ramène à cette fameuse dénomination de « viande cellulaire » appelée également « viande cultivée » ou « viande de culture », et qui selon Wikipédia : « est un produit carné réalisé par des techniques d’ingénierie tissulaire qui se passent ainsi de l’abattage d’animaux. Elle est produite à partir de cellules animales, que l’on fait croître en dehors du corps de l’animal. » Ainsi, nous parlons d’une substance produite en cuve à partir de prélèvements et cultivés indéfiniment en tenant compte d’un cahier des charges nutritionnel, gustatif et esthétique censé satisfaire notre appétit carnivore tout en réduisant considérablement notre impact fautif sur la planète et le monde animal.

Seulement voilà, cette création laborantine en passe d’être industrialisée (à un coût et dans des conditions encore peu communiqués !) n’est pas à proprement parlé de la viande, ou partie d’un animal ayant vécu, mais seulement le résultat d’une extrapolation tissulaire savamment assaisonnée pour tromper du mieux possible et d’aucuns diront de manière éthique, le consommateur reconnaissant de ne plus avoir à porter sa croix de pécheur viandophile impénitent.

Mais comment donc nous représenterons-nous ce que nous mangerons lorsque l’essentiel de nos nourritures ne seront plus comptables ?

Lorsque nous en serons à ingurgiter de la pâte d’origine animale produite par mètres cubes dans de gigantesques cuves supervisées par des « bouchimistes » formées dans les écoles dont rêve déjà Elon Musk, Xavier Niel  et consort ?

Comment parviendrons-nous à nous figurer que nous sommes vivants, vulnérables et organiques lorsque nos parfums seront de synthèses, comme notre viande et l’essentiel de ce qui devrait nous renvoyer ce que nous sommes fondamentalement et auquel nous participons depuis bien avant notre naissance : le monde des vivants et l’universalité des phénomènes naturels vitalisants ?

Tags: , , ,




24 Responses to De quoi la viande cellulaire n’est-elle pas le nom ?

  1. gilbert espinasse dit :

    Mes amis : « technique sans éthique n’est que ruine pour l’homme », qui que vous soyez et peu importe votre activité. La Vie ne pourra jamais s’expliquer qu’avec des équations ,ni de « mémoire artificielle « .
    N’oublions pas que nous possédons, tous deux potentiels d’action et d’évolution : la raison…..,et l’intuition !. à méditer ……?

  2. gilbert espinasse dit :

    Dans le cas qui nous concerne ,il s’agit bien de la division cellulaire assistée…,bidouillée (?)
    Le vivant se caractérise par sa capacité à se reproduire pour continuer l’espèce et ceci sans intervention humaine .

  3. Liénard Gilbert dit :

    En cas de « succès »….qui entretiendra les 9.5 millions d’hectares de prairies NATURELLES, , »toujours en herbe », dont font partie les estives et les alpages, – si appréciés des touristes…. Les rajouter aux 17 millions d’hectares de forêts existantes , souvent mal gérées (sauf celles de l ‘Etat »…) ??? Ainsi les paysages se fermeront…Adieu Pâquerettes !! .Bon courage l

    • Hélène dit :

      Eh bien les ovins, bovins, caprins actuels, auxquels on fichera la paix, qui se reproduiront naturellement et continueront de brouter les alpages.

  4. Thierry LECOMTE dit :

    in vino, veritas,
    in vitro, déguelasse
    j’ élève dans ma réserve naturelle des bovins de race Highland qui n’ont jamais vu ni une étable ni un tourteau de quoique ce soit. Ces bovins en pâturage extensif préservent une biodiversité remarquable en nombre d’espèces, en qualités de ces espèces, en fonctionnalités diverses. Ces animaux ont environ 300 espèces de plantes potentielles dans leur régime alimentaire et ils prennent le temps de grandir sans hormones, sans vermifuges,…..
    de temps à autre l’un d’ entre eux saute dans mon congélo: que du bonheur sur le plan organoleptique et en termes de circuit court…..
    Carnivorien affirmé, je consomme cependant fruits et légumes sans barguigner lorsqu’ils me sont présentés.
    Ayant débuté ma carrière professionnelle à l’ INRA, j’ espère que l’INRAE se penche avec son « E » tout neuf davantage sur l’élevage « in Natura » plutôt que les cultures de fibres musculaires en boîte de Pétri…

    bien cordialement, de Normandie, où l’agriculture réputée moderne n’a spas encore retourné toutes les prairies!

    • Anne Marie dit :

      reviens Epicure, ils sont devenus fous !!!!
      merci Thierry pour ta réponse sensée…. je n’aurais pas osé, manquant d’argumentaire solide scientifique. J’apprends donc que tu as fait l’INRA …waoooh …!!.) alors tu es un bon ambassadeur crédible, en plus de ton jubilé d’éleveur comme peu doivent savoir faire !
      je lis depuis des années cette revue devenue Sésame (même si j’ai du mal à intégrer la lecture via un écran question de génération) et je retiens peu et ne comprends pas toujours tout, mais au moins, il y a d’étonnants et talentueux vulgarisateurs, compréhensibles et même plein d’humour… pas sûr qu’avec un tel profil ils sacrifient leurs assiettes conviviales sur l’autel d’idolâtrie spéciste…. Quand même… un bon (vrai) steack savoureux, c’est ça qui vous fait tutoyer notre Eden perdu. Même si je ne savais pas qu’un Highland pouvait être champion de saut d’obstacle (direct congélo
      !!)

      • Lecomte Thierry dit :

        merci Anne-Marie pour ta réponse positive, juste une question on se connaît déjà?
        comment sais tu pour mon « jubilé » puisque rien dans mon commentaire précédent parlait de la durée actuelle de mon engagement pour préserver les richesses patrimoniuales en tous genres du Marais Vernier, lieu où j’ ai jeté l’ ancre il y a un demi siècle????

  5. Jean-Marie Bouquery dit :

    « Alimentation rationnelle », vieille chose. Mais que cette raison aie plusieurs coeurs !

  6. Pingback: Revue de presse - Les Ami·e·s de la Confédération paysanne

  7. Gérard Manvusa dit :

    A priori, ce monde d’horreur, nous y sommes déjà :

    La pâte d’origine animale, ce sont les steak hachés qui sont 50%+ des débouchés des carcasses bovines en France.
    Et pour les parfums de synthèse, le yaourt vanille qui n’a pas vu une gousse est une réalité depuis longtemps et n’a pas attendu la viande cellulaire.

  8. Gérard Manvusa dit :

    Pourquoi le domaine de l’agriculture cellulaire devrait-il être le seul domaine dont le nom devrait être débattu voire déterminé par tout le monde sauf par les experts ayant publiés et travaillé dans le domaine ? En 40 ans d’expérience, c’est la première fois que je vois ce genre de blague. Quand des domaines du type neurobiologie végétale sont apparus, y a t’il eu autant de boucliers ?

    Enfin, vous m’excuserez, mais cela fait bien longtemps que le yaourt vanille n’a pas connu une seule gousse dans son immense majorité, sinon cela fait bien longtemps que la planète serait recouverte de vanilliers ou que l’on aurait tout simplement éteint la plante à force de consommation.

    Alors « lorsque nos parfums seront de synthèses » : ils le sont déjà, sans que cela ne vous ai ému le moins du monde.

    En 1966, à l’INRA, on imaginait déjà le poulet goût framboise et on pensait déjà à l’arrivée de l’aviculture performante comme avec la poule Vedette. Alors voir des chroniques aussi passéistes dans la revue d’un institut dédié à l’innovation alimentaire m’étonne un peu.

    • Sylvie Berthier dit :

      Bonjour,
      Merci pour votre commentaire. Pour information, Sesame ne porte pas la voix officielle de l’Inrae, mais offre un espace au débat d’idées. De toutes les idées.

      • Gérard Manvusa dit :

        Merci énormément pour cette précision !

        Très bonne journée à vous

        • Claude BOIOCCHI dit :

          Si je comprends bien votre double commentaire in tantinet redondant même si j’apprécie la vanille comme vous, ce que nous consommons actuellement et même depuis quelques décennies serait déjà comparable à l’introduction d’une viande cellulaire prétendument éthique ? D’où votre étonnement lorsque certains, dont moi, s’interrogent sur la valeur d’une « viande » para-vivante destinée à nourrir des humains définitivement rebutés par le sacrifice animal. Mais que ferez-vous donc lorsque toutes ces mystifications laborantines conditionneront la culture alimentaire de millions de consommateurs réduits à manger des choses qui ressemblent à ce qui fait problème mais composées de choses dénaturées, synthétisées et forcément standardisées. Merci énormément de votre importantissime attention !

          • Gérard Manvusa dit :

            J’ai été moins patient que la modération, d’où mon double post. Pour le reste, je n’ai pas parlé de mes goûts personnels, le goût vanille est bien le plus apprécié au monde, ce n’est pas de mon fait.

            C’est totalement similaire : lorsqu’un besoin supplante de loin les capacités de production, il faut une technologie nouvelle et suffisamment efficace pour prendre le pas. La synthèse de la vanilline a partir de l’eugénol peut parfaitement être vue de la même façon que ce qu’il se passerait avec cette technologie.

            Pour le reste, vous m’excuserez de me rappeler que le R de inRae signifie « Recherche », et la voir bridée par des sophismes et des envies naturalistes qui n’ont jamais été les vecteurs de l’Institut m’étonne fortement.

            Pour le reste, ne faisons pas semblant de découvrir que la nourriture contemporaine a été bel et bien standardisée et industrialisée tout en devenant abordable. Pitié, avez vous déjà mis les pieds dans la grande distribution pour regarder les rayons ?

            J’aimerais bien que l’on cesse de se placer bons derniers dans une course que bon nombre ont déjà engagé. Après, on s’étonnera que les autres pays aient des coûts de production bien moindre parce qu’ils auront maitrisé ces technologies bien avant nous.

            Mais bon, il faut croire qu’on aime l’échec, le vaccin de Sanofi se fera encore attendre longtemps non ?

            • Sylvie Berthier dit :

              Gérard, pour être tout à fait claire, nous ne sommes pas une unité de recherche de l’InRae, mais une unité de mise en débat des sujets sensibles qui traversent la société. Nous écoutons toutes les disciplines (sciences dures et SHS), mais aussi les points de vue des acteurs associatifs, des collectivités locales, des enseignants… Bref, de tous ceux qui veulent contribuer au débat.

          • Gérard Manvusa dit :

            J’avais été moins patient que la modération. Cette dernière a décidé que j’avais assez posté vu que mon premier commentaire pour vous répondre n’est pas passé.

            Pour le standardisé, vous pouvez mettre les pieds dans n’importe quelle enseigne de grande distribution et regarder les rayons. L’alimentation est déjà bien standardisée.

            Rien que le Leerdammer a été créé en laboratoire (labo food research) en 74 en isolant une bactérie qui faisait des trous dans le fromage, l’apocalypse est-elle venue pour autant? Faut-il l’interdire du coup?

      • Gérard Manvusa dit :

        Ceci étant dit, j’aimerais savoir où sont les idées dans la revue en faveur de cette technologie ?
        Parce que là, tout ce que j’ai trouvé va de « c’est affreux » a « c’est de la merde », si ce sont là toutes les idées que la recherche française à a offrir, on est pas sortis du sable.

        • Sylvie Berthier dit :

          Gérard,
          Nous publions des articles de chroniqueurs qui sont leurs points de vue. Ensuite, nous ne sommes pas maîtres des commentaires pro ou anti… Celà-dit, nous préparons un dossier avec différents points de vue, que vous pourrez lire dans Sesame 9 (sortie avril/mai).

  9. Soulenq Nicole dit :

    Quitte à être imaginatif pour créer des aliments de synthèse, que l’imagination trouve aussi un nom original et non Viande, pour éviter confusion entre un produit vivant et un chimique.
    L’aspirine ne s’appelle pas « feuille de saule de synthèse »….

    • Gérard Manvusa dit :

      Mauvais exemple vu que la seule contient de l’acide salicylique et non pas de l’acide acétylsalycilique (qui est bien l’aspirine).

      Un grand brûlé qui est soigné avec des cultures de ses propres cellules de peau devient-il un humain « de synthèse » ? Doit-il se trouver un nouveau nom ?

  10. gilbert espinasse dit :

    Je ne crois pas du tout à ce nouvel « aliment » (?)
    D’ailleurs, qu’en espérer en matière de survie possible ??
    Cela est bien l’expression d’un monde blasé, sur qui le « business » s’acharne, en lui faisant miroiter n’importe quoi, jusqu’à l’a stupidité impossible. Nous devons manger pour vivre et pour cela consommer du Vivant et non des ersatz totalement morts.

    • Gérard Manvusa dit :

      S’il y a division cellulaire, c’est précisement là le principe initial du vivant.

      • gilbert espinasse dit :

        Si la division cellulaire fait partie de l’activité « vivante », votre vision est bien incomplète.
        Pour moi , (petit Paysan) le vivant se caractérise par la possibilité à se reproduire ,pour continuer l’espèce ,sans tous les bidouillages de l’homme .Beaucoup de modestie est à retrouver pour, enfin ,revoir le Respect dans notre monde actuel où il a pratiquement disparu ….., et pourtant, comment espérer une vie harmonieuse si le fondement de celle ci ne repose pas sur le respect ?…..au risque de vous désobliger ?…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Retour en haut ↑