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De l'eau au moulin

Publié le 16 février 2021 |

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[Collapsologie] Ne pas céder au défaitisme ni abandonner la construction commune d’une vision du monde (4/4)

Crédits : CC-By-Nc-Pierre Sersiron

Suite et fin de la réflexion amorcée par Pierre Sersiron et Tanguy Martin*, à propos de la collapsologie – retrouvez ici les volets 1, 2 et 3.

Après une lecture critique, les postulats des auteurs paraissent pour le moins fragiles et leur démonstration constitue plus un discours pseudo-scientifique se parant d’une apparence étonnamment scientiste par l’accumulation de références, plutôt qu’une « science appliquée et transdisciplinaire », comme ils l’avancent. La pensée de l’effondrement, dans cet ouvrage, est une tentative de constituer un concept englobant et faisant le lien entre un ensemble de données, de dynamiques, de bouleversements. Cependant, l’assise sur laquelle repose cette thèse est fragile et fait malheureusement l’économie d’une argumentation rigoureuse. Postuler, dans la réflexion l’effondrement comme élément central et non comme un scénario parmi d’autres nous semble être une démarche biaisée.
Une confusion majeure s’opère pour les auteurs entre propos scientifiques et propos politiques. Vis-à-vis des enjeux environnementaux actuels, nous rejoignons les historiens Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz [1] lorsqu’ils affirment que nous avons à nous « méfier du grand récit unificateur de l’espèce et de la rédemption par la seule science qui l’accompagne ». Pour eux, penser la période « c’est intégrer les scientifiques dans la cité en discutant pied à pied leurs résultats, et leurs préconisations, plutôt que de sombrer dans [des] ”solutions” techniques et marchandes pour gérer la Terre entière ». La science n’a pas comme rôle de déterminer un projet de société et ce n’est en rien notre propos. C’est non le caractère politique, mais la prétention scientifique de la collapsologie que nous critiquons ici.
Ne pas attendre des sciences et techniques des solutions toutes faites pour répondre aux bouleversements sociaux et environnementaux n’élude pas pour autant la nécessité de partager des constats scientifiques communs. « Si les scientifiques peuvent éclairer ces questions, les réponses seront forcément politiques » [2] affirment aussi Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz. Les collapsologues, en premier lieu à travers l’ouvrage critiqué ici, semblent confondre descriptions scientifiques des faits et analyses politiques. L’enjeu des éclairages scientifiques, par exemple concernant le climat, est de permettre d’apporter des données intelligibles et partagées par tou·te·s.
Ceci est d’autant plus important que nous faisons face à certains mouvements sociaux réactionnaires et à des chefs d’État (Brésil, Australie, Philippines) qui campent actuellement dans un déni des faits scientifiques liés au climat ou plus généralement à l’environnement. À travers l’analyse scientifique, il s’agit également de produire des données valables et collectivement reconnues, quelles que soient les croyances et intuitions intimes de chacune et chacun. À abandonner la recherche d’exactitude et de rigueur du raisonnement au profit de l’intuition ou des croyances, on risque de n’avoir que très peu d’éléments à partager autour du changement climatique même, ou des autres phénomènes menaçant l’humanité et la planète. Dans un débat entre intuitions et contre intuitions, personne ne pourra en sortir par le haut. C’est la loi du plus fort qui s’imposera alors.
Nous ne tombons pas non plus dans un fétichisme de la science. Elle a régulièrement été instrumentalisée au service des dominant·e·s qui souvent en maîtrisent la production. Nous devons donc porter également une critique des conditions de sa production. Elle n’est pas autonome de la sphère sociale, étant elle-même une production sociale. C’est pourquoi les outils critiques d’analyse des faits sociaux et des institutions doivent être mobilisés pour la comprendre et éviter cette instrumentalisation. Et, finalement, comme toute institution, elle doit être gérée démocratiquement.
Ceci étant dit, nous n’avons pas d’autre alternative que les sciences pour nous accorder sur l’observation des faits. Le recours à un discours se passant d’une argumentation logique et rigoureuse, même s’il peut donner l’illusion d’une efficacité à court terme, risque d’aboutir au relativisme. Et, ainsi, au mieux à l’inaction, au pire à l’oppression par les dominant·e·s.
C’est pourquoi nous invitons à considérer la possibilité de l’effondrement comme un aiguillon à l’action individuelle et, surtout, collective pour l’éviter.

[1] Christophe BONNEUIL et Jean-Baptiste FRESSOZ, L’évènement Anthropocène, SEUIL, 2016, p.317

[2] Ibid., p.39

*Cet article a été écrit par Pierre Sersiron et Tanguy Martin, militants altermondialistes et des luttes pour la justice climatique ; respectivement salarié du réseau Les Petits Débrouillards et bénévole d’Ingénieur·e·s sans frontières France. Cette contribution est réalisée en leur nom propre et n’engage pas ces mouvements.

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