Croiser le faire

Published on 16 décembre 2021 |

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[Attaques de vautours fauves] Prises de bec

Par Stéphane Thépot

Le vautour fauve est-il vraiment devenu un prédateur, au point que l’on doive aujourd’hui chasser ce rapace réintroduit, avec succès, dans les années quatre-vingt ? Enquête sur le terrain, où les prises de bec se multiplient. Et si ces vautours étaient finalement plus la proie de batailles politico-médiatiques qu’un sujet de controverse scientifique ?

« Quand je vois des vautours, je sais que ce n’est pas bon signe », dit Philippe Galzin. Dans son mas cévenol transformé en gîte d’étape, l’ancien éleveur se souvient des premières attaques de loups sur ses brebis. Ce sont à chaque fois les rapaces qui l’ont averti. La moitié de son troupeau a été exterminé. Désormais retraité, P. Galzin a conservé une cinquantaine de têtes et transmis l’exploitation de la ferme auberge à sa fille. L’ex-élu de la chambre d’agriculture de Lozère se consacre aujourd’hui à son luxuriant potager mais il préside toujours le conseil économique et social du parc national des Cévennes, où il ferraille contre « les ayatollahs de la LPO et les écolos ». « Le premier écolo, c’est moi », affirme ce pionnier du tourisme à la ferme, qui a remonté pierre par pierre le hameau abandonné du Merlet où il s’est installé en 1979. « J’ai voté René Dumont en 1974 », souligne ce néorural bien acclimaté. Il n’accuse pas les vautours mais en veut à l’administration d’avoir mis sept ans à réagir. En 2015, victoire : le conseil d’administration du parc vote une délibération autorisant des « tirs d’effarouchement et de défense » contre le loup.

Les éleveurs des Cévennes et d’ailleurs auront peut-être aussi le droit de tirer demain sur les vautours. C’est la revendication affichée du président de la chambre d’agriculture de l’Aveyron, au nom de tous les départements du Massif central concernés par l’expansion de la colonie de vautours fauves réintroduits dans les gorges de la Jonte dans les années quatre-vingt. La LPO a recensé 820 couples nicheurs de vautours fauves entre Causses et Cévennes lors de son dernier comptage annuel. « Il faut évidemment avoir une attention particulière pour ces espèces protégées, mais il faut aussi protéger les éleveurs », a lancé le ministre de l’Agriculture lors de sa visite dans une ferme des environs de Rodez, le 24 septembre 2021. Julien Denormandie confirmait ainsi l’engagement du président de la République, annonçant quelques jours plus tôt lors de la fête annuelle des Jeunes Agriculteurs dans les Alpes de Haute-Provence un « plan vautour ».

Philippe Galzin : « Quand je vous les vautours, ce n’est pas bon signe. » (Photo Stéphane Thépot)

Bouc émissaire 

Un tel document stratégique, comparable aux plans « loup » ou « ours », avait en réalité déjà été esquissé il y a dix ans par un agent de l’ex-Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (ONCFS). Mais son application fut provisoirement suspendue en raison de divergences à propos, notamment, de l’utilité de sortir les fusils pour régler la question. Les tirs d’effarouchement ont été expérimentés dès 2009 dans les Pyrénées-Atlantiques, à la demande d’agriculteurs qui se plaignaient du trop grand nombre de vautours venant se poser à proximité de leurs bâtiments. L’usage du fusil était réservé à l’origine aux seuls agents de l’ONCFS, uniquement pour des tirs à blanc, puisque l’espèce est strictement protégée depuis 1976 en France. Ces mesures d’effarouchement par arme à feu ont été étendues par arrêté préfectoral aux éleveurs qui en faisaient la demande dans l’Ariège (2014) puis en Savoie (2015). Mais, à Foix, un éleveur ariégeois a été condamné en novembre 2014 pour avoir délibérément tué un vautour fauve avec un fusil à lunette. L’homme a crânement revendiqué son geste et plaidé la légitime défense devant les juges en se plaignant des « attaques » à répétition des rapaces sur ses brebis. En 2017, le tribunal administratif de Toulouse a finalement cassé l’arrêté préfectoral de l’Ariège. Les magistrats se sont appuyés sur un rapport commandé en 2013 par les ministères de l’Agriculture et de l’Écologie à la suite de l’accumulation de plaintes d’éleveurs. « Le vautour fauve ne peut objectivement être considéré comme un facteur significatif de mortalité du bétail et encore moins comme prédateur », concluaient les enquêteurs, qui ont passé au peigne fin quatre-vingt-trois plaintes expertisées dans les Pyrénées, et quatre-vingt-deux dans les Grands Causses1.

« Le vautour fauve est un bouc émissaire politique », déplore Olivier Duriez. Ce chercheur du CNRS a démissionné cet été du comité interdépartemental, créé en 2011 pour examiner tous les cas suspects de mortalité du bétail imputés aux rapaces dans le Massif central. Sur les quatre-vingt-deux plaintes expertisées par des vétérinaires, les vautours ne seraient intervenus sur du bétail ante mortem qu’à quinze reprises. Dans treize cas, l’animal était affaibli ou moribond. Seuls deux dossiers demeurent « indéterminés ». « Je déplore que les faits scientifiques soient systématiquement déniés et que les décisions soient prises sur la base de faits non vérifiés et de fake news », écrit le chercheur du Centre d’Écologie Fonctionnelle et Évolutive (CEFE) de Montpellier, en conclusion de sa longue lettre de démission argumentée, adressée à la préfète de Lozère. Outre la posture d’un ancien député (LR) du sud-Aveyron pour éjecter de la présidence du département le sortant (centriste) et la surenchère entre organisations syndicales agricoles lors des réunions de ce comité, O. Duriez pointe le poids des médias qui ont monté en épingle quelques cas jugés anecdotiques. « La première plainte a été déposée en Aveyron en 2007 au lendemain d’un reportage à la télévision sur de présumées “attaques” de vautours dans les Pyrénées », observe le chercheur de Montpellier.

Le vautour de pierre de Florac. (Photo Stéphane Thépot)

Curée médiatique

« Les premiers éleveurs qui ont fait état de possibles interventions ante mortem n’ont pas été pris au sérieux par le monde naturaliste. […] L’inquiétude des éleveurs a été relayée par les médias régionaux […] Un certain nombre de quotidiens locaux ont alors dépeint, en une et sans mesure, le vautour fauve comme un prédateur inquiétant », résume le plan national d’action consacré au vautour fauve finalement publié en 20172. La répétition de ces articles à sensation alimente le procès à charge du vautour en ne donnant la parole qu’à l’accusation, jamais aux défenseurs des rapaces. Les vétérinaires qui réalisent les expertises n’ont pas la parole, les micros se tendent uniquement vers les plus péremptoires et la priorité est accordée aux images spectaculaires, même si elles ne démontrent strictement rien. La généralisation d’Internet, le développement des réseaux sociaux et l’usage des smartphones permettant à tout un chacun de se prendre pour un chasseur d’images ont encore amplifié le tam-tam médiatique.

« Une curée de vautours sur un cadavre peut être impressionnante », reconnaît Bruno Veillet dans son bureau de la LPO des Grands Causses installé dans le petit village médiéval de Peyreleau (Aveyron). La LPO et le parc national des Cévennes organisent parfois des visites du charnier de Cassagnes, aménagé sur le causse Méjean à destination des touristes qui se pressent dans les gorges du Tarn. Les vautours sont devenus une véritable attraction. Des milliers de visiteurs défilent chaque année dans la Maison des vautours de Meyrueis (Lozère), mais aussi sur la falaise surplombant Rémuzat (Drôme) où les rapaces ont été réintroduits en suivant l’exemple des Cévennes, ou bien encore à la Falaise aux Vautours d’Aste-Béon (Pyrénées-Atlantiques). Dans le massif pyrénéen, ces oiseaux de proie n’ont jamais complètement disparu. La réserve naturelle de la vallée d’Ossau a été créée dès 1969 pour protéger la dernière colonie de ces spectaculaires planeurs nichant encore sur le territoire métropolitain. Les efforts pédagogiques pour tordre le cou dans l’esprit du grand public à la mauvaise réputation de cet oiseau, associé au croque-mort dans les BD de Lucky Luke, n’ont toutefois pas totalement atteint leur cible au fin fond des montagnes et des campagnes.

La LPO publie régulièrement des radiographies de vautours, retrouvés morts ou blessés dans les Pyrénées, criblés de plombs par des tartarins anonymes. L’ONG s’alarme également du saturnisme qui menace ces nettoyeurs de cadavres, au même titre que les canards et autres oiseaux d’eau, et mène campagne pour l’interdiction des munitions au plomb. Une revendication diversement appréciée par les fédérations de chasse et le passif les opposant au président de la LPO Allain Bougrain-Dubourg sur d’autres sujets, comme la tourterelle ou les chasses traditionnelles, pèse parfois lourd dans la balance. « On se demande si nous sommes les mieux placés pour mener des opérations de médiation », lâche B. Veillet dans son bureau de Peyreleau. Après s’être fortement impliquée dans l’action pour le retour des vautours en France, l’association cherche désormais à passer la main aux parcs nationaux ou régionaux ou à des associations locales comme Vautours en Baronnies et Saiak au Pays Basque. Le président de la LPO a toutefois pris la plume en juin 2021 pour réclamer au ministre de l’Agriculture de « ramener le calme et la raison » face à « une intense campagne de dénigrement des vautours » en Aveyron.

« Vautours d’élevage »

« Nos aïeux qui s’en étaient débarrassés étaient-ils des abrutis », fait mine de s’interroger Alain Pouget dans sa ferme de Chanat-le-Sec (Lozère) ? Le leader de la Coordination rurale dans le département tire la sonnette d’alarme sur les vautours depuis une dizaine d’années. « Cela a longtemps été considéré comme un épiphénomène », pointe l’éleveur qui a été élu à la présidence du syndicat pour toute la région Occitanie. Adepte d’opérations choc qui attirent les médias comme des mouches, il a récemment été condamné pour avoir déposé le cadavre d’un veau devant la préfecture à Mende, présenté comme victime du loup, son autre bête noire. Des éleveurs aveyronnais ont mené une opération similaire avec le cadavre d’une jument, victime selon eux des vautours. « Il ne fallait pas être grand clerc pour se douter que ça devait arriver, on a joué aux apprentis sorciers », commente A. Pouget. À ses yeux, les vautours sont trop nombreux, il serait temps désormais de « réguler » leur population. « La préfète de Lozère considère que la régulation n’est plus taboue », triomphe le leader syndical.

Dans le petit château de Florac qui abrite le siège du parc national des Cévennes, Jocelyn Fonderflick soupire. Pas question d’aller « dénicher » les poussins ou de détruire les œufs dans les falaises, comme le suggère le tonitruant leader de la Coordination rurale. Le chargé de mission « faune » du parc national souligne que les agents ont déjà passé vingt-cinq jours cet hiver à descendre en rappel pour aller baguer une cinquantaine de jeunes rapaces avec des volontaires de la LPO. « La régulation se fera naturellement en fonction de la disponibilité alimentaire », assure cet ancien ingénieur d’études du CEFE de Montpellier, qui cherche à quantifier avec précision la ressource. Les éleveurs ovins des Causses et des Cévennes disposent d’une centaine de « placettes », où ils peuvent disposer les cadavres de leurs animaux morts dans un échange gagnant-gagnant avec les vautours : les charognards remplissent leur rôle d’équarrisseurs naturels et les éleveurs sont dispensés de la taxe pour financer les camions-bennes qui se faisaient parfois attendre plusieurs jours avant d’arriver à la ferme. Le modèle caussenard des placettes individuelles est privilégié par le plan national d’action, de préférence aux charniers collectifs. Mis en place au début des réintroductions pour alimenter les vautours et les fixer sur le territoire, les charniers ont parfois été montrés du doigt comme la cause principale de la « prolifération » des vautours. Dans les Hautes-Pyrénées, un journaliste local férocement anti-ours a même dénoncé sur son blog des « vautours d’élevage ».

Des milliers de kilomètres

Sur un ton moins polémique, le plan national d’action reconnaît d’emblée que « le vautour fauve est devenu dépendant de la ressource alimentaire provenant des activités d’élevage ». Pour autant, J. Fonderflick refuse de parler de « nourrissage artificiel ». L’agent du parc national des Cévennes explique que les apports sur le charnier de Cassagnes, où une vingtaine de tonnes sont livrées chaque année, ne se font plus à date régulière, pour inciter les vautours à patrouiller à la recherche de nourriture. Remarquables planeurs, les rapaces nécrophages peuvent parcourir des centaines de kilomètres sans effort. Grâce aux bagues disposées sur les pattes des juvéniles, les naturalistes se sont aperçus qu’il n’était pas rare de trouver sur une même curée des oiseaux venus des Pyrénées, d’Espagne, des Alpes ou du Massif central.

« L’Europe des vautours existe », explique J. Fonderflick qui préfère désormais parler d’une « métapopulation » de rapaces, plutôt que se focaliser sur les seuls oiseaux nichant entre Causses et Cévennes. Après la sortie du nid, les jeunes vont explorer de nouveaux territoires pendant plusieurs années avant de se fixer sur un site favorable pour la reproduction. On a ainsi pu observer, en Belgique, un groupe de vingt-huit vautours en mai 2021 ; équipés de balises GPS, ils ont été suivis jusqu’aux Pays-Bas et même en Scandinavie. « Un vautour fauve bien “gras” peut jeûner deux semaines, voire trois selon les conditions, avant que sa situation ne commence à devenir critique, c’est-à-dire qu’il soit trop affaibli pour rechercher des charognes. Un voyage de quelques milliers de kilomètres n’est donc nullement une épreuve terrible. Par rapport au rayon d’action quotidien des nicheurs, l’erratisme d’un groupe d’oiseaux non nicheurs entre les Alpes occidentales et le nord des Pays-Bas ou de l’Allemagne constitue, pour le vautour fauve, l’équivalent d’un trajet de cinq kilomètres pour une mésange charbonnière », explique l’ornithologue Jean-Pierre Choisy dans une revue spécialisée en ligne.3.

Un rôle « charnière »

Jean-Pierre Choisy se définit comme vatourologue (Photo Stpéhane Thépot)

Installé au pied du Vercors, J.-P. Choisy se définit comme un « vautourologue ». Dans la lignée des frères Michel et Jean-François Terrasse, qui ont impulsé le retour des vautours en France à travers le FIR (Fonds d’Intervention des Rapaces) dans les années soixante-dix, ce naturaliste passionné a suivi la réintroduction des vautours au sein du parc naturel régional du Vercors. J.-P. Choisy tente une relecture scientifiquement documentée d’un épisode qui a marqué les esprits : la fermeture des grands charniers industriels espagnols (muladares) en Aragon et en Navarre, imposée fin 2005 pour se conformer à la réglementation européenne dans la prévention de la maladie de la vache folle. Cette mesure brutale a entraîné l’arrivée massive de vautours affamés côté français. Sans nier l’impact de la fermeture des muladares, qui s’est traduite par une chute de la reproduction en Espagne et l’arrivée très remarquée de près de 200 vautours en Belgique en 2007, l’ornithologue du Vercors préfère mettre en avant le comportement naturellement migratoire des vautours. « La mise à disposition de charognes dans les zones où des vautours ont été réintroduits a créé des relais alimentaires pour les individus erratiques. Le renouveau spectaculaire du nombre d’ongulés sauvages, particulièrement de chamois et de bouquetins dans les parcs nationaux des Alpes, a aussi fourni de nouvelles ressources alimentaires », souligne J.-P. Choisy.

Le menu du jour du charnier de Chamaloc (Photo Stéphane Thépot)

Le charnier de Chamaloc est installé au-dessus de ce petit village sur la route du col du Rousset qui permet d’accéder au plateau du Vercors depuis la sous-préfecture de Die. Descendant de son pick-up, Michel Morin, écogarde du parc, ouvre le grillage qui interdit l’accès aux renards et autres chapardeurs terrestres avant de déposer « le menu du jour » des vautours sur l’aire bétonnée, à l’aide de la pince mécanique installée à l’arrière du véhicule : le cadavre d’une brebis qui sent déjà fort la charogne. Entre la Drôme et l’Isère, 140 éleveurs ovins font régulièrement appel à Michel, qui se targue d’intervenir au moindre appel en vingt-quatre heures. Seules trois exploitations ont aménagé une placette individuelle. « Il y a aussi des communes qui refusent les placettes sur leur territoire », glisse l’ancien forestier reconverti en « éboueur » pour vautours. Le maire de Chamaloc, Michel Vartanian, défend ce service public local, dérogatoire à la réglementation nationale qui impose le recours à une société privée d’équarrissage. Chaque année, entre quatre-vingt-dix et cent tonnes de carcasses sont déposées à Chamaloc. L’édile, ancien éleveur, veille à ce que le charnier ne se transforme pas en dépotoir de déchets organiques. Il explique avoir ainsi refusé la demande d’un sous-traitant industriel qui voulait se débarrasser des viscères de volailles, ou les sollicitations régulières des sociétés de chasse. Un récent rapport souligne que les chasseurs disposent de leurs propres « charniers » (sauvages) et estime le volume des déchets de chasse entre soixante-dix-neuf et cent cinq tonnes entre les parcs naturels régionaux du Vercors et des Baronnies provençales4.

La polémique sur les vautours « prédateurs » semble avoir épargné le Vercors, mais aussi les Baronnies voisines et l’ensemble du massif alpin. « La régulation, c’est le cheval de bataille des chasseurs », estime M. Vartanian, qui préfère considérer les grands oiseaux nécrophages comme des auxiliaires des éleveurs et de bons indicateurs du maintien du pastoralisme et de la transhumance dans la région : « Le vautour a toujours été un commensal de l’homme, sans élevage, il ne se développe pas ». L’élu du Diois juge peu crédibles les soupçons pesant sur les vautours en Lozère et en Aveyron. « J’ai même vu un vautour se poser un jour sur le dos d’un cheval », raconte ce pragmatique avocat des rapaces.

C’est le gypaète qui se fait plumer

Dans les Pyrénées, le nourrissage des vautours a été interrompu en 1997 dans la réserve nationale d’Ossau. Non pas à cause des premières plaintes d’éleveurs qui se manifestent dès 1990, soit quinze ans avant la fermeture des charniers espagnols alimentés par le développement des élevages de porcs intensifs, mais au nom de la protection… du gypaète. C’est du moins la raison officielle invoquée par le parc national des Pyrénées, qui gère cette réserve de la vallée béarnaise, et rapportée dans une thèse soutenue en 2007 à l’École nationale vétérinaire de Toulouse5.

Le gypaète barbu, surnommé Quebrantahuesos (« le casseur d’os ») en Espagne, est un grand rapace charognard qui ressemble davantage à un aigle qu’à un vautour. Son régime alimentaire, constitué d’os et de ligaments, est complémentaire des autres nécrophages : il intervient le dernier sur une carcasse. Ce n’est donc pas en raison d’une quelconque compétition alimentaire que le nourrissage a été stoppé, mais parce que les vautours fauves auraient tendance à s’approprier les sites de nidification favorables au gypaète. Les conséquences de l’arrêt des dépôts de carcasses ont cependant eu un impact direct sur la colonie de vautours fauves en Béarn, qui s’est stabilisée autour d’une centaine de couples nicheurs avec un faible taux de reproduction, alors que les effectifs ont continué à progresser coté basque avant de plafonner naturellement.

À la demande de quatorze éleveurs de la vallée, une placette a toutefois pu être aménagée fin 2012 « à titre expérimental ». Marchant sur des œufs, le parc national des Pyrénées a équipé vingt-six vautours fauves d’une balise GPS pour s’assurer que les rapaces conservaient « un comportement de recherche alimentaire ». Une placette collective a finalement été inaugurée officiellement en 2018 dans la vallée d’Ossau. Elle est accessible à vingt-neuf éleveurs de la vallée, « sauf au mois de mai afin de ne pas favoriser un développement trop important des vautours fauves », précise le parc dans un communiqué. Cette volonté malthusienne affichée se retrouve dans toute la grande région. Les demandes d’ouverture de nouvelles placettes individuelles sont gelées dans les Causses et Cévennes en raison de l’hostilité affichée des organisations syndicales qui réclament leur fermeture. Dans l’Aude, l’ouverture d’une placette dédiée au gypaète n’a été autorisée qu’à la condition expresse que seuls des os y soient déposés.

Le succès de la réintroduction du « bouldras » – nom générique des vautours en occitan – fait-il de l’ombre aux autres espèces de rapaces nécrophages ? Plus discrets et moins grégaires que les vautours fauves, les vautours moines, qui nichent au sommet des arbres et non dans les falaises, ne sont qu’une cinquantaine de couples dans les Grands Causses, soit autant que d’oiseaux lâchés depuis 2004. Certains ont préféré déménager dans les Baronnies, où une trentaine de ces rapaces ont été réintroduits. Le percnoptère d’Égypte revient spontanément en France aux beaux jours mais retourne en Afrique l’hiver pour se reproduire. Le gypaète est le seul vautour qui fasse encore l’objet d’un programme de réintroduction. Aucun des gypaètes relâchés alternativement en Lozère et en Aveyron depuis 2012 ne s’est reproduit à ce jour, à l’exception du premier individu qui a trouvé refuge dans le parc national des Écrins. L’un des cinq oiseaux lâchés en mai 2020 sur le territoire du parc régional des Grands Causses a été retrouvé abattu cinq mois plus tard dans les Cévennes.

  1. Ch. Démolis, É. Fourquet, F. Roussel, M. Steinfelder, « Le Vautour fauve et les activités d’élevage », ministère Écologie, ministère Agriculture, septembre 2014. https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/144000668.pdf
  2. Plan national d’action vautour fauve, 2017-2026. https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/PNA_Vautour_fauve_2017-2026.pdf
  3. « Comment expliquer les mouvements printaniers de vautours dans le nord de l’Europe ? », Ornithomedia.com, mai 2021. https://www.ornithomedia.com/magazine/analyses/mouvements-vautours-dans-nord-europe-sont-naturels-00771
  4. Recommandations à partir du cas de la réintroduction du vautour fauve dans les parcs naturels régionaux du Vercors et des Baronnies provençales, mai 2021.https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Efese%20-%20Recommandations%20%C3%A0%20partir%20du%20cas%20de%20la%20r%C3%A9introduction%20des%20vautours.pdf
  5. Audrey Labouyrie, « Analyse méthodologique des dommages attribués aux vautours fauves dans les troupeaux pyrénéens », thèse de diplôme d’État de docteur vétérinaire, 2007. https://oatao.univ-toulouse.fr/1844/1/debouch_1844.pdf




3 Responses to [Attaques de vautours fauves] Prises de bec

  1. Patrick says:

    Bonjour. Dans la relation entre pastoralisme et vautours, cela vaudrait la peine de noter que les vautours ont besoin de milieux ouverts pour repérer visuellement leur proie et se poser. Un animal mort en forêt leur est à priori inaccessible. En plus des animaux domestiques morts, le pastoralisme permet de maintenir des milieux ouverts favorables aux vautours.

  2. Bonjour,
    je suis spécialisé depuis des décennies sur l’interface entre herbivorie, biodiversité et certaines fonctionnalités.je m’intéresse aux espèces nécrophiles dont les nécrophages que ce soit des espèces strictement nécrophiles ou plus opportunistes. L’ article sur les vautours est intéressant mais ne concernent que les oiseaux ( environ 0,6% de la biodiversité décrite). je milite, pour que au moins dans les espaces dont la vocation est la préservation de la biodiversité (réserves naturelles,…) on puisse laisser des cadvres d’ animaux domestiques (moyennant quelques précautions de bon sens) pour tous les autres compartiments de la biodiversité dépendant de cette matière organique comme le sont d’ autres organismes dépendant de la m.o. du bois port (saproxyliques) j’ ai fait prendre à RNF et et au CNPN des motions dans ce sens qui vont aussi dans le sens de la loi sur la reconquête de la biodiversité. Dans ce cadre, j’ ai réalisé un poster disponible en Pdf que je peux adresser à toutes les personnes intéressées….
    quelques collègues conservateurs de RN se sont déjà “lancés” avec des résultats assez prodigieux en matière d’invertébrés….
    Bien cordialement

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