Publié le 13 juin 2024 |
0La robotique, ce n’est pas automatique
Si les robots ont depuis longtemps conquis lâindustrie, les voilĂ âquiâdĂ©barquentâdansâlesâchamps.âIlsâserventâĂ âlâagricultureâdeâprĂ©cision,âĂ âlâautomatisationâdesâtĂąchesâpĂ©nibles,âĂ âlaârĂ©solutionâdesâproblĂšmesâdeâmain-dâĆuvre,âqueâceâsoitâpour des questions de coĂ»t ou pour des raisons de disponibilitĂ©.âCeânâestâpasâencoreâunârazâdeâmarĂ©eâmaisâlaâtendanceâestâsuffisammentâprĂ©gnanteâpourâattiserâunâmouvementâcontraireâquiâfaitâduâ«âlow-techâ»1âunâoutilâdeâlibertĂ©.âQuiâdu marteau (automatique) ou de lâenclume lâemportera ?
Dossier extrait du quinziÚme numéro de la revue Sesame,
Par Yann Kerveno,
Visuel : Robotique agricole © Biz 2024
C’est une ferme russe un peu dĂ©glinguĂ©e, la « Russian Cyberpunk Farm2 ». Sous ses serres pousse du concombre fractal, au dehors les pigeons sont des drones, les robots humanoĂŻdes sâactivent, dâautres drones gardent les vaches et les moutons⊠Ferme oĂč lâon a rĂ©solu le problĂšme des eaux usĂ©es en connectant les toilettes directement Ă un trou noir cosmique et qui, pour poursuivre son dĂ©veloppement, cherche de nouveaux travailleurs⊠humains. Vous avez peut-ĂȘtre souvenir de cette vidĂ©o complĂštement loufoque, mise en ligne voici quatre ans par un vidĂ©aste russe. Une vision ironique et futuriste qui a peu de chances de devenir rĂ©alitĂ© mĂȘme si les robots sont aujourdâhui aux portes des exploitations.
Lâaffaire nâest peut-ĂȘtre pas si nouvelle que cela, comme le rappelle Bruno Tisseyre, spĂ©cialiste des questions dâagriculture de prĂ©cision et de robotisation Ă SupAgro Montpellier : on compte aujourdâhui 14 000 robots agricoles en France, dont plus des trois quarts mis en Ćuvre dans lâĂ©levage, le reste servant le plus souvent Ă lâalimentation des animaux. Les nouveaux, les « robots des champs » se dĂ©placent de façon autonome. Ils sont aujourdâhui capables de prouesses quâon avait peine Ă imaginer ne serait-ce que dix ans en arriĂšre, comme ramasser des asperges, des champignons, des fruits, tailler les arbres fruitiers, dĂ©sherber les parcelles. Et ce, sans contrainte horaire. Au point que Bruno Tisseyre y voit une bascule : « Câest la premiĂšre fois depuis la rĂ©volution verte que nous avons une telle opportunitĂ© dâavancĂ©es3. »
Le prix de quatre tracteurs
Chez SĂ©verine et Patrick Boyer, en Indre-et-Loire, il y a maintenant un bail â depuis 2016 â que le robot fait le boulot dans une production peu courante, celle de lâosier, dĂ©ployĂ©e sur cinq hectares. Le choix du robot fut une rĂ©ponse contextuelle. « Nous sommes confrontĂ©s, comme toutes les filiĂšres, au retrait progressif des molĂ©cules de dĂ©sherbant. Il nous fallait trouver une solution alternative. Nous avions rĂ©cupĂ©rĂ© une vieille bineuse Ă maĂŻs qui nous donnait satisfaction mais, quand nous avons vu sortir des robots de maraĂźchage, notre systĂšme de production Ă©tant proche de ce type de cultures, nous nous sommes dit : pourquoi pas ? » Ils contactent alors NaĂŻo Technologies qui rĂ©pond chiche ! « La seule diffĂ©rence avec le maraĂźchage câest que, si la vĂ©gĂ©tation est basse dans nos parcelles en dĂ©but de saison, elle peut atteindre deux mĂštres cinquante ou trois mĂštres en fin de cycle. La question Ă©tait de savoir si le robot allait pouvoir faire son chemin dans un tel environnement avec la navigation au Lidar4. » Lâappareil livrĂ©, quelques dĂ©convenues surgissent, des problĂšmes de guidage, dans les parcelles justement ou pour les « tournes » en bout de rang. « Par la suite, lâintĂ©gration de la technologie RTK5 au robot amĂšnera une vraie rĂ©volution en termes de fiabilitĂ© », explique Patrick Boyer.
Si les robots font parfois leurs preuves, il reste effectivement quelques freins Ă lever avant de les voir courir la campagne. « Pour lâinstant, ces matĂ©riels restent trĂšs chers, un engin peut valoir le prix de quatre tracteurs mais il y a peut-ĂȘtre des choses Ă inventer, des achats en commun, une gestion Ă lâĂ©chelle dâun territoire par le biais dâĂźlots de parcelles ; conserver le matĂ©riel existant et se servir du levier des robots pour diminuer la pĂ©nibilitĂ© », indique Bruno Tisseyre. Acheter en commun, câest justement la mission des CoopĂ©ratives dâUtilisation de MatĂ©riel Agricole (CUMA) et elles seront probablement un levier important pour lâaccĂšs Ă ces types de matĂ©riels. Câest le pas que vient de franchir la Cuma de SallĂšles dâAude, non loin de Narbonne, en acquĂ©rant un Vitibot, destinĂ© aux travaux de la vigne.
« On pense Ă l’avenir »
« Nous sommes cinq associĂ©s dans cette coopĂ©rative, dont deux Ă ĂȘtre passĂ©s en bio et contraints dâemployer des outils mĂ©caniques pour le dĂ©sherbage ou, pour dâautres, de mixer la mĂ©canique et le chimique. Or le dĂ©sherbage mĂ©canique est gourmand en passages de tracteur et en temps », explique Jean-Marie Santacreu, vigneron Ă SallĂšles et prĂ©sident de la Cuma qui couvre 200 hectares de vignes. LâidĂ©e dâavoir un outil autonome pour gagner du temps tournait depuis un moment dans lâesprit des vignerons. « On pense Ă lâavenir, aux jeunes qui vont sâinstaller dans le secteur. Le robot est cher, 200 000 euros6, mais il nous permet dâĂ©conomiser le prix dâune main-dâĆuvre que nous avons de toute façon beaucoup de mal Ă trouver et qui, parfois, manque de compĂ©tences », poursuit-il.
Pour lâheure, lâengin nâa pas encore Ă©tĂ© mis en Ćuvre dans les vignes, il faut dâabord calibrer les cartes. Câest au plus jeune des associĂ©s de la Cuma quâa Ă©tĂ© confiĂ© le « mapping » â enregistrement des donnĂ©es de localisation qui permettront ensuite au robot dâĂ©voluer en toute autonomie dans les parcelles. « Pour dĂ©marrer, nous ciblons quatre-vingts hectares sur les deux cents. Nous avons Ă©vitĂ© toutes les routes goudronnĂ©es et toutes les parcelles oĂč les tourniĂšres ne sont pas assez larges pour permettre au robot de manĆuvrer en sĂ©curitĂ© en bout de rang. » Le robot a beau ĂȘtre habile, il faut le mĂ©nager ! Et ce nâest pas Nicolas FrĂ©vin qui dira le contraire.
De bugs en déboires
Sa Cuma, Ă Embreville, dans la Somme, a acquis un robot de dĂ©sherbage pour la culture des betteraves afin de baisser le coĂ»t de la main-dâĆuvre sur ce poste gourmand en diable. « Ce robot est capable de supprimer soixante-dix heures de travail Ă lâhectare et, pour ma part, jâai pu lâutiliser sur quinze hectares maximum », explique-t-il. Si la premiĂšre campagne, en 2022, a rĂ©pondu pleinement aux attentes des deux agriculteurs qui lâutilisent, le contexte climatique y Ă©tait pour beaucoup. « CâĂ©tait tellement bien que pour un peu on Ă©tait prĂȘt Ă acheter un second robot⊠»
Mais, lâan passĂ©, les conditions furent complĂštement diffĂ©rentes et câest prĂ©cisĂ©ment lĂ que les dĂ©convenues firent leur apparition. Avec lâhumiditĂ©, le froid et la pluie, lâengin nâest plus aussi Ă lâaise. « Il a fallu quâon apprenne Ă attendre que le sol soit suffisamment ressuyĂ© pour quâil puisse entrer dans les parcelles. Nous avons jonglĂ© avec les âfenĂȘtresâ mĂ©tĂ©o. Câest un engin qui avance Ă 700 mĂštres Ă lâheure, il lui faut trente heures pour terminer cinq hectares. Alors on lâa forcĂ© Ă fonctionner dans de mauvaises conditions »⊠et ce qui devait arriver arriva, lâengin « a mal travaillĂ© ». Sans compter les bugs informatiques qui viennent parfois bousculer un peu plus le calendrier ou encore la coopĂ©rative qui met fin aux contrats de betterave bio. Nâen jetez plus, pour 2024, le robot dort dans un hangar. « Nous sommes en pleine rĂ©flexion pour voir si nous pourrions mettre en place quelques cultures maraĂźchĂšres. On a essayĂ© de lâutiliser sur un colza dâhiver mais câest un Ă©chec. » LĂ encore, Ă cause de la mĂ©tĂ©o, de ses fenĂȘtres, mais aussi de la longueur des journĂ©es. « Lâappareil fonctionne Ă lâĂ©nergie solaire donc, si les journĂ©es sont plus courtes, il manque dâautonomie. »
Amorti en cinq Ă sept ans
Le producteur dâosier Patrick Boyer a, quant Ă lui, une expĂ©rience bien plus positive. « Nous passons une premiĂšre fois en dĂ©but de cycle avec le tracteur pour gratter le sol et dĂ©truire les adventices. Le robot passe ensuite, en gĂ©nĂ©ral une fois, pour ârattraper la situationâ quand la vĂ©gĂ©tation est trop haute pour permettre au tracteur dây aller. Sans le robot, nos parcelles ne seraient pas aussi propres. » Question Ă©conomies, le calcul est assez vite fait. « Vu le coĂ»t du travail, un petit robot comme ça, câest amorti en cinq Ă sept ans chez nous. Une charge annuelle qui correspond Ă trois semaines dâun salariĂ©. »
De son cĂŽtĂ©, Nicolas FrĂ©vin, notre cultivateur de betteraves, ne jette pas pour autant le bĂ©bĂ© avec lâeau du robot : « Je pense que cet outil peut fonctionner, mais pas chez moi en grandes cultures, admet-il, parce que, si les sols sont un peu croĂ»tĂ©s, il nâest pas assez lourd pour faire son travail correctement. » Idem pour les cĂ©rĂ©ales ou le colza. « Dans le maraĂźchage, le robot a dĂ©jĂ sa place. Pour les autres types de cultures, je pense que le systĂšme de âtracteur esclaveâ7 a davantage dâavenir. » Son amertume est dâautant plus grande que la subvention attendue pour lâachat de lâengin nâa finalement pas Ă©tĂ© accordĂ©e et quâil revient Ă la Cuma dâen supporter la totalitĂ© de lâamortissementâŠ
« Le robot me parle »
Si les machines sont vendues pour ĂȘtre autonomes, elles ne le sont pas forcĂ©ment encore pleinement. « Au dĂ©but, il fallait ĂȘtre prĂ©sent dans la parcelle et avoir lâĆil sur le robot. En revanche, depuis quâil a intĂ©grĂ© la technologie RTK, il faut vraiment quâil ait un problĂšme pour avoir besoin de nous. Je suis dans la mĂȘme parcelle que lui, mais je fais autre chose. Comme je lâentends travailler, ça me rassure », explique lâosiĂ©riculteur Patrick Boyer. Nicolas FrĂ©vin abonde : « Au lieu dâaller biner les betteraves, on surveille le robot dans la parcelle. On nâest pas forcĂ©ment complĂštement libre mais on peut travailler Ă cĂŽtĂ© ».
Le vigneron Jean-Marie Santacreu nâenvisage pas autre chose pour le moment : « On ne sera jamais loin quand le robot travaillera dans les parcelles. Il reste encore pas mal de choses Ă comprendre Ă lâoutil, pour dĂ©terminer la meilleure maniĂšre de lâutiliser en fonction de ses capacitĂ©s et lâintĂ©grer dans les chantiers. Il faudra sans doute aussi que nous nous adaptions Ă lâoutil ! » Ce qui frappe dans les tĂ©moignages, dont celui de Patrick Boyer, câest que le robot semble avoir un statut un peu particulier au milieu des engins, diffĂ©rent en tout cas⊠« Le tracteur, câest juste un outil ; le robot, lui, me parle, il mâenvoie des SMS quand il a un problĂšme. Mais bon, il nâest quand mĂȘme pas bien bavard », sourit-il.
Trois types de rapports au robot
Câest grĂące Ă lâantĂ©rioritĂ© des robots de traite que lâon peut se faire une idĂ©e de lâacceptation du robot dans les exploitations, explique le chercheur Bruno Tisseyre : « En gros, les Ă©tudes sur le sujet distinguent trois types de rapport aux robots et Ă leur utilisation. Le premier groupe va le plĂ©bisciter parce quâil permet de dĂ©gager du temps pour des tĂąches ressenties comme plus intĂ©ressantes ou gratifiantes, lâobservation du troupeau par exemple⊠Le deuxiĂšme groupe est un peu plus mesurĂ© et regrette que le robot mette de la distance entre lâĂ©leveur et les animaux mais il sait sâaccommoder de cet engin. Enfin, le troisiĂšme groupe, trĂšs minoritaire mais il existe, rĂ©unit des Ă©leveurs qui, aprĂšs avoir mis en place un robot, ont fini par faire machine arriĂšre au motif, justement, que cela les sĂ©pare de leurs animaux. »
Et puis, il y a le regard des voisins qui peut ĂȘtre façonnĂ© par la maniĂšre de prĂ©senter lâengin et ses fonctions : « Quand nous avons acquis le robot, raconte Patrick Boyer, nous avons essayĂ© de prĂ©senter cela comme une avancĂ©e, nous avons fait de la communication positive. Notre exploitation est perçue comme vertueuse mais cela nâa pas encore convaincu nos collĂšgues dans le secteur. Certains ont des outils de grattage du sol pour dĂ©sherber, mais ils travaillent encore beaucoup avec les produits phytosanitaires. » Les consommateurs, pour leur part, seront-ils enclins Ă accepter les robots dans les champs ? La technologie ne va-t-elle pas heurter les reprĂ©sentations Ă lâĆuvre ? Il faudra en passer par un travail de pĂ©dagogie, estime Bruno Tisseyre, apprendre des erreurs du passĂ© pour « Ă©viter de voir surgir un label garanti sans robot, sourit-il. Mais il faut aussi garder Ă lâesprit quâon ne pourra probablement pas faire sans, sauf Ă dĂ©localiser certaines productions⊠»
« Do it yourself »
Si les robots sont des concentrĂ©s de technologies, ils sont aussi porteurs de technologies « fermĂ©es », propriĂ©tĂ©s des grandes firmes et donc susceptibles de renforcer le lien de dĂ©pendance des agriculteurs aux constructeurs. On se souvient de lâaction engagĂ©e voici quelques mois par des propriĂ©taires dâengins John Deere qui ont intentĂ© une class action contre le fabricant amĂ©ricain8 pour avoir le « droit de faire rĂ©parer » leurs matĂ©riels hors des concessionnaires agrĂ©Ă©s. Câest contre cet effet pervers que sâest construit lâAtelier Paysan en France. Cette coopĂ©rative possĂšde trois sites, son siĂšge en IsĂšre, un en Bretagne et un autre dans lâAude, auxquels sâajoutent sept camions ateliers qui permettent de dispenser des formations ou des ateliers Ă©phĂ©mĂšres, tous dĂ©diĂ©s Ă lâautoconstruction : « Nous intervenons aujourdâhui dans tout le monde francophone ou presque, prĂ©cise Hugo Persillet, responsable du pĂŽle animation et mobilisation paysanne de la structure. Nous formons entre 500 et 700 paysans et paysannes par an. Nous les accompagnons depuis la conception jusquâĂ la construction de leurs outils, puis nous mettons les plans Ă disposition, en accĂšs libre. »
Dans lâatelier audois, Olivier Fouquet, vigneron Ă Villerouge-TermenĂšs, met la derniĂšre main Ă la construction dâun four Ă pain. « Câest un projet que nous avons Ă©laborĂ© avec des amis nĂ©oruraux installĂ©s depuis cinq Ă six ans : monter un atelier paysan-boulanger. Nous avons trouvĂ© trois hectares de terres pour commencer et lĂ on concrĂ©tise en construisant un four. On avait regardĂ© du cĂŽtĂ© du neuf, mais cela ne nous correspondait pas forcĂ©ment. Et puis moi, depuis que je suis installĂ©, jâai toujours fait avec du matĂ©riel dâoccasion, utile et efficace, ça permet de ne pas trop investir. Venir ici permet de construire un outil quâon a choisi, qui a Ă©tĂ© pensĂ© par des gens du mĂ©tier, corrigĂ© Ă plusieurs reprises â câest la sixiĂšme version je crois â et que nous pouvons adapter Ă nos propres besoins », justifie-t-il. Et lâaffaire nâest pas plus chĂšre ! 3 600 euros pour les piĂšces nĂ©cessaires, la formation Ă©tant prise en charge par Vivea, contre 3 Ă 4 000 euros pour du neuf, pas forcĂ©ment adaptĂ© aux besoins.
Garder la main
Ce four est construit sous la houlette de LĂ©o Serre, formateur de lâAtelier Paysan depuis quatre ans. Il a quittĂ© une entreprise toulousaine de fabrication de matĂ©riels agricoles pour rejoindre la coopĂ©rative. Une dĂ©cision quâil qualifie Ă la fois dâidĂ©ologique et de politique : « On produisait des machines trĂšs chĂšres, trĂšs technologiques et pointues. Moi qui suis issu dâune famille dâagriculteurs, jâĂ©tais perplexe sur la proposition que nous faisions⊠Ma famille nâaurait jamais Ă©tĂ© en mesure dâacheter ça et aurait complĂštement perdu la main sur la machine⊠» On est lĂ Ă lâos de la dĂ©marche. « Ici, on apprend Ă autoconstruire tout ce qui est technique hors de lâagronomie : lâĂ©lectricitĂ©, la charpente, le travail du mĂ©tal, la mĂ©caniqueâŠ, poursuit-il. On peut bricoler beaucoup de choses, des petits outils, des tariĂšres, des brouettes mais aussi des outils attelĂ©s derriĂšre des tracteurs, des outils de traction animale, des fours Ă pain. En partant souvent de zĂ©ro en termes de compĂ©tences et avec des plans de machines qui ne sont pas toutes au mĂȘme stade de maturitĂ©. »
Animatrice de lâatelier de FĂ©lines-Minervois, Kristel Moinet en tĂ©moigne : « Ce quâon fait attire beaucoup. Nous touchons aujourdâhui des profils assez diffĂ©rents, pas forcĂ©ment que des militants. Certains veulent simplement reprendre leurs outils en main car acheter un outil onĂ©reux peut les bloquer dans leur systĂšme de production. » Pour que le projet soit accompagnĂ© par lâatelier, il doit nĂ©anmoins avoir une qualitĂ© essentielle : ĂȘtre reproductible. « Sâil nâest pas utilisable par une autre ferme, alors câest quâil y a un problĂšme dans lâitinĂ©raire technique, lequel a dĂ» crĂ©er une dĂ©pendance qui nâest pas compatible avec le projet des fermes en agroĂ©cologie », tient Ă prĂ©ciser Hugo Persillet. Les limites ? « On va les trouver dans les productions les moins poussĂ©es en agroĂ©cologie. Les grandes cultures en particulier, parce que le contexte socioĂ©conomique dans lesquelles elles sont intĂ©grĂ©es rend difficile de se passer de lâappareillage technique. Mais cela commence Ă arriver avec le mouvement des paysans-boulangers qui mettent en Ćuvre des matĂ©riels reproductibles et low-tech. »
Mobilisation citoyenne
Si le mouvement a commencĂ© par le maraĂźchage et si câest encore aujourdâhui le secteur le plus concernĂ©, les autres productions gagnent du terrain. « Ce qui est le plus frappant aujourdâhui, poursuit Hugo Persillet, câest lâĂ©volution des porteurs de projets. On est en train de glisser doucement du systĂšme de la petite ferme âromantiqueâ, centrĂ©e sur le maraĂźchage et gĂ©rĂ©e en couple qui fait le marchĂ© du samedi, Ă des projets plus complexes, des installations plus mixtes, associant plusieurs ateliers, des installations collectives se donnant pour mission de nourrir les populations. » Ă FĂ©lines, aujourdâhui, lâambition est bien de changer de dimension : devenir un tiers lieu et lâouvrir Ă un public plus large par le biais des formations. Toujours dans lâidĂ©e de rendre accessible la technique et dâaugmenter le nombre de paysans sur le territoire. « Notre vivier nâest pas assez large, il faut aller chercher de nouveaux publics », plaide encore Kristel Moinet. Dâautant que le projet de lâAtelier est Ă©minemment politique, explique Hugo Persillet : « Nous intervenons aussi auprĂšs du grand public : face Ă lâĂ©ventualitĂ© dâune robotisation totale de lâagriculture, les paysans ne sont pas assez nombreux pour peser, câest comme pour les OGM, il faut y adjoindre une mobilisation citoyenne. »
La robotique et l’agroĂ©cologie
Trois questions Ă CĂ©dric Seguineau, directeur du Grand DĂ©fi de la robotique agricole (ANR, Robagri et Inrae).
Quels sont les enjeux pour les robots aujourdâhui ?
CĂ©dric Seguineau : Il y en a plusieurs, la santĂ© par exemple, rappelez-vous que les engins agricoles sont des outils dangereux et plus on sâen tient loin, moins le risque dâaccident est grand. Une machine qui travaille sans avoir besoin quâun opĂ©rateur sâen approche permet de rĂ©duire lâexposition aux risques (mĂ©caniques, chimiques). Le deuxiĂšme argument, câest que le robot peut prendre en charge des tĂąches pĂ©nibles, rĂ©pĂ©titives, qui sont Ă risque de troubles musculosquelettiques. La robotique a Ă offrir une palette de solutions pour rendre le travail soutenable.
Et vous insistez sur lâenjeu deâlaâtransitionâĂ©cologiqueâŠ
Cela fait plus de trente ans que les chercheurs y travaillent. Ils ont dĂ©veloppĂ© des solutions mais on ne parvient toujours pas Ă surmonter le changement dâĂ©chelle. Pourquoi ? Parce que cela met en jeu des questions de coĂ»t de revient, de main-dâĆuvre, de techniques. Les robots peuvent, Ă mon sens, jouer un rĂŽle important dans ce changement dâĂ©chelle en le rendant possible.
Mais les robots posent aussi la questionâdeâlaâdĂ©pendanceâĂ âlâoutil…
Effectivement, câest un phĂ©nomĂšne quâon a vu Ă lâĆuvre avec la mĂ©canisation, les produits phytosanitaires⊠Il peut y avoir cette tentation chez les constructeurs de robot de faire « comme avant ». On remplace un Ă©quipement conventionnel par le mĂȘme, sans cabine. MĂȘmes pratiques, mĂȘmes impacts nĂ©gatifs sur la soutenabilitĂ© de lâagriculture. Et on rajoute une couche dâendettement chez les agriculteurs. La robotique, si elle est rĂ©ellement pensĂ©e comme une solution pour faire de lâagroĂ©cologie ou simplement pour accompagner la transition Ă©cologique, a le mĂ©rite de questionner ces modĂšles peu soutenables.
Entre deux rangs, le juste milieu ?
Entre le low-tech et le robot qui ramasse des pommes avec des drones, il y a un peut-ĂȘtre un espace Ă explorer, esquissĂ© par Bruno Tisseyre et mis en Ćuvre au Clos de Paulliles, une propriĂ©tĂ© viticole du cru banyuls, propriĂ©tĂ© de la Maison Cazes Ă Rivesaltes. LĂ , les vignes sont face Ă la mer, cultivĂ©es en bio, donc sans recours possible au dĂ©sherbage chimique mais avec une pente telle que mĂȘme lâusage dâun tracteur chenillard y est trop dangereux. La pioche resterait la seule possibilitĂ© sâil nây avait⊠la bidouille ! La Maison Cazes a ainsi acquis un petit robot tĂ©lĂ©commandĂ©, Ă lâorigine dĂ©veloppĂ© pour nettoyer les talus dâautoroute. « Câest un engin facile Ă transporter en camion dâune parcelle Ă lâautre et câest simple Ă piloter. Mais ce nâest pas un robot autonome au sens oĂč on lâentend, lâopĂ©rateur reste Ă proximitĂ© mĂȘme si le rayon dâaction va jusquâĂ 150 mĂštres. Je ne suis pas sĂ»r que lâon pourra un jour disposer de solutions autonomes pour nos parcelles si particuliĂšres », prĂ©cise Quentin Mayer, chef de culture du Clos Paulilles. Surtout, les ateliers du domaine ont crĂ©Ă© et adaptĂ© un cadre dentĂ© spĂ©cifique pour que le robot puisse dĂ©sherber. « Lâengin avance Ă trois kilomĂštres Ă lâheure seulement, mais gagne beaucoup de temps par rapport Ă un chenillard. » En vitesse de croisiĂšre, lâengin permet de travailler cinq fois plus vite quâĂ la main. Compte tenu du travail manuel Ă©conomisĂ©, lâamortissement est expĂ©ditif. Un Ă deux ans, selon Lionel Lavail, directeur gĂ©nĂ©ral de la Maison Cazes. Il retient Ă©galement lâamĂ©lioration des conditions de travail : « Nos salariĂ©s sont formĂ©s Ă conduire un engin radioguidĂ©, pas Ă manier une pioche. Ils veulent tous le faire. »
Gros sous
Le marchĂ© de la robotique agricole a attirĂ© nombre de capitaux dans des levĂ©es de fonds importantes ces derniĂšres annĂ©es. MĂȘme si des Ă©checs ont Ă©tĂ© enregistrĂ©s, les projections voient le marchĂ© mondial du secteur progresser de 17 % par an dâici Ă 2030. Il pourrait ainsi passer de 63 milliards dâeuros de chiffre dâaffaires en 2022 à ⊠218 milliards Ă la fin de la dĂ©cennie. Le contexte est favorable, soulignent les analystes. Car il combine les problĂ©matiques de main-dâĆuvre, dâagriculture de prĂ©cision, de rĂ©duction des intrants et dâaugmentation de la population mondiale Ă nourrir. Le tout dans un Ă©cosystĂšme qui associe startups et majors de la machine agricole.
Lire aussi
- Littéralement, « basse technologie ». En clair, des technologies simples.
- Court-métrage de Sergey Vasilyev, 4 minutes, 19 novembre 2020 (Russie).
- https://www.lagri.fr/robots-apres-tout-par-yann-kerveno
- LIDAR pour LIght Detection And Ranging, systĂšme de guidage par Laser.
- RTK pour Real Time Kinematic, systĂšme de positionnement par satellite.
- La Cuma a bĂ©nĂ©ficiĂ© dâune subvention de 100 000 euros dans le cadre du plan France Relance.
- La technologie dite « maĂźtre-esclave » consiste Ă jumeler un ou plusieurs engins, des tracteurs par exemple, qui travaillent simultanĂ©ment sous la houlette dâun seul conducteur. Câest un moyen dâaugmenter la cadence de travail mais aussi de limiter le poids et donc la puissance rĂ©clamĂ©e.
- https://www.reuters.com/legal/litigation/deere-must-face-us-farmersright-to-repair-lawsuits-judge-rules-2023-11-27/