Sciences et société, alimentation, mondes agricoles et environnement


De l'eau au moulin

Publié le 21 octobre 2019 |

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En Normandie, le déclin du bocage et des amphibiens (2/3)

Par Mickaël Barrioz, Centres Permanents d’Initiatives pour l’Environnement (CPIE) de Normandie
Guillelme Astruc et Claude Miaud,
Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE), CNRS

Dans un article à paraître dans le Bulletin de la Société Herpétologique de France (SHF),
Mickaël Barrioz et ses collègues (Astruc et al.) alertent sur le « déclin alarmant des amphibiens
de France ». Ils ont choisi l’exemple étayé de la Normandie, où se trouvent les bocages
les plus denses de France : entre 2007 et 2017, soit en seulement 10 ans, environ
un quart des populations d’amphibiens y ont disparu.

Le bocage normand est le plus dense de France (Photo : François Nimal).

Le déclin des amphibiens : un constat scientifique

Les Centres Permanents d’Initiatives pour l’Environnement (CPIE) de Normandie coordonnent, dans la région, en collaboration avec le Centre d’Écologie Fonctionnelle et Évolutive (CEFE) de Montpellier, le programme POPAmphibien élaboré par la SHF (Barrioz et Miaud, 2016). L’objectif est de mesurer les tendances des populations d’amphibiens. Au total, un échantillon d’une centaine de secteurs comportant environ mille points d’eau potentiellement favorables à la reproduction (mares, fossés, sources…) sont suivis dans cinq départements : le Calvados, l’Eure, la Manche, l’Orne et la Seine-Maritime.

Sur les 15 espèces présentes huit sont en déclin. Il s’agit souvent d’espèces fréquentes comme le Crapaud commun, la Grenouille rousse, la Salamandre tachetée, le Triton alpestre et le Triton palmé, ou un peu plus rares, comme l’Alyte accoucheur, le Triton crêté et le Triton ponctué. Cela illustre bien la nécessité de suivre des espèces considérées parfois, à tort, comme « ordinaires » telle la Grenouille rousse qui a connu ces dix dernières années une régression de 24 % et qui n’est pas protégée. En effet, cette dernière est pêchable, sous certaines conditions (arrêté du 19/11/2007, art. 5) et ses habitats ne bénéficient pas de protections particulières.

La Salamandre tachetée, en fort déclin (- 22 %), est un bon indicateur de l’état
de conservation du bocage (Photo : Lilian Sineux).

Modification des paysages et changements agricoles

La modification des paysages consécutive aux changements agricoles est la cause principale suspectée. En matière de diversité batrachologique, l’importance de l’hétérogénéité du paysage agricole dans l’ouest de la France a été mise en évidence par une équipe du Centre d’Études Biologiques de Chizé (CEB) et du CEFE (Boissinot, 2009 et Boissinot et al., 2015). Parmi les éléments significatifs qui influent positivement sur l’abondance des espèces, citons : la densité de prairies, de mares et de haies.

Or entre 2005 et 2015, selon le Ministère de l’Agriculture (Agreste, 2016), les cinq départements normands ont connu une régression importante des prairies permanentes, notamment du fait du développement des cultures (baisse du cheptel laitier et développement du maïs fourrage) : – 16 % dans le Calvados, – 19 % dans l’Orne, – 20 % dans la Manche, – 21 % en Seine-Maritime et – 21 % dans l’Eure. Dans l’ouest de la France, en perte absolue (- 46 001 ha de prairies permanentes), c’est un département normand, la Manche, qui est le plus marqué, tandis qu’en gain absolu (+ 6 554 ha), c’est un département breton, les Côtes-d’Armor. Aujourd’hui, la surface de prairies permanentes est de 179 260 ha dans la Manche et de 32 598 ha dans les Côtes d’Armor.

La disparition des prairies entraîne généralement celle des mares mais aussi celle des haies, coupées pour limiter l’ombre sur les cultures et optimiser l’usage des machines. Ainsi, la Basse-Normandie a perdu 9 000 km de haies (soit près de 6 % du réseau) entre 2006 et 2010 (DREAL de Normandie, 2017). Selon l’Inventaire Forestier National de l’IGN, en 2007, la Basse-Normandie était la région la plus bocagère de France, avec des densités de haies généralement supérieures à 125 mètres linéaires (ml) par hectare et même supérieures à 200 ml/ha dans la Manche. Qu’en est-il aujourd’hui, après dix années de suivis POPAmphibien ?

Vaches et biotope typique pour la reproduction des amphibiens dans le bocage
normand : la mare abreuvoir (Photo : François Nimal).

Le remplacement des prairies par des cultures, le plus souvent intensives, induit aussi une augmentation des pollutions aquatiques et terrestres particulièrement néfaste (Mandrillon et Saglio, 2005 ; Mann et al., 2009 ; Fryday et al., 2012) et peut-être avec une ampleur sous-estimée (Hayes et al., 2006 ; Brühl et al., 2013). La consommation de pesticides à usage agricole a augmenté de 12 % en France depuis 2009-2011 et, en Normandie, l’Indice de Fréquence de Traitement phytosanitaire (IFT) est légèrement supérieur à la moyenne nationale (Observatoire national de la biodiversité, 2018).

Mais il convient aussi d’ajouter une hausse importante de l’artificialisation des milieux naturels et agricoles (tissus urbains, zones industrielles et commerciales, réseaux de transport, etc.) dans les trois départements les plus bocagers : + 29 % dans l’Orne, + 24 % dans la Manche et + 21 % dans le Calvados contre + 7 % en Seine-Maritime et + 8,5 % dans l’Eure, départements dominés par un paysage d’openfield (Agreste, 2016).

Les principaux changements agricoles en cours, en Normandie, ont donc une influence négative sur le bocage et les populations d’amphibiens. Cette transformation est multifactorielle : elle va des changements de pratiques d’élevage, par exemple le remplacement des prairies par des cultures de maïs fourrage, au déclin de l’élevage laitier, en passant par l’artificialisation des terres agricoles.

Ces résultats peuvent probablement être extrapolés à l’échelle du domaine atlantique, notamment dans les régions bocagères qui connaissent ou ont connu de tels changements depuis le milieu du XXe siècle : Bretagne, Pays de la Loire, Poitou-Charentes…

Les paysages agricoles de l’ouest de la France offraient ‒ et offrent encore ‒ aux amphibiens des habitats très favorables. Les agriculteurs ont façonné ces paysages : sachons soutenir une agriculture dynamique, respectueuse des équilibres écologiques et humains.

Voir ici les références bibliographiques des articles 1,2,3 de Sesame consacrés aux amphibiens

Pour protéger les amphibiens sur nos routes, télécharger ici le guide gratuit du CEREMA.

Pour créer et entretenir un plan d’eau à amphibiens : quelques principes généraux ici (annexe 3 du guide CEREMA).

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4 Responses to En Normandie, le déclin du bocage et des amphibiens (2/3)

  1. Bonjour,

    A Eau et Rivières de Bretagne, nous mettons en place un accompagnement pour les propriétaires de mares… nos volontaires peuvent même venir réaliser des petits travaux d’entretiens… n’hésitez pas à nous faire signe !! (seulement pour la Bretagne)
    et creer un refuge grenouilles chez vous !

  2. oyat dit :

    Comment limiter la destruction des pourtours de villes et villages par d’affreux lotissements de maisons beigeasses , cernées de stériles haies de thuyas , alors que les centre-villes et villages se fissurent , s’effondrent ? mais où est la conscience des élus, fascinés certainement par les promoteurs immobiliers à l’occasion des discussions sur les plans d’occupation des sols . L’AMENAGEMENT est le maître -mot. Sniff…

  3. BARRIOZ dit :

    Pour la protection de la Grenouille rousse : vous pouvez d’ores et déjà faire entendre votre voix en participant à la consultation, ouverte jusqu’au 1er décembre prochain, via le lien ci-après : http://lashf.org/non-classe/le-nouvel-arrete-de-protection-des-amphibiens-et-reptiles-est-en-consultation-publique/

  4. Albert dit :

    Bravo pour la vulgarisation qui confirme, rapports après rapports, que l’agriculture d’aujourd’hui, la création des ZAC et autres barreaux routiers sont les causes de cet effondrement du vivant.
    A quand un sursaut du ministère de l’écologie ?
    Et des politiques ?

    La société civile vous attend !

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