De l'eau au moulin

Published on 27 septembre 2018 |

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[Transition : repères pour réussir] Changer, une nécessité (1/4)

Philippe Cousinié, Ingénieur agronome et animateur Réso’Them transition agroécologique de l’enseignement agricole, philippe.cousinie@educagri.fr

La notion de transition reste encore mal comprise. L’objet de ces articles est de présenter des repères pour mieux l’appréhender. A partir du déséquilibre mondial, nous nous sommes interrogés sur notre modèle de vie et la nécessité de réussir la transition, ce qui nous a amené à définir la transition comme un système de champs d’application et des ruptures nécessaires au changement.

Les activités humaines sur terre produisent des effets qui affectent notre avenir : réchauffement climatique, épuisement ou destruction de ressources naturelles et mise en danger des populations. Dans le cas de l’agriculture, les pratiques industrielles sont responsables de nombreux impacts environnementaux connus. Il est donc fondamental de changer les pratiques agricoles. Sur le plan énergétique, la disparition des combustibles fossiles impose de trouver des alternatives compatibles avec le respect de l’environnement. La situation écologique appelle des réponses globales pour évoluer vers la protection de l’environnement et la préservation des ressources naturelles. Ces constats ont provoqué une prise de conscience et une remise en cause de l’idéologie du progrès (Bourg, 2018). L’idée de transition s’est progressivement imposée pour faire évoluer l’ensemble des pratiques humaines vers un respect de la nature et de la vie : changer de modèle est devenu fondamental pour réussir la transition (Caplat, 2014).

L’une des questions qui se pose est de mieux comprendre les effets de l’activité de l’homme sur l’état de santé de la planète. Nous en donnons ci-dessous un aperçu.

Une menace sur l’avenir de l’humanité, de la faune et de la flore

La fertilité humaine par exemple diminue au rythme actuel d’environ – 2 % par an en Occident (en quantité et avec une baisse qualitative). Entre 1973 et 2011, elle a été divisée par deux. Les prévisions font état d’une diminution mettant en péril la reproduction humaine dans les trois prochaines décades (Levine et al, 2017). L’effondrement de la biodiversité animale des pays agricoles est spectaculaire (comme l’épuisement irréversible des ressources halieutiques et la perte de biodiversité de – 52 % de 1970 à 2010 selon WWF). Les pathologies et les ravageurs progressent dans les écosystèmes.

Une destruction de l’environnement qui fragilise la vie

80 à 90 % des ressources halieutiques ont disparu, 80 % des insectes, 58 % des espèces de vertébrés en 2012 et probablement 67 % en 2020 selon WWF. La déforestation a provoqué une perte de 1/3 des terres arables ces trente dernières années. En Europe, les sols ont perdu en moyenne la moitié de leur matière organique en un demi-siècle avec une fragilisation de la vie biologique (effets du labour profond, érosion, acidification, salinisation et pesticides). A l’échelle planétaire, à la perte de terres agricoles s’ajoute une déperdition liée au rachat massif de ces terres par des pays en quête de réserves foncières (5 % des terres en 12 ans). Les pollutions de l’air ont quant à elles un coût global estimé à 1400 milliards d’euros en Europe (OCDE, OMS 2015).

Un réchauffement climatique ininterrompu

Alors que la température mondiale a progressé de 1° entre 1910 et 2010 (GIEC), la température moyenne devrait augmenter de 3 à 4°C en 2100 selon le scénario moyen du GIEC, couramment admis dans des groupes de scientifiques. Tous les écosystèmes en seront bouleversés avec un impact important en agriculture (INRA, 2015). Le système alimentaire mondial impacte le climat par les Gaz à Effet de Serre (GES) à hauteur de 50 % (Grain, 2011), la production agricole se situant à environ 15 %.

Un développement des maladies chroniques dégénératives à l’échelle planétaire

La malnutrition touche toujours 1 milliard d’humains alors que les excès alimentaires touchent au moins 2 milliards d’humains. Nous sommes dans l’ère des maladies chroniques dégénératives selon le modèle nutritionnel de Barry Popkin. Ce modèle relie la progression continue du surpoids, de l’obésité, du diabète 2, de la stéatose hépatique non alcoolique (1 milliard de personnes) et d’autres pathologies liées notamment aux perturbateurs endocriniens avec le développement urbain et la société de consommation (Popkin, 1993).

Une raréfaction des ressources naturelles

La majorité des minerais, le phosphate et le pétrole (donc l’azote minéral produit) seront pour la plupart épuisés entre 2030 et 2100 (Meadows, 2012 et Hopkins, 2010).

Une accumulation croissante de déchets et de pollutions

Les océans se remplissent de plastiques et de détritus de toute nature et des polluants chimiques sont présents dans l’air, l’eau et le sol parfois pour des générations et des siècles comme la chlordécone aux Antilles, les métaux lourds dans les sols ou les désherbants dans les nappes phréatiques). Le développement se fait donc au prix de pollutions incessantes à tous les niveaux avec des effets de long terme.

Malgré tous ces effets combinés, le besoin de transition se heurte à des freins et des obstacles.

Penser la transition : freins et obstacles

Le principal obstacle à la transition est le système de pensée moderne. En effet, Le cloisonnement entre les spécialités, les disciplines scientifiques et les techniques a entraîné une perte de sens et de repères dans les planifications et le développement. La spécialisation a fait perdre de vue les interactions par exemple entre l’aliment et l’environnement, la santé et la nutrition. Le système de pensée actuel que l’on peut qualifier de réductionnisme ou de spécialisme (Ortega y Gasset, 1937) a conduit à penser la transition en développant des domaines appliqués (énergie, écologie, technique, agroécologie, etc.) sans toujours faire des liens entre eux.

Le poids des lobbies oriente l’ensemble des décisions politiques comme on peut le vérifier pour l’écologie, l’énergie et le climat par exemple. Ils maintiennent le verrouillage sociotechnique de l’agriculture intensive en agissant pour conserver ou amplifier l’usage des pesticides (Meynard, 2017).

Or les menaces qui pèsent sur la vie doivent amener à repenser toutes les décisions en mettant l’humain face à ses responsabilités. L’équilibre à retrouver doit permettre de restaurer et de protéger la nature et la vie tout en préservant les ressources essentielles pour les générations futures. La transition demande un nouvel élan d’imagination : la créativité est ainsi une garantie pour l’avenir de l’humanité. L’état de la planète implique donc de revoir tout notre modèle de vie pour rétablir un équilibre naturel afin d’assurer l’avenir de l’humanité. C’est la finalité de la transition.

Références bibliographiques

Lire l’article suivant : Vers une approche systémique (2/4)

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