Les échos & le fil Sagne d'Opoul © archives Yann Kerveno

Published on 25 septembre 2024 |

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Problème à trois corps et fusil à deux coups

S’il est un sujet épineux dans la longue liste des sujets qui irritent la société aujourd’hui, en voilà un pas bien simple. Je la fais courte, c’est la chasse et la préservation de la biodiversité. Vous voyez tout de suite les clivages. Pourtant, à bien y regarder, l’affaire est plus complexe qu’il y paraît, voire carrément « touchy ». C’est un papier de José Pichel Andrés du site espagnol El Confidencial qui nous a mis sur la piste de ce fil du mercredi 26 septembre 2024.

Il y conte les questions que se posent actuellement les gestionnaires de réserves naturelles du pays confrontés à la prolifération des sangliers et des cervidés. Bestioles qui pullulent sans vergogne depuis 2020 et l’interdiction de toute chasse de loisir dans les périmètres protégés. Il évoque notamment le cas du parc de Doñana dans le sud de l’Espagne, souvent théâtre de conflits entre irriguants et protecteurs des oiseaux. Comme il l’explique, les sangliers et cervidés font aujourd’hui peser une menace inquiétante pour les populations d’oiseaux, 90 % des nids de poules d’eau et de hérons pourprés ayant été détruits cette année par les sangliers, mais aussi pour la biodiversité végétale. Plus à l’intérieur du pays, une association d’utilisateurs du parc de Cabañeros veut déposer une plainte pour « gestion déficiente et négligente » de cette zone faute de plan de gestion des populations d’ongulés sauvages. En quatre ans, la population de cervidés y a été multipliée par 2,35 et celle de sangliers par 2,74. Les exemples sont nombreux, comme cette autre situation dans le parc de la Sierra de Guadarrama où la réintroduction des chèvres sauvages bouquetins ibériques il y a 35 ans met aujourd’hui en péril une partie de la végétation. Les menaces sont d’ailleurs plurielles comme le font remarquer les chercheurs, Antonio Carpi en tête, dans un document de travail bigrement intéressant et publié récemment. Ils pointent du doigt trois risques majeurs dûs à ces surpopulations d’ongulés : la perte de biodiversité, le risque accru de zoonoses et, moins intuitif… les accidents de la route. Et mettent en lumière les limites de l’interdiction de la chasse de loisir.

Casser des œufs ?

Le problème que souligne José Pichel, c’est que pour les défenseurs de la nature, la chasse est un élément d’altération du milieu naturel… On voit le mur avancer. Dans certains parcs, les populations sont certes contrôlées par des chasseurs « professionnels » mais les ressources financières semblent manquer pour généraliser cette conduite. D’autres parcs ont eu recours au piégeage puis à la vente des animaux pour la boucherie ou encore aux chasses privées dans une pirouette un peu osée. Le contrôle des naissances ? Peu efficace sur ces populations, estime Antonio Carpio. Le loup ? Il pourrait être un début de solution mais il est pour l’instant cantonné au nord-ouest du pays et son retour ne manquerait pas de créer une autre kyrielle de problèmes. Nous voilà au cœur du moteur avec des impératifs de conservation qui, un peu à l’image de l’omelette, ne peuvent se poursuivre sans casser quelques œufs (sans jeu de mots déplacé).

Money money money

Et c’est une ambiguïté que notre monde tellement clivé a du mal à admettre. Aux États-Unis, l’agence d’Etat chargée de la conservation des espaces naturels reconnaît aux chasseurs un rôle majeur dans la préservation des espèces. À la fois par leur rôle de régulation et plus prosaïquement encore par les impôts qu’ils payent en chassant. En s’en remettant même à Roossevelt, c’est dire, qui aurait déclaré : « Dans un pays civilisé et cultivé, les animaux sauvages ne continuent d’exister que s’ils sont préservés par les sportifs. Les excellentes personnes qui protestent contre la chasse et considèrent les sportifs comme des ennemis de la faune ignorent qu’en réalité, le véritable sportif est de loin le facteur le plus important pour empêcher l’extermination totale des créatures sauvages les plus grandes et les plus précieuses. » Dans un pays qui chérit autant les armes à feu, le contraire eut été surprenant. Ce qui l’est plus, c’est que les chasseurs ont été partie prenante du développement du modèle de conservation de la faune sauvage actuellement en vigueur dans le pays.

Une longue histoire

Il n’est pas inintéressant d’ailleurs de plonger dans l’histoire du bison et de Yellowstone au début du XXe siècle. Où l’on apprend que les populations à protéger étaient nourries l’hiver, qu’une fois suffisamment nombreuse, des abattages avaient lieu, que les migrations hivernales vers l’extérieur du parc, où le gibier causait des dégâts aux cultures, ont même été bloquées. Les chasseurs se postant « en tirailleurs » juste à l’extérieur du parc pour abattre les animaux qui franchiraient la limite. Et là aussi, la question de la ressource surgit. En 1919-1920, 14 000 élans seraient morts de faim, du côté du Grand Canyon (Kaibab), ce sont des milliers de cerfs anéantis pour la même raison au cours de l’hiver 1924-1925, alors qu’on savait depuis 1920 que la pression sur le milieu était trop importante mais qu’aucune  décision d’abattage n’avait été prise… Vous avez toute l’histoire là, incarnée par la politique de Stephen T. Mather, alors en charge des parcs, c’est instructif. Et aux États-Unis, la baisse du nombre de chasseurs est devenue un sujet d’inquiétude pour les organismes chargés de la conservation des milieux naturels. Pourquoi ? Parce que la sanction frappe immédiatement au porte-monnaie, les ressources issues  de la pêche ou de la chasse pouvant représenter jusqu’à 60 ou 80 % des financements. Ce rôle de protection de la nature est un des arguments mis en avant par les chasseurs un peu partout dans le monde pour plaider la légitimité de leurs actions.

Genève, ce paradis (vraiment ?)

Alors bien sûr, du côté des opposants à la chasse, on ne voit pas les choses de la même manière. Arguant que la chasse va bien au-delà de ce rôle de régulation, en ciblant des espèces qui ne sont ni invasives ni problématiques. Mieux, que la nature se régulerait elle-même et que c’est à nous, humains, d’apprendre à coexister avec les populations animales dont nous avons d’ailleurs en grande partie détruit les habitats. Est souvent avancé, à titre d’exemple, le cas du canton de Genève qui a interdit la chasse de loisir depuis 1974, mais a maintenu des prélèvements conséquents. Prélèvement réalisés par les gardes assermentés et professionnels, avec un coût non négligeable pour la collectivité et sans empêcher de très grandes variations dans les populations : alors que les effectifs de sangliers ont explosé malgré cette gestion, les lapins de garennes sont passés, eux,  à deux oreilles de disparaître. Ce cas est d’ailleurs un modèle d’école pour expliquer le « cherry picking », dès lors qu’on va chercher l’info qui conforte notre point de vue, à l’exclusion de toute autre. Vous n’avez qu’à comparer ces deux publications, ici et ici, qui proposent deux visions très différentes d’une même réalité. Tout ça pour revenir en Espagne et ce très bon papier de El Confidencial qui ajoute une couche supplémentaire de complexité : comment faire pour contrôler les dégâts sur les cultures générés par des animaux qui sortent des zones protégées  pour se nourrir avant de se replier rapido, et avec bon sens, dans leur refuge une fois bombance faite ?

Avouez que le sujet mérite mieux que des emporte-pièces. Non ?

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