Quel heurt est-il ?

Published on 21 février 2018 |

0

[Dossier Loup] Protection ou éradication ? (7)

Suite du grand entretien que nous a accordé Jean-Marc Landry. (Questions et réponses précédentes).
(Photo IPRA-Landry.com /A.Rezer)

Pourtant, on entend dire régulièrement que les protections ne servent à rien.

Il y a actuellement un lobby pour dire que la protection des troupeaux ne fonctionne pas. Ce n’est pas vrai. Le rapport TerrOïko 1, commandité par les ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique et publié en 2016, montre clairement que, dans les Alpes, 80% des éleveurs ne comptent que trois ou quatre victimes par an (à noter que ne sont pas pris en considération les animaux qui auraient pu disparaître). Ce qui suggère fortement que les protections des troupeaux fonctionnent. Bien entendu, ces éleveurs subissent malgré tout la contrainte de la mise en place de la protection et qu’ils doivent gérer les chiens toute l’année. En revanche, 20% d’entre eux subissent en moyenne 25 victimes chaque année. Ce qui est énorme. On a aussi constaté que 3 % des éleveurs concentrent 30 % des victimes. Il faudra désormais se donner les moyens de comprendre ce qui se passe sur ces foyers de prédation.

Ce qui est certain, c’est que nous voulons comprendre de l’intérieur comment fonctionne la protection des troupeaux pour l’améliorer et essayer de diminuer les contraintes inhérentes à sa mise en place.  Bien sûr, il y a des pressions pour que nous ne touchions aucune aide financière. C’est la raison pour laquelle j’ai créé une fondation dotée de financements privés. En outre, cela nous permet de garder notre neutralité. Néanmoins, si on nous avait donné les moyens, on serait beaucoup plus avancé aujourd’hui. C’est dommage, car au vu des résultats que nous avons pu récolter avec si peu de moyens, nous pouvons déjà expliquer aux éleveurs et aux bergers pourquoi il y a des attaques, comment ça se passe et comment on peut améliorer la protection.


Retrouvez toutes les vidéos de l’IPRA

Pensez-vous que vos observations et vos résultats soient transposables sur tous les territoires ? Sur le Larzac, par exemple…

Je vais rester prudent. Nous travaillons sur deux territoires, les Préalpes collinaires steppiques et les Alpes, sur lesquelles je peux dire beaucoup de choses. Nous allons aussi travailler dans le Jura et dans le Grand Est de la France. Quant au Larzac et aux Pyrénées, je ne connais pas suffisamment pour me prononcer.

Comme nous étudions le système loup – troupeau – protection sur deux territoires distincts, nous avons des dénominateurs communs qui pourraient également être transposé à d’autres territoires. Sur le Larzac ou dans la Meuse, les éleveurs travaillent beaucoup avec des clôtures. Ceci est dû à la particularité de leur type d’élevage, très différent de celui pratiqué dans les Alpes. Et, ce qui est surprenant, c’est que personne n’étudie le comportement du loup face aux clôtures. On l’imagine, on le fantasme en train de sauter par-dessus des enclos de plusieurs mètres de haut ! Nous avons donc décidé de regarder cela de plus près, de mener une étude avec des loups captifs. Nous l’avons fait avec des collègues suisses, parce qu’en France le sujet était trop polémique !

Nous avons démontré que les loups ne sautent pas les enclos électrifiés et, même s’ils avaient l’occasion de le faire, ils essayaient en général de passer par-dessous. Si on encourageait ce type d’étude, cela permettrait d’améliorer les clôtures et de comprendre comment les loups essayent de les franchir et les adapter, non plus seulement pour contenir du bétail, mais également pour empêcher les prédateurs de pénétrer. Apprenons d’abord à connaître les comportements des prédateurs avant d’affirmer n’importe quoi. Bien entendu, il peut arriver qu’un individu apprenne finalement à sauter par-dessus un enclos électrifié, mais cela ne signifie pas que cela soit une caractéristique de l’espèce. Si cela devait malheureusement arriver, il faut intervenir rapidement pour éviter tout apprentissage social, c’est-à-dire qu’un individu particulier transmette son expérience aux autres.

Comment expliquez-vous cela ? Pourquoi certains voudraient-ils l’éradication du loup sur le territoire ?

Le loup est un révélateur de ce qu’il est en train de se passer sur le terrain. On vit de plein fouet la mondialisation, la précarisation du métier d’agriculteurs, la majorité des éleveurs ovins ne fait pas exception. Il y a des intérêts en jeu, avec certains qui profitent du système, ce qui est bien connu dans le monde de l’élevage. Le loup marque ce changement.

L’élevage ovin a connu plusieurs grandes crises. Au départ, on élevait plutôt des béliers pour la laine. Puis, vers 1850, cette industrie de la laine a pris de plein fouet l’entrée du Commonwealth sur ce marché ; l’élevage ovin s’est donc effondré. Certains ont réussi à s’adapter en réorientant l’élevage vers la brebis allaitante en produisant des agneaux. Sauf que ce type d’élevage demande d’autres structures d’hébergement, des bergeries, des endroits dédiés à l’agnelage, l’agneau étant une bête bien plus fragile que le bélier. A l’époque, il y avait peu de prédateurs, cela posait peu de problème. Jusque dans les années 80, ce système a plutôt bien fonctionné, mais avec l’affaire du Rainbow Warrior 2, en 1985, la France va devoir ouvrir ses frontières à des agneaux de l’extérieur. Conséquence : le prix de la viande française s’écroule. Les éleveurs essaient de relever la tête et quand ils y sont plus ou moins parvenus, le loup arrive. Au pire moment pour l’élevage français ! On est passé de 30 millions de têtes en 1890 à 6,5 millions aujourd’hui et l’érosion de l’élevage ovin continue, notamment par le manque de remplacements des anciens qui partent à la retraite par des jeunes.

Dans ce contexte, il y a chez les éleveurs, ce sentiment qu’on ne veut plus d’eux. C’est un raccourci de dire que le loup est responsable de tout, mais il complique grandement cet élevage déjà fragile et met en danger certaines trésoreries. Ce n’est pas lui qui pose problème, mais notre manière de considérer l’élevage ovin qui se casse la figure aussi bien en France, qu’en Suisse et dans toute l’Europe. Des structures comme le Cerpam 3ont développé le sylvopastoralisme et ont aidé les éleveurs à pâturer dans des milieux boisés, dans des chênaies. Mais il devient quasiment impossible d’amener des brebis en sous-bois et de les protéger efficacement du loup, sans reconsidérer complètement la protection des troupeaux. Et dans ce contexte parfois explosif, certaines positions sont devenues plus idéologiques que factuelles.

Le loup complique donc le travail d’une filière fragile…

Effectivement et paradoxalement, on n’a jamais autant parlé du métier de berger. Avant, c’était le moins que rien. Depuis que le loup est là, les gens semblent redécouvrir cette profession. On parle plus de leurs conditions de vie pas toujours faciles, des relations parfois conflictuelles avec leur patron, le manque de confort et d’équipement des cabanes, des salaires souvent peu élevés, etc. Le loup représente donc aussi une certaine opportunité. Beaucoup pensent que grâce au loup, il y a aujourd’hui une visibilité sur leur métier. La détresse que subissent les éleveurs face à la prédation a aussi révélé la précarité de leur métier, même si beaucoup s’en sortent bien.

La suite : Le loup a-t-il changé avec le temps ?

Retrouver les autres articles de ce dossier édité en 2017 : 


  1. Voir sur le site du ministère de l’Agriculture http://agriculture.gouv.fr/telecharger/83479?token=7265b5c706896e7d1d5c644fe07cd4a0
  2. https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/affaire/rainbow-warrior-30-ans-apres_991317.html
  3. Centre d’Etudes et de Réalisations Pastorales Alpes Méditerranée pour la gestion des espaces naturels par l’élevage

Tags:




Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Back to Top ↑