Quel heurt est-il ?

Published on 20 février 2018 |

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[Dossier Loup] Quid des patous ? Sont-ils efficaces ? (6)

Suite du grand entretien que nous a accordé Jean-Marc Landry. (Questions et réponses précédentes)

(Photo IPRA-Landry.com /A.Rezer)

Dans le triptyque que vous observez, que savez-vous de la manière dont travaillent les chiens face au loup ?

C’est l’un des questionnements du projet CanOvis. Nous avons vu des situations hallucinantes. Par exemple, trois super patous, de très bons chiens, courent après un loup mais, à un moment donné, ce dernier fait des angles droits, sans doute pour que les chiens perdent sa trace. Un peu plus loin, il s’arrête, observe et les attend ! Quand un chien a retrouvé la trace du loup, ce dernier repart et s’en suit une course-poursuite. On a observé plusieurs fois ce comportement vraiment étrange des loups. Nous pensons, là aussi, qu’il s’agit de subadultes qui, peut-être, jouent ou testent les chiens. Ou s’agit-il simplement de stratégies d’économie d’énergie que l’on pourrait également observer chez des proies face à des loups ou des chiens de chasse ?

Nous observons également des comportements que nous ne pensions jamais observer. Par exemple, un loup et un chien se trouvent face à face, à proximité d’une carcasse de brebis enfouie sous des pierres par le berger, à proximité du troupeau en couchade libre (à la cabane). Le chien entend ses congénères aboyer et abandonne le loup qui se trouve à moins de 100 mètre du troupeau ! Puis il prend part à la recherche en suivant ses traces en sens inverse (faire le pied du loup) jusqu’à ce que les chiens réalisent qu’ils se sont trompés et qu’ils reviennent à proximité du loup qui observe la scène depuis le début. Et à un moment donné, pour une raison inconnue, il détale comme s’il avait le diable aux fesses. Nous avons aussi vu un chien tenir tête à quatre loups pour défendre une brebis blessée, un autre foncer dans un groupe de cinq loups et un chien rattraper un loup à la course. Ces observations ont été réalisées lors de confrontation entre des chiens et des loups qui ont duré toute la nuit. Des chiens extraordinaires !

Nous constatons que les relations et interactions entre les chiens et les loups sont bien plus complexes que ce que nous pensions au début de cette recherche.

Revenons un instant aux patous, dont la présence n’est pas simple pour les multiples utilisateurs du territoire (randonneurs, touristes). On dit aussi que ce ne sont pas les chiens les plus efficaces…

Ce chien, le patou ou Montagne des Pyrénées, est passé par un goulet d’étranglement, qui fait qu’on a abouti à une nouvelle population davantage faite pour la compagnie que pour la protection des troupeaux. En Rhône-Alpes, en1985, l’Association pour la Promotion des Animaux de Protection (APAP) a commencé à placer ces chiens contre les chiens divagants et ça a très bien fonctionné. Et, comme le loup arrivait, le raisonnement a été de prendre les patous pour les placer auprès des troupeaux. Malheureusement, l’association a été contrainte de cesser ses activités et tout le professionnalisme de l’association a été perdu. La demande de chiens a augmenté rapidement et malgré un suivi par les DDT(M), on a vu sur le marché un peu tout et n’importe quoi. A un moment donné, des éleveurs ont même sélectionné des chiens particulièrement agressifs, ce qui va à l’encontre du tourisme. Conclusion : il faut supprimer le loup, pour pouvoir enlever les chiens.
Désormais, plus aucun éleveur ne pense travailler avec des chiens agressifs, mais on a également perdu en savoir-faire et il n’y a plus de suivi des chiens qui, auparavant, était fait par des techniciens des DDT dans les Alpes. Malheureusement, aujourd’hui, ils croulent tellement sous la paperasse, qu’ils ne peuvent plus sortir ; il n’y a plus de suivi, pas assez de formation et d’évaluation des chiens pour savoir s’ils sont bons ou mauvais. Beaucoup d’éleveurs sont conscients qu’il faudra travailler avec plusieurs races et lignées de chiens et qu’il faudra prévoir une sélection stricte. Car s’il y a de très bons chiens, il arrive aussi que certaines lignées ne fonctionnent pas bien, que cela soit des patous ou d’autres races de chiens.

En 2014, nous avons rédigé un article dans lequel nous posions la question de savoir si le Montagne des Pyrénées est la race adéquate face à un prédateur comme le loup. Des collègues américains m’ont écrit pour me dire qu’ils font les mêmes observations que les nôtres, c’est-à-dire que ces chiens avaient de la peine à faire face aux loups (plus grands et lourds que ceux des Alpes) et que c’est la race dont les individus sont le plus souvent tués par le prédateur. Si ce chien travaillait bien avec le coyote, le puma ou l’ours, avec le loup, cela a changé. Sur différents territoires, le patou n’est donc probablement pas la meilleure race. C’est pour cette raison que l’on voit une recrudescence d’autres types de chiens plus grands, comme le berger d’Anatolie, qui travaillent différemment. Toutefois, nous avons trouvé des lignées de patous qui semblent aussi très efficaces. Il faut donc favoriser ce type de chiens à d’autres lignées moins efficaces.

Sur Canjuers, on trouve de nombreuses sortes de chiens, des bergers d’Anatolie ou des chiens issus de croisement. Si on compare deux troupeaux voisins, celui avec différents types de chiens (berger d’Anatolie, montagne croisé chien de la Serra da Estrela (le chien de montagne portugais), berger du Caucase) et en plus grand nombre est plus efficace que celui qui n’a que des chiens d’une seule race. Ces observations suggèrent fortement que ce n’est pas nécessairement la race qui est le critère le plus important, mais le mélange de types de chiens dont les comportements se complètent (par ex. des chiens qui restent dans le troupeau et d’autres qui patrouillent davantage).

Nous avons aussi observé et filmé des chiens qui s’interposaient, poursuivaient ou se battaient avec des loups être très amicaux avec des humains connus ou inconnus le lendemain matin. Ces observations suggèrent fortement que l’agressivité face à un prédateur est différente de celle face à l’homme. Nous avons aussi constaté que les chiens reviennent rapidement au calme après une interaction. Contrairement à ce que nous pensions, les chiens de protection ne sont pas sur le qui-vive toute la nuit et dorment souvent quand le troupeau est au repos.

Pour revenir sur l’imaginaire du loup, j’ai donné ce printemps une formation à des bergers. Nous commentions des images sur la façon dont le loup attaquait le troupeau. Un berger m’a dit, « ce n’est pas comme ça que ça se passe. » Il était dans l’imaginaire, et quand il a vu le loup attaquer, il n’en revenait pas, il ne pensait pas que ça se passait comme ça. Idem pour les chiens. Beaucoup de bergers ne savent pas comment travaillent leurs chiens pendant la nuit. Ils voient le résultat, si le troupeau a été attaqué, mais n’ont pas (encore) connaissance des interactions loup – troupeau – protection.

Vous êtes basé sur le massif des Alpes-Maritimes et sur Canjuers dans le Nord du Var, dans le parc régional du Verdon. Quels types d’élevage y sont pratiqués ?

On y trouve des transhumants et des éleveurs locaux qui font pâturer leurs bêtes sur place toute l’année. Certains troupeaux sont parqués la nuit, d’autres non. C’est la richesse de ces différents modes de conduite qui crée également la richesse et la spécificité de notre étude. Par exemple, sur Canjuers, nous avons trois types de conduite des troupeaux, tous accompagnés de chiens de protection et impacté par la même meute de loups, sur un même territoire : celle où le berger est en permanence avec ses bêtes qu’il enferme dans un parc électrifié le soir ; celle où le berger vient conduire son troupeau à la même couchade libre et enfin, un système en couchade libre, où les brebis vagabondent et cherchent elles-mêmes l’endroit où elles veulent dormir. Il s’agit d’un laboratoire à ciel ouvert qui permet d’observer d’un seul tenant les interactions loup – troupeaux – chiens, un cas unique en France

Voyez-vous une différence en fonction des différentes pratiques ?

Oui. Dans la pratique avec filet électrifié (ou non), il n’y a pas d’attaque la nuit, alors qu’il y en a dans les deux autres systèmes. La couchade libre rend le travail des chiens plus difficile. Si le troupeau est compact avec suffisamment de chiens, ce système fonctionne bien. En revanche, il suffit de légères modifications du système (par ex. vent violent, le troupeau qui se scinde en deux pendant la nuit, terrain embuissonné, etc.) pour que la protection présente des failles dont les conséquences peuvent être dramatiques (un éleveur a perdu une soixantaine de bêtes en une nuit lors d’une attaque alors que les chiens avaient toujours été très efficaces).

La suite :  Protection ? Éradication ?

Retrouver les autres articles de ce dossier édité en 2017 : 

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