Publié le 22 janvier 2018 |
0Les vieux cépages reviennent dans le rang (1)
Par Yann Kerveno.
Réchauffement climatique, pression sociale, marketing évolutif, la vigne est sous le coup d’une intense pression. Face au temps long de la plante, s’empilent les défis pour les vignerons et les chercheurs. Mais l’avenir de la vigne passe, en partie, par son passé déjà lointain.
Les vignes sont consciencieusement plantées entre des haies de roseaux. Le marin pousse sur la côte une nébulosité diffuse qui gomme le bleu du ciel si cher à Bataille. Au loin, deux hommes avancent doucement entre les rangs, s’arrêtant sur certains ceps, sans logique apparente. Pour y rester plantés un moment. Je les vois consulter des documents, échanger entre eux un instant, puis reprendre leur marche dans le sable. Vigneron isérois, Nicolas Gonin est venu avec un collègue pour « réviser » et mettre à l’épreuve ses connaissances d’ampélographe 1. Les vignes qu’il parcourt avec tant d’attention sont celles du domaine de Vassal, à quelques kilomètres de Sète où l’Inra prend soin d’une des collections de vignes (au sens large) les plus importantes du monde. Dans la salle de l’herbier, des classeurs, des armoires, des dossiers, des fiches… 8 000 accessions, éléments en collection (porte-greffes, cépages, hybrides producteurs directs, Vitacées, lambrusques…) sont décrites dans cet herbier unique.
Pour chaque accession, un dossier complet qui comprend cinq feuilles de la plante, des photographies, la description ampélographique complète, plus d’une centaine de critères retenus par l’Office International du Vin (OIV) permettant de décrire les feuilles, le bourgeonnement, la baie, la grappe… Y sont ajoutés les fruits d’autres observations, description et notation de phénologie, rendement, fertilité, dates de débourrement, toutes les plantes présentes au domaine sont minutieusement décrites. « Ici, nous conservons mais nous essayons de savoir ce que nous conservons, à savoir l’identification et la caractérisation, mais nous essayons aussi de définir le potentiel agronomique et technologique de chaque plante. Nous allons, pour les raisins de cuve, jusqu’à réaliser des microvinifications pour avoir des données sur les vins produits » détaille Cécile Marchal, responsable du domaine de Vassal.
« La collection sert de support à de nombreuses recherches, en génétique bien entendu, nous avons de tout temps été associés avec l’unité qui s’occupe de génétique de la vigne et d’amélioration à Montpellier. Mais les recherches peuvent aussi sortir de ce strict domaine, porter sur la domestication, l’étude des phénols, nous recevons même des archéobotanistes qui réalisent des prélèvements de pépins. Mais, aujourd’hui, la nouvelle thématique phare, c’est le comportement face aux maladies, maladies du bois et les champignons, mildiou, oïdium… »
Monument historique
Si Nicolas Gonin est venu d’Isère pour réviser, c’est bien parce qu’aujourd’hui ces cépages anciens, conservés avec soin à Vassal, suscitent une curiosité très intéressée dans tous les vignobles français. Dans le Gers, Nadine Raymond, œnologue et directrice de la R&D de l’union de caves des Producteurs Plaimont a repris le flambeau d’un travail mené depuis trois décennies. Je la retrouve dans une parcelle reculée de Sarragachies, aux confins du Gers, des Landes et des Pyrénées-Atlantiques.
L’endroit est propre, à peine indiqué pour éviter le vandalisme et c’est un vrai trésor végétal qui est planté là, à l’ancienne, en carré pour laisser les bœufs passer dans n’importe quel sens. Cette parcelle attenante à une ferme appartenant à la famille Pédebernade a probablement été plantée dans le premier tiers du 19e siècle. Elle doit d’avoir survécu au phylloxéra qui ravagea la région quelques décennies plus tard grâce à son sol, majoritairement fait de sable, parfaite barrière contre les vers si destructeurs.
Visite de la parcelle Pedebernade avec Nadine Raymond.
« Nous avons trouvé vingt-et-un cépages différents dans cette parcelle, certains qui sont connus, d’autres pas du tout » explique Nadine Raymond. Pour le profane que je suis, ce ne sont pourtant que des pieds de vignes parfaitement alignés. Difficile d’y trouver au premier coup d’œil une différence sous la pluie fine de ce début juillet qui fait tomber le brouillard sur les collines gersoises. Seule l’implantation pose question, la technique est vraiment ancienne, les pieds sont plantés deux par deux. « Le palissage a été installé après, mais c’est vraiment typique du 19e siècle. » Nadine Raymond se réfère à son plan pour décliner l’identité de chacun des cépages présents. Ils sont tous scrupuleusement répertoriés.
Comment expliquer que cette parcelle comporte autant de cépages différents ? « C’est une question à laquelle nous ne savons pas répondre. C’est vraiment étrange. Autrefois il était courant de trouver plusieurs cépages sur une même parcelle parce que les assemblages étaient réalisés à la parcelle. Il n’était pas rare ainsi de trouver quelques pieds de blancs au milieu des cépages rouges. Mais cette parcelle en particulier, nous ne savons pas. Elle servait à produire le vin de garage de la ferme. » Si les travaux d’ampélographie n’ont pas permis d’identifier la totalité des cépages, les inconnus ont été quand même baptisés, du nom du propriétaire de la parcelle, Pédebernade et affublés d’un numéro. Pour les différencier.
À suivre. Demain.
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