Publié le 9 janvier 2019 |
0Le cacao ne compte pas pour du beurre
par Fortin Bley, producteur de cacao en Côte d’Ivoire, président du réseau des producteurs Fairtrade d’Afrique de l’Ouest et membre du conseil d’administration de la coopérative ivoirienne CANN.
Premier producteur et exportateur mondial de cacao, la Côte d’Ivoire a dû faire face, fin 2016, à une chute brutale des cours mondiaux. L’État ivoirien1, qui fixe depuis 2012 un prix minimum d’achat des fèves aux producteurs, l’a diminué d’un tiers en 2017, le faisant chuter de 1 100 à 700 francs CFA le kilo2. Cette baisse drastique a eu de terribles conséquences économiques : la majorité des producteurs n’arrivent plus à couvrir leurs coûts de production et à fournir l’essentiel à leurs familles puisque les plantations de cacao restent, ici, très majoritairement cultivées selon un modèle d’agriculture familiale. En cultivant des parcelles de cinq à dix hectares, près de 800 000 petits producteurs permettent à quelque cinq millions d’Ivoiriens de subvenir à leurs besoins.
Il nous est donc devenu très difficile de comprendre le paradoxe suivant : en contribuant à alimenter le monde, nous n’arrivons pas à nourrir suffisamment nos familles.
Plus grave encore, cette chute des prix a un impact direct sur l’exode rural, notamment des jeunes, vers les villes. Pour les retenir, à mon sens, deux pistes se dessinent : améliorer le confort quotidien des producteurs et leur permettre d’accéder à un niveau de rémunération correct. Quand on peut vivre de sa production, il n’y a plus de raison de partir. C’est mon cas puisque, après mes études, j’ai décidé de revenir à la terre pour produire du cacao.
Ajoutez à cela le changement climatique, l’appauvrissement des sols et l’apparition de nouvelles maladies liées pour partie à la quasi-monoculture du cacao… Nous devons changer de pratiques culturales. Lorsque j’ai débuté, les vieux planteurs du village m’ont rejeté car j’abandonnais les cultures sur brûlis qui détruisaient l’écosystème. Aujourd’hui, ils m’écoutent davantage au vu des résultats que j’obtiens grâce à des pratiques plus durables.
Sur ce marché mondialisé, le commerce équitable offre un filet de sécurité face à la volatilité des prix. Grâce à l’activation du prix minimum garanti par le système Fairtrade, les producteurs ont bénéficié en 2017 d’un prix d’achat supérieur de 16 % au cacao conventionnel, ce qui leur a permis de mieux encaisser la baisse des cours.
Dans notre coopérative, nous avons mis en place un projet pilote de compost pour pallier la faible fertilité de sols naturellement trop sableux. Les ingrédients ? Des cabosses et feuilles de cacao, des feuilles sèches de gliricidia, des cendres et de la sciure de bois, du fumier de bœuf… La recette ? Mélanger ces ingrédients et les recouvrir de grandes bâches retournées tous les quinze jours. Un travail ardu réalisé par de jeunes producteurs, qui reçoivent un salaire de la coopérative et des producteurs chez lesquels ils épandent le compost autour des cacaoyers.
Le partage des décisions et l’instauration d’un système démocratique sont très importants au sein des coopératives. Le fait de recevoir une prime du système Fairtrade, pour financer les investissements ou des projets sociaux, a donné du sens au collectif.
Selon les chocolatiers, si le prix du cacao reste bas sur le marché international, la qualité des fèves s’en ressentira. Avant tout, je pense que nous, les producteurs, sommes la variable d’ajustement dans la répartition de la valeur au sein de la filière.
Ce témoignage fait écho aux demandes des producteurs français retranscrites dans le projet de loi issu des États généraux de l’alimentation. L’un des axes stipule l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et la juste rémunération des agriculteurs. Nous le comprenons…