Les échos & le fil cacao

Published on 14 septembre 2023 |

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Chaud le cacao !

Contrairement à de nombreuses matières premières agricoles, les cours du cacao ne faiblissent pas, bien au contraire. Depuis la guerre en Ukraine et jusqu’à la perspective d’El Niño aujourd’hui, tout s’organise pour que le chocolat coûte plus cher dans les mois qui viennent. Sans que les producteurs en profitent forcément. C’est l’info de la semaine, sortie de la cabosse spécialement pour vous.

Alors que le prix des matières premières tend à se détendre, il en est une dont le prix ne connaît pas de répit. Il s’agit du cacao dont les cours flambent depuis le printemps. Au point de connaître un plus historique (depuis 46 ans) à la Bourse de Londres et un autre à New-York quelques jours plus tard. Depuis le début de l’été, la tonne s’échange désormais sur la plupart des places boursières à plus de 3 000 euros … Jusqu’à atteindre 3 656 $ euros lundi à New-York, 3 494 à Londres où les cours ont progressé de plus de 60 % depuis le premier janvier 2020. Mais que se passe-t-il ? Il se trouve que le cacao paye plusieurs factures à la fois. Et qu’elles sont imbriquées les unes dans les autres.

Après l’attentisme provoqué par la guerre en Ukraine les cours se sont affolé dès l’automne 2022.

Factures amères

La première, c’est une des conséquences de la guerre en Ukraine. Au début du conflit, craignant des pénuries, les industriels du cacao, européens en particulier, sont restés très prudents sur leurs achats, de peur de ne pouvoir faire tourner leurs outils industriels. Faute d’énergie.

La panique passée, ils se sont rués sur le marché quand ils ont compris qu’ils pouvaient espérer travailler normalement… À tel point qu’en février dernier, le conseil du cacao ivoirien avait stoppé les achats des 20 principaux opérateurs (dont Cargill et Barry Callebaut) parce qu’ils avaient atteint leurs quotas.

Dans le même temps, la météo s’en est méchamment mêlée et la production a brusquement chuté en Afrique de l’Ouest, principal bassin de production mondial. Elle est même majoritairement concentrée dans deux pays, la Côte d’Ivoire (45 % de la production mondiale avec 2 millions de tonnes et premier producteur mondial) et le Ghana, deuxième avec 883 000 tonnes. Juste avant l’Indonésie et ses 659 000 tonnes.

Source : worldpopulationreview.com

Ajoutez la perspective d’entrer dans une période dominée par El Niño, jamais propice à la culture du cacao, qui a remis une couche d’incertitude là où il n’en fallait guère. La Côte d’Ivoire envisage un recul de 20 à 25 % de sa principale récolte au cours de cette campagne. La Côte d’Ivoire et le Ghana procèdent en effet chaque année à deux récoltes, une petite en début d’été et une plus importante à partir du mois d’octobre et jusqu’en mars. Les récoltes 2023-2024 voire 2024-2025 pourraient être affectées selon Paul Joules (Rabobank), interviewé par Reuters en juillet dernier. Il pourrait manquer 173 000 tonnes au cours de la prochaine campagne en Afrique de l’Ouest.

Peu nombreux sont toutefois ceux qui croient que la flambée des prix pourra profiter aux producteurs. Parce que la filière est ainsi constituée que les profits sont largement captés par l’aval, l’essentiel de la marge étant réalisé et capté par les transformateurs et les distributeurs. Nous avions évoqué cette question dans un thread (sur twitter), en décembre 2020 et cité notamment cette étude alors récente (2018) qui décortique le coût des produits de chocolat en Europe.

Source :

Au Ghana, le président de la République a annoncé tout récemment que l’État allait garantir un prix minimum payé au producteur ghanéen (1837 $/tonne) pour la saison 2023-2024 qui s’annonce, soit une augmentation de 63 %. L’affaire n’est pas philanthropique mais bien économique, la faiblesse de la monnaie du pays et ses prix bas, inférieurs à ceux des autres producteurs de la région, ayant  incité les producteurs à faire sortir le cacao en douce vers les pays voisins dans l’espoir d’être mieux rémunérés.

Du côté des producteurs, les revendications portent sur 70 % du prix FOB

Mais pour l’opposition politique au gouvernement, ce geste, s’il est substantiel, est une injure au dur labeur des familles qui vivent du cacao. Cette augmentation amène le prix à seulement 52 % du prix international FOB faisait remarquer John Dramani Mahama, ancien président du pays. Du côté des producteurs, les revendications portent sur 70 % du prix FOB. S’il est un opérateur plus modeste sur le marché mondial, le Cameroun a lui aussi décidé de faire progresser les prix du cacao jusqu’à 1 500 francs CFA contre 1 200 alors que la question commence juste d’être évoquée en Côte d’Ivoire à quelques jours du début de la nouvelle campagne.

Cette flambée des prix risque fort de faire passer au second plan les problèmes posés par la culture du cacao, entre destruction de forêts protégées, pauvreté et travail des enfants (ils seraient deux millions en Afrique de l’Ouest à œuvrer dans les plantations). Pour aller un peu plus loin sur ces questions au-delà des problèmes conjoncturels de marché, vous pouvez plonger dans les archives de Sesame. Fortin BLEY nous avait expliqué comment la culture du cacao en Côte d’Ivoire affaiblissait les agriculteurs tandis qu’en parfait écho, Pierre RICAU explorait tous les paradoxes délétères de cette production et Francois Ruf réglait son compte au « mythe du cacao durable. »

Chaîne de production de chocolats ©Archives Yann Kerveno

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