Quel heurt est-il ?

Published on 15 novembre 2021 |

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[Antibiorésistance et santé globale] Quelle ordonnance demain ?

par Sylvie Berthier

Accéder à la première partie de l’article [Antibiorésistance et santé globale] En mal de meilleurs traitements.

Elle peut enfin respirer sans s’épuiser… Dans un témoignage passionnant publié par « Libération » 1, l’écrivaine Dane Cuypers raconte pourquoi elle s’en rendue en Géorgie, l’été 2019, pour soigner ses poumons contaminés par Pseudomonas aeruginosa, une des bactéries les plus virulentes, rétive depuis des décennies à tous les traitements antibios. Un jour, elle est donc partie vivre une « aventure thérapeutique coûteuse mais efficace » : la phagothérapie. Lutter contre des bactéries par des virus (des bactériophages, en clair des mangeurs de bactéries) inoffensifs pour l’homme, voilà le principe. « À Tbilissi, 6 000 virus attendent d’être choisis et administrés aux malades colonisés par des bactéries qui résistent aux antibiotiques. À chaque bactérie son virus », explique-t-elle.

Un remède viral

Si cette alternative aux antibiotiques est l’une des pistes les plus prometteuses contre l’antibiorésistance, elle demeure, aujourd’hui en France, aux limites de la loi. Toutefois, poursuit Dane Cuypers, l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM), qui ne peut plus ignorer l’intérêt de ce procédé, « a créé un comité scientifique spécialisé. Restent beaucoup de vœux pieux, à commencer par celui sur les essais cliniques. Qui va les financer ? L’industrie pharmaceutique n’est pas du tout concernée par ces produits naturels, vivants, périssables, spécifiques et donc non brevetables, non monnayables. Avec une exception : la start-up Pherecydes, qui mène des recherches poussées et produit quelques phages servant dans les cas dits “compassionnels”, c’est-à-dire quand la situation clinique est désespérée. »

Le propre du sale

Autre alternative dans la pharmacopée de demain, le microbiote qui agit comme un rempart contre les maladies infectieuses : chez chaque individu, il représente un kilogramme de biomasse microbienne (bactéries, virus, champignons, archées…), qu’elle soit intestinale, vaginale, bucco-dentaire, cutanée ou pulmonaire. Un impératif, garder ces écosystèmes à l’équilibre, au risque de favoriser la prolifération de microorganismes pathogènes et autres maladies. Or trop d’antibiotiques, trop d’antiseptiques, trop de savon… Nous venons de traverser une période de frénésie hygiéniste. Comme l’explique Marc-André Sélosse 2, du Muséum national d’histoire naturelle, dans une vidéo très pédagogique : « C’est utile de tuer les bactéries parce qu’on retire les méchantes, mais on retire aussi les bonnes. Or, un minimum de microbes est nécessaire pour que le système immunitaire fonctionne. […] Nous avons vu une chute spectaculaire, liée à l’hygiène,de maladies comme la tuberculose, les oreillons, l’hépatite. Mais les enfants ne sont plus en contact avec des microbes et, ces dernières années, on voit augmenter les maladies auto-immunes, des maladies allergiques comme l’asthme (une maladie du système immunitaire), les diabètes de type I et II. Et l’on sait, aujourd’hui, qu’une partie des causes de leur développement tient au fait que le système immunitaire ne fonctionne pas bien, car il n’est pas exposé assez tôt à une microflore diverse. Ajoutez un chien dans une famille, vous baissez la probabilité d’asthme de 15 %. Je ne réduis surtout pas ces maladies complexes à une cause unique mais, parmi les facteurs, il y a celui d’un excès d’hygiène. Il faut conserver un certain niveau de saleté bien plus apte à nous défendre que l’absence totale de contaminations. C’est cette “saleté propre” qu’il nous va falloir réapprendre. »

De l’animal idéal au troupeau mosaïque

Inrae l’a bien compris. Voyez plutôt. Longtemps, les sélectionneurs ont cherché à obtenir l’animal « idéal », plus productif et en très bonne santé. Un mythe, un leurre. Aujourd’hui, les chercheurs s’orientent « vers une nouvelle approche inspirée des colonies de fourmis ou d’abeilles, où la combinaison des individualités confère la robustesse à l’ensemble. […] L’idée est de constituer un “troupeau mosaïque” comprenant des animaux très prolifiques et d’autres plus robustes sur le plan immunitaire. L’enjeu : qu’un animal malade ne contamine pas l’ensemble du troupeau et que les défenses de tous soient stimulées. »
Un autre type d’expérimentation menée à l’Institut concerne les poussins qui pourraient éclore parmi des animaux adultes et non plus dans des accouvoirs. Ainsi, ils seraient élevés parmi leurs aînés capables de les apaiser (moins de stress égale moins de maladies), de favoriser leur apprentissage tout en stimulant leurs défenses immunitaires, grâce à une colonisation plus rapide d’un microbiote adapté provenant des déjections des adultes.
Il va donc falloir trouver de nouveaux équilibres, élaborer de nouveaux paradigmes peut-être, entre une nécessaire prévention par l’hygiène – elle a permis de diminuer de 40 % en cinq ans l’usage des antibiotiques chez les monogastriques – et un niveau minimum de saleté.
N’oublions pas, dans cette lutte implacable à mener contre l’antibiorésistance, des classiques comme la vaccination (en l’occurrence, un vaste projet européen, Saphir 3, coordonné par Inrae, cherche des vaccins contre les maladies infectieuses d’importance majeure en élevage) et l’innovation, à grand renfort d’intelligence artificielle, afin de détecter au plus vite l’animal malade au sein d’un troupeau de plusieurs milliers, le traiter rapidement et avec la bonne dose. D’ici là, pour nous simples humains, reste à notre niveau à réduire notre consommation de molécules. Un conseil encore difficile à avaler.

Un maquis de résistances

1928. Le médecin britannique Alexander Fleming remarque que des staphylocoques responsables de méningites et autres pneumonies, qu’il cultive en boîtes de Petri, ont été détruits par une moisissure verdâtre. Découverte majeure du XXe siècle, ce Penicillium notatum produit naturellement une toxine, qu’il baptisera pénicilline. Une substance miracle qui a sauvé, depuis les années quarante, près de quatre-vingts millions de vies dans le monde.
Entre temps, plus de 10 000 antibiotiques naturels, semi-synthétiques ou synthétiques ont été répertoriés. Rançon du succès, ces médicaments ont fait l’objet « d’usages toujours plus fréquents et parfois injustifiés (traitements trop courts, trop longs, doses inadaptées…) tant chez l’homme que l’animal », explique l’ANSES (Agence Nationale de SÉcurité Sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail). Avec cette conséquence : quand les humains tentent d’éradiquer une espèce nuisible (comme un moustique) ou un pathogène (comme une bactérie), des résistances apparaissent et se développent d’autant plus que la lutte devient intensive, régulière et répétée. Pire, ces résistances, portées par des facteurs génétiques, se baladent sans problème d’espèce en espèce.
Comme l’explique Inrae 4, « les bactéries résistantes chez l’animal n’ont guère de difficultés à se transmettre à l’homme, et réciproquement […] lors de la consommation de viande, de lait ou d’œufs, ou à l’environnement, via les fèces, les crachats d’animaux contaminés ou le lisier répandu dans les champs ». Et même dans les champs… de bataille ! C’est l’histoire d’Acinetobacter baumannii, une bactérie devenue de plus en plus résistante aux principaux agents antimicrobiens depuis les années 1970. Appelez-la A. baumannii multirésistant (MDRAb). Dans un article 5 très complet, un collectif de chercheurs raconte comment « l’augmentation de sa résistance semble liée aux conflits armés, notamment depuis l’invasion américaine de l’Irak en 2003. Le MDRAb a été identifié chez des soldats américains de retour du sol irakien, soignés dans des installations militaires américaines, où il a été nommé Iraqibacter. MDRAb est fortement associé […] aux blessures de guerre, qui sont sévèrement contaminées à la fois par des débris environnementaux et des éclats d’obus […]. Les deux peuvent contenir des quantités substantielles de métaux lourds toxiques […] connus pour également sélectionner la résistance aux antimicrobiens ». Un vrai casse-tête.
Désormais, selon l’OMS 6, une douzaine de familles de bactéries (multi)résistantes représentent une menace particulière pour la santé humaine, notamment dans les hôpitaux ou pour les patients équipés de respirateurs ou de cathéters sanguins. Et le monde de se mettre, enfin, en ordre de bataille. Sous la houlette de cette organisation et de l’Initiative sur les médicaments pour les maladies négligées (DNDI), un partenariat mondial pour la recherche-développement (GARDP) alliant le public et le privé a vu le jour. Objectif : d’ici à 2023, mettre au point et proposer jusqu’à quatre nouveaux traitements grâce à l’amélioration des antibiotiques existants et à la mise plus rapide sur le marché d’antibiotiques nouveaux. En France, en janvier 2020, Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement et de la recherche, et Agnès Buzyn, pour la Santé, mettaient pour leur part quarante millions d’euros sur la table, pour donner un coup de fouet à la lutte contre la résistance aux antibiotiques.



  1. Phagothérapie : la revanche des virus guérisseurs https://www.liberation.fr/france/2020/01/21/phagotherapie-la-revanche-des-virus-guerisseurs_1774404/
  2. Voyage au pays des microbes https://www.youtube.com/watch?v=jU7gYF5txc0&t=1802s
  3. Saphir, projet du programme de recherche Horizon 2020 de la Commission européenne, vise à développer des stratégies vaccinales contre des agents pathogènes endémiques responsables de pertes économiques majeures dans les élevages bovins, porcins et avicoles. Il implique quatorze instituts de recherche, cinq PME et un laboratoire pharmaceutique, issus de onze pays européens et de Chine. Le montant du projet est de 10,7 millions d’euros. Comme l’indique Muriel Vayssier-Taussat, cheffe du département Santé Animale d’Inrae : « Des travaux issus de ce projet, en particulier ceux sur la vaccination contre le RSV (virus respiratoire syncytial des veaux), ont reçu le premier prix des recherches visant à diminuer l’utilisation des antibiotiques dans le cadre du plan EcoAntibio 2. Le prix a été remis à Sabine Riffault, chercheuse INRAE du département Santé Animale (https://www.inrae.fr/actualites/sabine-riffault-laureate-du-prix-ecoantibio-2021). La vaccination reste donc une piste très importante pour prévenir les maladies et de ce fait limiter l’usage des Antibio (et pas que pour les maladies bactériennes !). »
  4. https://www.inrae.fr/actualites/antibioresistance
  5. https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fmicb.2020.00068/full
  6. https://www.who.int/fr/news/item/27-02-2017-who-publishes-list-of-bacteria-for-which-new-antibiotics-are-urgently-needed

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