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Quel heurt est-il ? agrivoltaisme

Publié le 6 juin 2024 |

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Agrivoltaïsme : des campagnes survoltées

Dans les starting-blocks de la programmation pluriannuelle de l’énergie, annoncée par Emmanuel Macron à Belfort en février 2022, la course de l’agrivoltaïsme « à la française » devrait passer du sprint pour trouver du foncier au marathon juridique face aux oppositions qui montent sur le terrain. Les futures « fermes solaires » vont-elles faire les frais d’un vent de colère similaire à celui engendré par l’implantation des éoliennes ? Éléments de réponse avec Christian Dupraz, inventeur du concept et pionnier des recherches en agrivoltaïsme en France. Dossier extrait du quinzième numéro de la revue Sesame.

Par Stéphane Thépot,

 « Il faut accélérer, accélérer, accélérer »

Bruno Le Maire

C’est finalement Bruno Le Maire qui a donné le top départ. Le ministre de l’Économie et des Finances a profité d’un déplacement à Manosque (Alpes-de-Haute-Provence), le 5 avril dernier, pour annoncer la publication du décret encadrant la production d’électricité sur les terres agricoles « durant le week-end ». Le texte, âprement négocié et très attendu dans le microcosme de l’électricité champêtre, a finalement été publié mardi 9 avril au Journal officiel. « Il faut accélérer, accélérer, accélérer », a lancé le ministre, tenant à présenter un « plan de bataille » pour reconstruire une industrie de panneaux photovoltaïques française et européenne face à la domination du « made in China ». Avec, en toile de fond, une centrale solaire construite par EDF sur une ancienne carrière. Pour les panneaux dans les champs, ils pourront couvrir jusqu’à 40 % des surfaces agricoles. Un seuil qui fait craindre l’avènement de « fermes solaires », à distinguer théoriquement des centrales photovoltaïques au sol, réservées aux friches industrielles et aux terres réputées « incultes ».

40% des surfaces, c’est trop

« Le décret sur l’agrivoltaïsme va trop loin »

Christian Huyghe

« Ce décret va mettre les agriculteurs dans une position impossible », affirme Christian Dupraz. Cet ingénieur de recherche du centre Inrae de Montpellier a patiemment développé le concept d’agrivoltaïsme en France depuis 2009. Il a vainement plaidé pour limiter les surfaces couvertes entre 10 % et 20 %, afin de laisser passer davantage de rayonnement solaire jusqu’au sol. « Avec 40 % de panneaux, le rendement des cultures va fortement diminuer et il y a de grands risques que les agriculteurs arrêtent de cultiver », selon le chercheur qui a commencé à installer des panneaux photovoltaïques sur des parcelles tests en 2010. « Avec un hectare agrivoltaïque, on peut faire rouler une voiture électrique trois millions de kilomètres, contre seulement 20 000 kilomètres avec un hectare de blé transformé en agrocarburant pour une voiture thermique », s’enflammait Christian Dupraz dans une tribune publiée dans Le Monde en décembre 20221. Mais un an après cet appel enthousiaste à remplacer les surfaces agricoles dédiées aux agrocarburants (1 million d’hectares en France) par des panneaux connectés de nouvelle génération équipés de ‘trackers’ pour suivre la course du soleil au-dessus des champs, le chercheur met en garde : « Les électriciens tentent de sécuriser des surfaces agricoles pour leurs projets, et les agriculteurs sont sollicités de toutes parts. C’est un peu le Far West… Il est temps que la loi et ses décrets d’application viennent préciser les règles du jeu et calmer les esprits », alertait Christian Dupraz en février dernier dans une interview publiée sur le site d’Inrae2. Lorsque le texte est enfin rendu public pour être soumis à concertation, en novembre dernier, le directeur scientifique de l’agriculture d’Inrae, Christian Huyghe, confirme à La France Agricole : « Le décret sur l’agrivoltaïsme va trop loin ».

À l’inverse, le Syndicat des Énergies Renouvelables (SER) se félicite d’avoir été entendu par Bruno Le Maire. Pour cette organisation professionnelle qui revendique 500 adhérents, dont une majorité de PME dans toutes les branches des énergies dites renouvelables (éolien, méthanisation, hydroélectricité, etc.), les panneaux solaires disposés sur terrains agricoles ne représentent qu’une goutte d’eau du potentiel photovoltaïque. L’important, c’est de produire vite, le moins cher possible. Avec la méthanisation (biogaz et électricité), les agrocarburants et le solaire, l’agriculture contribue déjà à la production de 20 % des énergies renouvelables en France. Elle pourrait doubler cet apport d’ici 2030 et le tripler d’ici 2050, fait valoir la FNSEA en signant un accord avec le SER en avril 2023. Mais pas question de renoncer à l’huile de colza (ou de tournesol) incorporée dans les pompes des stations-services pour faire rouler les voitures à moteur thermique, comme le suggérait Christian Dupraz.

Course aux hectares

Ce dernier, qui n’a pas sa langue dans sa poche, raconte « un putsch » au sein des instances représentatives du secteur. Ce qu’il s’est passé ? Jusqu’en septembre dernier, l’association France Agrivoltaïsme était présidée par Antoine Nogier, le PDG de Sun’Agri, l’entreprise qui a le plus investi dans la recherche sur un agrivoltaïsme respectueux des rendements agricoles. Lui succède une coprésidence, avec d’une part le représentant d’un groupe espagnol, Iberdrola, très actif dans les énergies renouvelables en France et premier producteur d’énergie nucléaire de l’autre côté des Pyrénées ; un poids lourd, comparé à la startup Sun’Agri et aux autres PME qui ont accompagné Christian Dupraz dans ses premiers pas. D’autre part, Olivier Dauger, président de la chambre d’agriculture de l’Aisne et vice-président de la FNSEA.

Autre signe de l’intérêt des professionnels des panneaux solaires pour les surfaces agricoles, l’entreprise TSE, basée sur la Côte d’Azur, qui a déjà installé plus d’une dizaine de centrales au sol de grandes dimensions dans toute la France, a signé en mars 2023 un partenariat avec Christiane Lambert, alors présidente de la FNSEA. Objectif : proposer des solutions « clés en main » aux agriculteurs et aux collectivités locales.

Oppositions locales

Clés en main ? Pas si simple. Ainsi, dans le Querçy, TSE et son projet de « canopées agricoles3 » en grappe, totalisant 150 hectares de panneaux photovoltaïques sur les trois départements du Lot, Lot-et-Garonne, et Tarn-et-Garonne, est dans le collimateur de l’association lotoise Environnement Juste. Ses militants pugnaces ont déjà remporté une bataille contre un autre industriel et son projet de centrale de soixante-six hectares au sud de Cahors, obtenant l’avis négatif du préfet de département. Cette fois, le projet est porté par une Association Syndicale Agréée (ASA) d’agriculteurs irrigants du plateau de Sérignac. Laquelle espère financer un système d’irrigation couplé aux panneaux solaires pour vingt-six exploitants sur une quarantaine de parcelles de cinq hectares en moyenne. Pour tenter de rassurer les habitants, TSE a lancé en 2022 des réunions de concertation dans les communes concernées et des « ateliers de coconstruction ». Dans certaines, comme Mauroux (525 habitants), la réunion publique a été houleuse. Là, le conseil municipal avait exprimé sa préférence pour des « projets de taille raisonnable » (un demi-hectare environ) et « une approche démocratique et participative permettant à leurs habitants de produire et consommer une énergie locale à moindre coût ». Ailleurs, deux autres petites communes du Tarn-et-Garonne ont adopté des motions de refus du projet de TSE et des irrigants. Dans le Lot-et-Garonne, les élus de Courbiac ont également rendu un avis négatif « afin de protéger le paysage et préserver l’activité touristique », tout en précisant qu’ils ne s’opposaient pas « au projet global d’ombrières ».

Fantasme d’une marée noire ?

« Tordre le cou au fantasme d’une France noyée sous une marée noire de panneaux. »

Jules Nyssen

Reste qu’entre 500 000 et 1 million d’hectares seraient déjà contractualisés pour recevoir des panneaux photovoltaïques, selon les estimations des professionnels du secteur, cités par Elsa Souchay dans une enquête très complète consacrée au sujet par Reporterre4. Soit dix fois plus que les surfaces estimées pour remplir l’objectif d’installer 100 gigawatts d’électricité solaire en 2050 dessiné par Emmanuel Macron (février 2022) ! Selon la journaliste de Reporterre, c’est la preuve que les opérateurs s’attendent à un fort taux de rejet de leurs projets sur le terrain. Christian Dupraz confirme qu’il y aura une sélection féroce parmi les dossiers. L’inventeur du concept d’agrivoltaïsme estime « raisonnable » de tabler sur une fourchette finale de 100 000 à 200 000 hectares de champs, prairies, vignes ou vergers couverts de panneaux. « On a bien noyé des vallées et des villages entiers lorsque la France a décidé de développer les barrages hydroélectriques, rappelle le chercheur. Avec l’agrivoltaïsme, on maintient et protège la production agricole, c’est nettement plus sympathique. » Du côté du syndicat des énergies renouvelables, son président, Jules Nyssen, s’en tient à un étiage moindre, de 40 000 hectares, soit 0,1 % de la surface agricole utile du pays, pour mieux « tordre le cou au fantasme d’une France noyée sous une marée noire de panneaux. »

Plus de blé qu’avec les moissons

À contre-courant des idées reçues, Christian Dupraz s’attend à voir les tribunaux administratifs encombrés non seulement par les recours des opposants mais aussi par les promoteurs des projets qui seront retoqués. Il déplore les fortes sommes mises sur la table pour convaincre les propriétaires fonciers que la culture des électrons rapporte plus de « blé » que les moissons. « On achète le silence des exploitants avec des loyers parfois supérieurs à 5 000 euros l’hectare, mais c’est aussi le jackpot pour les propriétaires, qui vont toucher des revenus dix à vingt fois supérieurs aux baux agricoles », souligne l’ingénieur. Sa grande hantise : que l’agriculture ne soit plus qu’un « sous-produit » de la production d’énergie, comme le lait de la fameuse ferme dite « des 1 000 vaches » conçue à l’origine autour de la méthanisation des effluents d’élevage du troupeau par un chef d’entreprise qui avait flairé le filon financier. Officiellement, le décret prévoit que les revenus agricoles des exploitations ne doivent pas baisser après la mise en œuvre d’un projet agrivoltaïque. Ce qui interdit le remplacement généralisé des cultures par des moutons, si espéré par les électriciens. Mais comment vérifier que ce sera toujours le cas au bout des quarante ans prévus pour des installations qui se doivent d’être « réversibles » ? « Le pari des industriels, c’est qu’il n’y aura ni contrôles ni sanctions », redoute Christian Dupraz. Le spectre des premières serres photovoltaïques vides de toute activité agricole, découvertes dans les Pyrénées-Orientales ou dans l’Ouest, plane au-dessus de ces centrales descendues des toits des hangars pour se rapprocher du sol.

Qui décide ?

Bien qu’il n’y ait pas de murs pour soutenir les nouvelles générations de panneaux, suspendus ou plantés sur des axes pivotants, ces installations ont toujours besoin d’un permis de construire, comme un bâtiment. Lequel est instruit par les préfets, même pour les projets de moins de cinq mégawatts, ce qui suscite la colère des élus locaux. Les maires se sentent dépossédés de leur pouvoir d’urbanisme. L’agriculture peutelle (et doit-elle) être réglementée par les même règles qui régissent la construction des villes ? Vaste sujet qui mériterait colloques et débats sur les limites de la propriété privée, l’espace public et les « communs » (lire l’entretien en bas de page « Il y a des vertus dans le conflit »).

Concrètement, ce sont donc les préfets qui ont la main dans chaque département en délivrant ou non l’autorisation d’exploiter. Lesquels avaient d’ailleurs reçu consigne d’accélérer l’instruction des dossiers avant même la publication du décret. Le sentiment d’urgence semble régner sur la transition énergétique… Pour ce faire, les représentants de l’État sont tenus de demander leur avis à des instances peu connues du grand public : les Commissions de Préservation Des Espaces Naturels Agricoles et Forestiers (CDPENAF), mises en place en 2014 dans le cadre de la lutte contre l’artificialisation des sols. Elles sont composées de fonctionnaires territoriaux, d’élus locaux, de représentants associatifs, avec l’apport d’experts. Dans le cas des projets d’agrivoltaïsme, les CDPENAF émettent un avis de conformité que le préfet est tenu de suivre. Elles vont donc jouer un rôle clé sur le terrain. Bon à savoir, au passage : les futures « fermes solaires », qui doivent être totalement démontées en fin de vie, ne seront pas comptabilisées pour le calcul du fameux objectif du « zéro artificialisation nette »5. De son côté, Christian Dupraz veut croire qu’il sera encore possible de faire le tri dans chaque département, au cas par cas, entre un agrivoltaïsme « vertueux » et des projets « alibis », avec juste quelques moutons sous les panneaux pour contenir la pousse des herbes folles. Car, si les industriels ne sont pas invités à siéger pour défendre leurs projets lors des réunions des CDPENAF, ils y seront assurément représentés, pronostique le chercheur de Montpellier. Lequel redoute « les soupçons de corruption » au vu des sommes en jeu.

Comme une taxe locale

Les chambres d’agriculture ont aussi leur mot à dire. À la veille des Assises françaises de l’agrivoltaïsme, réunies à Tours (Indre-et-Loire) en décembre 2023, l’assemblée permanente des chambres d’agriculture réclamait la fixation d’un seuil maximum de puissance installée, département par département. Une dizaine de chambres ont déjà adopté des chartes pour tenter d’encadrer l’appétit trop dévorant des énergéticiens pour les terres. Le cas de la Nièvre est exemplaire. Confronté à une première vague d’installations de centrales dans les forêts du Morvan et sur les coteaux bourguignons, l’organisme consulaire a fixé un double plafond, exprimé en hectares (3 700 hectares, soit 1 % de la SAU départementale) et en puissance installée (2 000 mégawatts), rapportait Le Monde le 25 février dernier6. La chambre d’agriculture du département tente surtout d’instaurer un partage original des profits financiers : outre la rétribution de l’exploitant agricole et du propriétaire foncier (1 000 euros/hectare), les opérateurs des futures fermes solaires devront verser une contribution à un fonds d’investissement local de 1 500 euros par an et par mégawatt installé. La solution retenue pour lever cette sorte de taxe locale ? Un Groupement d’Utilisation de Financements Agricoles (GUFA). Les premiers investissements ont ainsi bénéficié à la filière bovine du département (soutien à deux abattoirs locaux et une salle de découpe), rapporte l’hebdomadaire agricole régional Terres de Bourgogne. Lequel signale fin 2023, que trois petits opérateurs énergétiques se sont rajoutés au dispositif en soutenant l’installation de jeunes agriculteurs, après les premières « contributions » de deux acteurs majeurs du secteur, EDF et Photosol. Ce dernier, l’un des pionniers du solaire, a été repris fin 2021 par le groupe Rubis, spécialisé dans la distribution de produits pétroliers et bitumes, pour 376 millions d’euros. Avec une approche dans le solaire qui s’apparente à celui de l’immobilier locatif.

Chicago ou Rungis ?

Opposé « à titre personnel » à tout versement d’un « loyer » aux propriétaires fonciers et aux agriculteurs par les producteurs d’électricité, Christian Dupraz peut au moins se féliciter de ce que la proposition d’un « bail photovoltaïque », avancée par les opérateurs industriels pour sécuriser leurs investissements, n’ait pas été retenue. Il juge en revanche « intéressante » la solution du GUFA pour partager la rente entre le propriétaire du foncier et le territoire. Et estime préférable de répartir une partie des revenus de la vente d’électricité en fonction du nombre de panneaux photovoltaïques installés plutôt que selon la surface occupée au sol. Le décret publié au Journal officiel, lui, reste muet sur cette question. Le partage de la valeur sera-t-il calculé en fonction des hectares ou de la puissance installée ? Pour les professionnels des énergies renouvelables, l’enjeu est de produire des électrons à moindre coût. Les pionniers du solaire et des éoliennes, historiquement liés à la lutte des écologistes contre le nucléaire, sont fracturés. Les « pragmatiques » sont plutôt favorables à l’équipement de grandes surfaces au sol pour rester compétitif. Le SER, notamment, a demandé à Bruno Le Maire quel sera le prix minimum du mégawatt afin de calculer la rentabilité future des investissements. Les autres préconisent un modèle déconnecté du réseau et de la bourse européenne d’électricité (Epex Spot), où la valeur des électrons varie tous les quarts d’heure en fonction des enchères entre pays membres interconnectés par des lignes à très haute tension. Un marché plus proche de la bourse de Chicago que de celui de Rungis…

« Il y a des vertus dans le conflit »

Economiste de formation, chercheur à AgroParisTech et directeur du centre Inrae de Corse, André Torre a conduit de nombreuses études à la frontière du développement des territoires et de l’économie industrielle, avec une expertise reconnue dans l’observation des conflits d’usage.

Stéphane Thépot : Avant même la parution du décret encadrant l’agrivoltaïsme en France, on pouvait percevoir une certaine crispation sur le terrain et dans la presse provenant d’associations sur le terrain, de syndicats ou d’élus. Les futures « fermes solaires » seront-elles les cibles d’une chasse aux sorcières comparable à celle qui vise les éoliennes ?

André Torre : l’agrivoltaïsme et personne ne dispose d’outils précis pour mesurer une quelconque « crispation » mais il me semble évident que les réactions sont susceptibles d’être d’autant plus fortes qu’elles concernent l’activité agricole. Planter des panneaux photovoltaïques, c’est toucher à l’essence même de l’agriculture qui, dans la conscience collective, consiste à produire des biens alimentaires. Que ce soit directement pour l’alimentation humaine ou indirectement pour le bétail. Tant que les panneaux étaient sur les bâtiments, cela pouvait paraître anecdotique, voire sympathique. Mais s’ils couvrent des champs entiers, alors se développe la crainte que l’agriculture se retrouve dévoyée pour n’être plus que l’annexe d’une activité industrielle. L’agrivoltaïsme me semble sur ce plan davantage se rapprocher des débats et des polémiques autour de la méthanisation que des éoliennes. Le méthaniseur, s’il est perçu comme une usine, peut faire peur à certains. Mais pas les champs qui portent les cultures pour l’alimenter. Avec l’installation de panneaux dans les champs où l’on ne voyait jusqu’à présent que des plantes ou des brebis, le débouché industriel de l’agriculture devient visible et inquiète.

Avec cette visibilité, ce sont aussi les paysages qui sont en jeu. Pourquoi refuser de planter des panneaux dans les parcs naturels nationaux et pas dans les parcs régionaux ? Une question similaire s’est posée avec les éoliennes. 

La différence entre parcs nationaux et régionaux tient à une question de réglementation et de philosophie. Les parcs nationaux ont été conçus à l’origine dans une perspective de défense de l’environnement, alors que les parcs régionaux relèvent d’une conception plus large de qualité de vie des populations, en évitant de toucher aux revenus du territoire. Prenez le parc naturel régional de Corse : si on devait y interdire les panneaux ou les éoliennes, on n’en mettrait nulle part sur l’île tant le parc s’étend des montagnes à la mer ! Tout me semble être une question de dosage. Si on installe trop de panneaux photovoltaïques sur un seul territoire, le résultat risque d’être le même que dans certaines villes qui ont trop misé sur le tourisme au point de faire fuir une clientèle qui évite désormais les sites jugés trop fréquentés.

Quel que soit le site, on a le sentiment qu’installer des panneaux génère inévitablement des avis contraires à l’échelle d’une commune. Peut-on concilier les pour et les contre et déboucher sur un consensus au nom de l’intérêt général ?

Comme dans tout conflit d’usage ou de voisinage, il est bon que chacun puisse s’exprimer. Il y a des vertus dans le conflit. Même si le débat peut paraître âpre, les vérités peuvent ressortir peu à peu, au-delà des apparences parfois simplistes. Sur les éoliennes, on a bien vu le paradoxe : au départ, les gens se disaient que c’était plutôt une bonne idée d’utiliser le vent pour faire de l’électricité. Des questions plus pointues se sont ensuite posées : d’où viennent-elles, qui les fabrique et comment, est-ce vraiment écologique ? La même défiance s’applique désormais aux panneaux photovoltaïques. Ceux qui défendent les énergies renouvelables en général et ceux qui défendent tel ou tel projet vont bien entendu tenter d’organiser une médiation. Mais les opposants savent aussi utiliser les médias pour faire valoir leurs arguments. Le rapport de force médiatique est capital. On l’a bien vu avec le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. La population locale, consultée par référendum, avait dit oui. Mais au bout du compte, ce sont les opposants qui ont gagné parce qu’ils avaient remporté la bataille des images.

Vous ne croyez plus à la notion « d’acceptabilité sociale » ?

Je me demande si ce n’est pas une notion un peu dépassée de nos jours, voire franchement « tarte à la crème ». On a effectivement beaucoup misé sur cette dimension jusque dans la précédente décennie pour faire avaler des pilules qui avaient du mal à passer. C’était l’idée grosso modo qu’en mettant tout le monde autour d’une table avec des experts, genre conférence de consensus, la « raison » f inirait bien par l’emporter. Mais on a bien vu, avec les Bonnets Rouges, puis les Gilets Jaunes, que ça ne se passe plus comme ça. Les gens ont le sentiment qu’on essaie de faire entrer des ronds dans des carrés. On se dit qu’à un moment, il faut bien trancher. Même si la décision doit être un peu forcée. Force doit rester à la loi, même si elle ne peut pas tout régler dans les moindres détails et laisse place à l’interprétation sur le terrain. Passer par le législateur vaut mieux que de renoncer à toute règle, ce qui me semble bien plus dangereux. Même si la décision doit être un peu forcée. Force doit rester à la loi, même si elle ne peut pas tout régler dans les moindres détails et laisse place à l’interprétation sur le terrain. Passer par le législateur vaut mieux que de renoncer à toute règle, ce qui me semble bien plus dangereux.

Qui décide au bout du compte ? On voit des agriculteurs se plaindre de trop de réglementation et des opposants qui finissent par dire, excédés : « je suis chez moi, je fais ce que je veux ! »

Sauf que ce n’est pas si simple que ça. Même chez vous, vous ne pouvez pas faire n’importe quoi. Vous n’avez pas le droit par exemple de construire un mur ou une tour sur votre terrain qui me boucheraient totalement la vue. On touche ici aux limites de la propriété privée dans une société. Nous ne sommes pas aux États-Unis. À la campagne, dans les villages, on est bien obligé de faire attention aux autres. On l’a vu avec les épandages près des habitations, qui sont réglementés. En ce qui concerne le paysage, c’est encore plus complexe. C’est un bien commun, qui n’appartient à personne.

Lire aussi

  1. « Développons un agrivoltaïsme innovant, citoyen et respectueux des rendements agricoles », Le Monde, 14 décembre 2022.
  2. https://www.inrae.fr/dossiers/agriculture-forets-sources-denergie/ panneaux-oui-pas-trop
  3. Cette « canopée » désigne une ombrière de panneaux orientables, suspendus par des câbles à cinq mètres au-dessus des surfaces agricoles.
  4. https://reporterre.net/ Agrivoltaisme-une-course-folle-qui-risque-d-epuiser-la-filiere
  5. Sur ce sujet, lire dans Sesame n° 14, « Artificialisation, un débat trop superficiel ? »
  6. « Dans la Nièvre, la fièvre de l’agrivoltaïsme divise les habitants », Le Monde, 25 février 2024.

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