Quel heurt est-il ?

Published on 26 septembre 2019 |

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Le virus du transhumanisme

En novembre 2018, le scientifique chinois He Jiankui annonçait avoir donné naissance à des jumelles génétiquement modifiées par la technique d’édition du génome CRISPR-Cas9 afin de les immuniser contre le sida. Tollé général dans la communauté scientifique internationale. Sesame a demandé à Axel Kahn de commenter cette affaire. En résumé : c’est injustifié et absurde.

« Lulu et Nana sont les deux premières petites filles qui répondent au dessein du transhumanisme, surtout Lulu, parce que, en réalité, malgré la manipulation, Nana possède encore un des deux gènes codant pour le récepteur CCR2 ; elle n’est donc nullement immunisée contre l’infection par le virus du sida.

Cette affaire est profondément absurde et injustifiée. Injustifiée, car, pour se justifier, He Jankui a mis en avant que ces petites filles avaient un papa séropositif. Reste que, aujourd’hui, les pères séropositifs peuvent avoir des enfants sans mettre en danger leur partenaire ou les enfants, simplement par injection intra-ovocytaire de spermatozoïdes lavés. Cela se fait couramment, il n’y a aucun risque dans ces conditions. 

Par ailleurs, l’idée qu’il serait bon pour l’humanité de la rendre résistante au virus du sida est absurde. En effet, sait-on quel danger sera prédominant dans l’environnement de demain ? Si He Jankui avait voulu rendre des enfants résistants à des maladies virales dans les années 50, il aurait choisi la poliomyélite ou la variole qui ne sont plus des menaces. Et il y a toutes les raisons de penser qu’il en ira de même dans l’avenir pour ce virus particulier du sida, car il en va toujours ainsi. Les raisons avancées ne sont donc pas justifiées.

De plus, dans la mesure où les effets potentiels de ces méthodes ne sont pas anticipés, il existe un risque non raisonnable. D’un point de vue purement théorique, le gène et le récepteur CCR5 – celui qui a été inactivé par la méthode – reste très conservé au cours de l’évolution aussi bien chez les humains que chez les autres animaux, ce qui veut dire qu’il a été naturellement sélectionné et qu’il doit donc avoir, globalement, un effet positif. Alors certes, on connaît des prostituées africaines qui vivent indemnes du sida parce qu’elles possèdent une mutation inactivatrice des deux allèles de CCR5. N’empêche, des études préliminaires indiquent que cette mutation inactivatrice pourrait peut-être diminuer la longévité. D’un autre côté, des travaux suggèrent que ce récepteur, une fois neutralisé, accroîtrait la capacité mentale, les propriétés cognitives des individus, en particulier via à une diminution de phénomènes inflammatoires au niveau du cerveau. Là, on nage en plein fantasme du  transhumanisme qui cherche à faire naître des êtres hyper-intelligents.

De toute façon, ma critique personnelle et fondamentale du transhumanisme, c’est que la technologie, que ce soit dans le domaine des biotechnologies, de la médecine ou tout autre domaine – à l’exception  du combat et de la guerre-, est malgré tout non seulement acceptable mais souvent bienfaitrice, car elle permet de réduire, de compenser dans une certaine mesure, des inégalités de nature en transformant une personne malade en une personne saine, une personne handicapée en un individu disposant des mêmes propriétés que les valides. Avec le transhumanisme, on a une inversion totale de ce paradigme. Le but de la technique n’est plus de réduire des inégalités, mais de créer des lignées améliorées par rapport au reste des humains, donc d’engendrer de nouvelles inégalités de nature. Et, sur un plan purement philosophique, je m’y oppose. »

Addendum : (le 08 janvier 2020)
Finalement, He Jiankui a été condamné à trois ans de prison en Chine, le 30 décembre 2019, pour “avoir illégalement procédé à la manipulation génétique d’embryons à des fins de reproduction” et à 380 000 euros d’amende pour pratique illégale de la médecine.

Peu avant cette condamnation, des détails sur cette étude avaient été publiés, renforçant les inquiétudes sur la façon dont l’ADN de Lulu et Nana et un troisième bébé ont été modifié. A ce sujet, lire le papier paru dans The Conversation : Les très graves ratés de l’expérience chinoise des « bébés CRISPR », par Dimitri Perrin, Senior Lecturer, Queensland University of Technology, et Gaetan Burgio, Geneticist and Group Leader, The John Curtin School of Medical Research, Australian National University.

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2 Responses to Le virus du transhumanisme

  1. Pingback: L’Homme façonné par les virus - 1 Scandal

  2. gilbert espinasse says:

    Bravo Axel Kahn pour votre propos mais n’oublions jamais que toute technique doit toujours être guidée par une éthique,sinon l’homme est vite égaré et esclave de cette technique.Que d’exemples, hélas,autour de nous !

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