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Union Libre éleveus-tâcherons

Publié le 23 février 2023 |

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Quand les éleveurs-tâcherons se réapproprient l’abattoir

Par Stéphane Thépot

Article paru dans le cadre de notre partenariat avec la Chaine Unesco Alimentations du Monde, à l’occasion de son 12ème colloque annuel, « Au travail!« 

Il n’y a pas de fatalité à voir les petits abattoirs fermer les uns après les autres après la diffusion de vidéos militantes, plus choquantes qu’un film gore. Ou devenir, loin des regards, des usines à transformer à la chaîne le bétail en barquettes sous vide, par des ouvriers dignes des Temps Modernes de Chaplin. C’est la conviction profonde de Jacques Alvernhe, venu du sud Aveyron pour présenter le concept de « l’abattoir paysan » dans l’amphi Philippe Lamour de L’Institut Agro Montpellier. « Les abattoirs peuvent être gérés autrement, collectivement », expose cet ancien éleveur bio qui s’est retrouvé à la tête de plusieurs abattoirs au cours de sa carrière.

Repoussant à sa façon le couperet légal de la retraite, le sexagénaire, qui a roulé sa bosse jusqu’en Afrique avant de revenir s’établir du côté de Saint-Affrique, est un drôle d’animal qui n’a pas encore atteint l’âge de la réforme. Et qui œuvre bien plutôt à une mini « révolution », qui se trame avec bienveillance un peu partout dans les campagnes.

Jacques Alvernhe est parfois appelé sur le terrain comme un pompier, en urgence. « Je suis devenu le spécialiste de la réouverture des abattoirs fermés », confiait-il en plaisantant dans un précédent numéro de la revue Sésame. Mais c’est en tant que consultant qu’il est bien plus souvent sollicité, par des petits groupes d’éleveurs soucieux de garder la maîtrise de leur production jusqu’au bout. « Il y en a un peu partout en France », témoigne l’Aveyronnais, cartes à l’appui. On compte déjà sept « abattoirs paysans » dans l’Hexagone, tous concentrés dans l’actuelle grande région Auvergne-Rhône-Alpes (Aura). Mieux, neuf réalisations nouvelles sont désormais « imminentes » sur plusieurs territoires, selon Jacques Alvernhe qui a par ailleurs recensé 22 autres projets, plus ou moins matures.

Cheville ouvrière

« Il y a une véritable demande sociétale qui rencontre la volonté de producteurs, pour reprendre le contrôle, en mettant en place des outils de gestion adaptés, généralement sous forme de Cuma ou de Scic », analyse l’homme qui fait un peu office de « cheville ouvrière » au cœur de ce mouvement de fond1 se développant à bas bruit.

Récemment, plusieurs initiatives en faveur d’un « abattage à la ferme », associatives ou commerciales, ont pu obtenir un feu vert suite au vote de la loi Egalim 2, qui a ouvert la porte en 2021 à des expérimentations locales. Les contraintes réglementaires qui pèsent sur les derniers abattoirs de proximité au nom de la sécurité sanitaire ont été assouplies, à la faveur de la montée en puissance des recherches et des normes en faveur du « bien-être animal ».

« Je préfère parler de bien-traitance », corrige Jacques Alvernhe, qui se préoccupe aussi des conditions de travail des humains. Elles peuvent être rudes quand il s’agit non seulement de tuer aussi proprement que possible, mais aussi de dépecer et éviscérer un bétail « sur pied » qui devient alors « carcasse ». Le missi-dominici des « abattoirs paysans » constate surtout, avec soulagement, une plus grande « ouverture » des fonctionnaires « dans une administration sanitaire généralement frileuse ».

S’affranchir des cadences imposées

Plutôt que le très médiatique convoi exceptionnel importé de Suède – un abattoir ambulant de plusieurs gros camions – ou les solutions plus artisanales de « caisson mobiles » développées notamment avec l’Atelier Paysan, Jacques Alvernhe préfère mettre la focale sur l’implication des éleveurs dans le fonctionnement et la gestion de « micro-abattoirs » fixes. Sa référence, ce sont les abattoirs de Die (Drôme) et de Guillestre (Hautes Alpes).

Ce dernier, intercommunal, a été repris par une cinquantaine d’éleveurs sous forme coopérative en 2016. Il a pu se relancer rapidement dans ce bourg de montagne de 2.000 habitants en s’inspirant du modèle des « éleveurs tâcherons », expérimenté dès la fin des années 90 dans le Diois, à 150 kilomètres de distance. Dans ces deux établissements, il n’y a plus d’ouvriers salariés en permanence, mais des éleveurs volontaires, rémunérés à la tâche pour le compte de leurs collègues, explique Jacques Alvernhe. Pas question pour autant de travailler en amateur pour faire le sale boulot qui répugne à d’autres. « C’est un métier de plus pour l’éleveur, dûment déclaré à la MSA ». Surtout, on ne s’improvise pas boucher ou charcutier, il s’agit de se réapproprier les gestes et cela passe par une formation. « Ce n’est pas parce qu’on est un bon éleveur qu’on fait nécessairement un abatteur de qualité », résume notre consultant.

Court-circuiter les intermédiaires

A ses yeux, le premier avantage de ce type d’organisation est de s’affranchir des cadences imposées, trop souvent sources de souffrances pour les hommes comme pour les animaux. L’abattoir ne « tourne » pas tous les jours de la semaine et ne cherche pas à développer les volumes pour équilibrer ses comptes. « Cela change la donne économique ». Lorsque l’abattoir de Guillestre a été acculé à la faillite, 250 tonnes passaient entre les mains de ses trois salariés. Il est désormais bénéficiaire en traitant moins de… 130 tonnes par an. « Il ne faut surtout pas chercher à grossir, mais plutôt à démultiplier les petits abattoirs », plaide Jacques Alvernhe.

Un discours qui va à rebours de la tendance dominante, la concentration : on ne compte plus que 250 abattoirs dans toute la France en 2019, contre environ 400 en 2003.
Sans oublier que l’abattoir paysan constitue le maillon déterminant pour court-circuiter la chaîne des intermédiaires (maquignons, chevillards, etc) de la filière viande, trop nombreux au goût de Jacques Alvernhe. « Les négociants n’ont pas leur place dans le dispositif », se félicite ce partisan des circuits courts entre producteurs et consommateurs, qui pousse à la création d’un label pour des « abattoirs paysans » de proximité.

LIRE ÉGALEMENT SUR LE SUJET :
Des abattoirs de proximité « à la découpe
«  – Par Stéphane Thépot, février 2021.
Filmer, montrer l’abattoir ? Par Manuela Frésil, réalisatrice, Anne Judas (Revue Sesame), janvier 202.
Des abattoirs « comme sur des roulettes » – Par Stéphane Thépot, avril 2019.
Mourir dans la dignité : les animaux de ferme aussi – Par Stéphane Thépot, avril 2019.


  1. A ce sujet, la Confédération Paysanne et le réseau des Amap de la région Aura ont édité, en 2020, une remarquable plaquette de 52 pages qui présente plusieurs réalisations et projets en cours, sous l’égide de la FADEAR.

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