Publié le 28 avril 2021 |
0[Brexit] Poids lourd sur voie de garage
par Tom Lines, spécialiste britannique du commerce agricole
Comment interpréter la trajectoire d’un gros poids lourd qui, à la suite d’une altercation, quitte son dépôt sans aucun plan routier, roule de manière erratique accrochant au passage de multiples obstacles et, après moult collisions, tente de poursuivre sa course tout cabossé, moteur hoquetant ? Tel est le chemin qu’emprunte la situation agroalimentaire d’un pays conduit par les forces qui ont entériné le Brexit.
L’objet de l’altercation dans ce cas précis ? La politique agricole du « dépôt » bruxellois, que les propriétaires du camion n’ont jamais appréciée. Dans leur esprit, quitter l’Union européenne ouvrait des voies plus alléchantes. Plusieurs voies, car la politique agricole relève désormais de la responsabilité de chacune des quatre parties du Royaume-Uni.
Pour la plus importante – celle de l’Angleterre –, Westminster a abandonné les paiements uniques et entamé un approfondissement sérieux des principes écologiques introduits dans le deuxième pilier de la PAC. Avec peut-être pour résultat une agriculture consolidée, avec des sols en meilleure condition, mais réduite en surface, avec quelques terres restituées aux marais et aux forêts naturelles.
Reste que, en quittant la puissance commerciale qu’est l’UE, c’est du côté des échanges que les accidents de route sont les plus nombreux. À commencer par l’élection de Joe Biden qui étouffe tout espoir d’un accord commercial rapide (mais risqué pour l’agroalimentaire) avec les États-Unis.
Sans oublier, après le 1er janvier 2021, les chicanes qui entravent le parcours, avec les nouvelles paperasses requises dès lors que le pays n’est plus ni dans le marché unique ni dans l’union douanière, ce qu’avaient réclamé les ultras du Brexit, en martelant qu’il fallait se débarrasser du fardeau bureaucratique de Bruxelles. Patatras, une pléthore de documents douaniers pour pouvoir exporter, la perte soudaine de marchés, l’incertitude quant à de nouveaux débouchés, l’impact néfaste sur les pêcheries malgré les jolies promesses sur les eaux nationales récupérées. Dernier accrochage ? La Commission européenne lance deux procédures contre le Royaume-Uni pour violation de l’accord du Brexit par des décisions unilatérales concernant le cas particulier de l’Irlande, avec d’un côté l’Irlande du Nord, qui reste de facto dans le marché unique et l’union douanière, ce qui induit des contrôles douaniers sur le fret en provenance de Grande-Bretagne, de l’autre la République d’Irlande, membre de l’UE.
De telles provocations ne forment pas une base fiable pour les nouvelles relations, d’autant moins quand les ultras avaient négligé systématiquement la question politique la plus sensible, celle de l’île de l’Irlande. Résultat ? Le Royaume-Uni déstabilisé encore plus (sans oublier la possibilité croissante de l’indépendance écossaise) à cause d’une nouvelle frontière commerciale entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord.