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À mots découverts

Publié le 24 octobre 2019 |

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[Loup] Autopsie d’une controverse

Par Sylvie Berthier

Et si d’aventure le loup n’en était pas un, mais un simple bâtard, un hybride ?… Cela ferait bien l’affaire de ses détracteurs puisque, en 2014, le comité permanent de la Convention de Berne recommandait1 de « surveiller, prévenir et limiter les croisements » ainsi que d’éliminer tout hybride sous le contrôle des gouvernements. Raté. La controverse engagée sur le terrain de la génétique par les opposants au prédateur a fait long feu : l’hybridation des loups avec des chiens reste marginale, en France comme en Europe. Pas sûr pour autant que cela suffise à tordre le cou aux idées fausses fondées sur la méconnaissance et véhiculées par la rumeur. Examen en profondeur.

Nous l’avons tous appris à l’école, un hybride est un individu issu de l’accouplement de parents d’espèces différentes et, généralement, il est stérile. Exemple le plus souvent convoqué, le mulet, fruit des amours d’un âne et d’une jument ou, plus exotique, le ligre, pour la tigresse et le lion. Pourquoi alors nommer hybrides, les petits nés du batifolage d’une louve et d’un chien ? Car, nous l’avons appris aussi, le chien n’est autre qu’un loup domestiqué par l’homme (lire ci-dessous « Au début était le loup »). Bref, ces deux animaux, qui partagent 99,8 % de leur patrimoine génétique, sont de la même espèce Canis lupus et de leur alliance naissent des chiens loups fertiles. Comme le précise la généticienne Michèle Tixier-Boichard (Inra-UMR Gabi) : « Il vaudrait mieux parler de croisement ou, terme plus technique, d’introgression2, voire de métissage. » Hybride, métis… Peu importe ? Pas si sûr. Emprunté au latin classique Ibrida, signifiant « Bâtard, sang-mêlé », le terme hybride n’opère-t-il pas en faveur d’un déclassement symbolique du loup ? Comme si, avec ce glissement sémantique, l’animal devenait suffisamment impur (nous y reviendrons), pour que la question de son éradication s’opère sans davantage réfléchir. Cela dit, nous emploierons ici l’un ou l’autre terme.

Bizarroïde

Depuis toujours, chiens et loups cohabitent et « fréquentent les mêmes espaces que les hommes, passent au bord des villages, dans les campagnes, comme peuvent le faire les renards », explique Christophe Duchamp, chargé de recherche au sein de l’équipe Grands carnivores : loup et lynx, à l’ONCFS (Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage). Il peut donc arriver qu’ils se croisent et s’accouplent. Souvent ? « Il y a trente ans encore, l’hybridation était peu courante en France, puisque deux meutes de loups seulement étaient présentes dans le parc national du Mercantour. Aujourd’hui la progression territoriale des loups fait que leurs chemins se croisent régulièrement avec les chiens. » Confirmation d’un fin limier. Surnommé « l’espion des loups », Gérard Millischer a été le premier pisteur et photographe des loups arrivés d’Italie en 1992… Cinq hivers successifs à repérer crottes, poils et autres indices disséminés par les animaux pionniers retrouvant le sol français d’où leurs ancêtres avaient été éradiqués à la fin des années trente. « Je ne me suis jamais retrouvé face à un loup en disant : celui-là, il a une drôle de gueule, qu’est-ce que c’est que cette affaire ? Mais, c’est vrai, parfois des gars m’ont dit avoir vu un loup vachement foncé, un peu bizarre. » Une preuve formelle de métissage ?

« Il faut se méfier, explique le naturaliste Roger Mathieu, référent loup de France Nature Environnement Auvergne Rhône-Alpes – FNE AURA et auteur d’un document très complet sur l’hybridation3, il n’existe aucun consensus scientifique permettant de lier avec certitude une anomalie phénotypique à une preuve d’hybridation récente. Cependant, selon certains auteurs, l’observation de quatre caractères anormaux pourrait constituer une preuve de métissage », par exemple la présence d’un ergot (5e doigt) sur les pattes postérieures ou encore des individus entièrement noirs (mélanisme) ou bigarrés. « On se dit : ce loup est étrange avec sa queue relevée et son pelage charbonné… » Car, voyez-vous, la fourrure du loup gris, elle, peut varier du noir au blanc et afficher toute une gamme de gris, fauve ou roux en surface, toujours plus claire dessous. Pour le reste, on reconnaît généralement la bête à ses yeux obliques jaune d’or, ses oreilles en triangle dressées et plutôt courtes, une queue touffue, pendant jusqu’aux talons, et son allure à la démarche « filante ». 

I louve you 

Aujourd’hui, forcément, « avec près de 500 loups sur le territoire, le taux d’interaction entre les deux populations augmente, ne serait-ce qu’en alpage. Mais nos analyses ont montré que l’hybridation reste faible, à moins de 3 % pour les hybrides de première génération », continue C. Duchamp (lire « Police scientifique : y’a un loup ? »). Et concrètement, que sait-on vraiment des rencontres entre chiens et loups ? « Pas grand-chose en nature », lâche le biologiste, si ce n’est que l’accouplement se fait quasi exclusivement entre une louve et un chien errant ou divaguant4. Deux cas de figure et quelques hypothèses tout de même.

Si l’histoire concerne les amours d’une louve en dispersion, donc sans meute, et d’un chien vagabond, le couple sera éphémère. Pas question qu’elle « s’installe » avec lui car, pour cela, « il faudrait qu’il redevienne sauvage, ce qui est plus qu’improbable », souligne C. Duchamp. Une fois fécondée, « on pense que la louve creuse un terrier ou s’installe sous une souche, poursuit R. Mathieu. Mais, seule, il lui sera très difficile d’élever sa nichée, à moins de se trouver à proximité d’une source de nourriture comme une décharge d’ordures ou d’une ferme où des poulets morts, par exemple, sont jetés sur un tas de fumier ». Faute de quoi les rejetons ne survivront pas. 

Pas de recul sur la viabilité

En revanche, « si la louve vit dans une meute et que le mâle alpha n’a pas fait le job, la femelle peut se faire couvrir lors d’une rencontre avec un chien, explique le chercheur de l’ONCFS. La suite de la gestation pourra se poursuivre au sein du clan, alors que le chien aura disparu de la circulation – il sera rentré à la maison par exemple ». Qu’advient-il ensuite des petits métis nés au sein du groupe ? Seront-ils élevés comme de vrais petits loups ? « Nous n’avons pas de recul sur leur viabilité, confie-t-il. Dans nos analyses génétiques, à quelques exceptions près, nous ne retrouvons pas ces animaux d’une année sur l’autre. Sont-ils mort-nés ou plus fragiles que des louveteaux ? » Étrange, puisque, sur le plan biologique, les deux parents étant de la même espèce, ce croisement ne devrait poser a priori aucun problème. Autre hypothèse : l’expulsion des petits intrus car, comme l’explique le naturaliste : « Un animal n’ayant pas toutes les caractéristiques d’un Canis lupus lupus, d’un loup gris, aura énormément de mal à s’intégrer dans une structure sociale telle qu’une meute ou à en construire lui-même une nouvelle. » 

Ni chien ni loup, c’est grave docteur ? 

Ni chiens domestiques ni loups sauvages, quel sort réserver aux métis ? Pour la plupart de nos interlocuteurs, seuls les hybrides de 1re génération (mi-chien, mi-loup, à parts égales) pourraient poser problème, comme la perte de caractéristiques génétiques et comportementales des loups. G. Millischer interroge : « Peuvent-ils poser des problèmes de fond sur les attaques de moutons ou sur la faune sauvage ? Ont-ils les mêmes capacités de prédation que le loup pure souche ? » Mais notre naturaliste de tempêter : « Aucune étude ne prouve un changement de comportement. Si on ne veut plus d’hybrides de 1re génération, on connaît la solution. Il faut empêcher au maximum les chiens errants en édictant des règlements dissuasifs et arrêter de massacrer des meutes de loups au hasard sans savoir si elles sont dangereuses ou pas, car une meute perturbée n’est plus bien structurée. Elle aura donc davantage tendance à faire des hybrides, car une louve, seule au moment des chaleurs, peut rencontrer un chien mâle qui, lui, peut copuler n’importe quand. »

La pureté n’existe pas en génétique

Quant aux hybrides de 2e, 3e génération et plus, le verdict est unanime : étant donné leur histoire commune et les introgressions millénaires de leur génome, il y a fort à parier que l’on trouvera toujours des traces de la proximité génétique entre le loup et le chien. Cela n’en fait pas moins des loups. Et, pour tordre le coup à la notion de pureté souvent invoquée, prenons un autre mammifère : l’homme. On sait désormais que les hommes blancs et asiatiques possèdent a minima 2 % de gènes provenant de Néandertal, une espèce disparue et différente de la nôtre. Cela n’en fait pas moins des hommes. « En revanche, descendant d’Homo sapiens qui n’a pas eu de contact avec les néandertaliens, lesquels vivaient en Eurasie, les Africains ne sont pas porteurs de ce matériel génétique et sont donc plus “purs” que nous », se délecte R. Mathieu. Et notre généticienne d’enfoncer le clou : « La notion de pureté n’existe pas en génétique. Ce qui est gênant dans cette notion, c’est qu’elle est souvent associée à l’absence de variation et donc à une consanguinité néfaste à l’évolution des populations et à leur maintien en bonne santé. Bref, si un cadre réglementaire strict veut poser un curseur sur ce qu’est un loup et ce qu’est un chien, cette décision relèvera d’un choix politique et non d’une vérité scientifique, cette dernière se contentant de quantifier le degré d’introgression du chien vers le loup ; plus le pourcentage est faible, plus l’introgression est ancienne. C’est au politique de dire si 1 %, 2 % ou 5 % sont acceptables ou pas. » Voilà qui ne va pas arranger les affaires des sénateurs qui, se penchant sur la question de l’hybridation, proposaient5 en avril 2018 de s’appuyer sur des éléments scientifiques pour définir juridiquement ce qu’est un loup…

Comme des tigres ?

Finalement, au-delà du statut des hybrides, c’est bien la question de la cohabitation entre l’homme et le sauvage qu’il va falloir penser collectivement. Comme l’écrit Bernard Chevassus-au-Louis, ancien directeur général de l’Inra, aujourd’hui président de l’association Humanité et Biodiversité6 : « Alors que nous souhaitons, à juste titre, qu’il reste sur d’autres continents des éléphants, des tigres, des girafes ou des rhinocéros, même si la cohabitation de ces espèces avec les humains est parfois problématique, pouvons-nous refuser que, sur notre territoire, une place soit faite aux mammifères sauvages et que ceux-ci ne soient pas considérés comme des concurrents ou des nuisances plus ou moins tolérées mais soient partie intégrante de notre patrimoine ? C’est à mon avis la question “préliminaire” qu’il convient de poser avant d’engager un dialogue sur des situations particulières et de rechercher des solutions conciliant les activités humaines et la présence de ces autres “usagers” de la nature. »


Au début était le loup… Plus précisément le loup gris (Canis lupus lupus), aussi nommé loup commun, qui, au fil du temps, s’est différencié en plusieurs « sous-espèces », dont notre loup gris commun d’Europe (Canis lupus lupus), le loup arctique (Canis lupus arctos), le loup de Sibérie et quelques autres. Il y a 20 000 à 30 000 ans, certains de ces individus, sans doute les moins farouches, ont été domestiqués par l’homme7pour donner Canis lupus familiaris (raccourci en Canis familiaris), notre bon toutou, qu’il soit chiwawa, bouvier bernois ou n’importe quelle autre race obtenue au gré de la sélection artificielle. Sachez enfin que de Canis familiaris descendent à leur tour des sous-espèces retournées à la vie sauvage, notamment Canis lupus dingo, mieux connu sous le nom de dingo ou chien chanteur.

De la bête du Gévaudan à Croc-Blanc… Quelques hybrides plus ou moins célèbres… Le plus connu et le plus terrifiant des hybrides reste sans doute la bête du Gévaudan issue, selon certains, du croisement d’un loup et d’un chien de combat, un molosse identique à ceux utilisés par les légions romaines, sélectionnés dans l’Antiquité pour leur caractère guerrier et leur morphologie adaptée au combat. De ces molosses descendent nos actuels Cane corso et Mâtin de Naples.  Autre hybride célèbre, Croc-Blanc. Si, dans le roman de Jack London (1906), l’animal est né d’une mère mi-chienne mi-louve et d’un père loup, dans le film tiré du roman (1991), il est interprété par Jed, un vrai métis né du croisement entre un loup et un malamute d’Alaska. Enfin, il existe aujourd’hui deux races de chiens-loups reconnues8 par la Fédération Cynologique Internationale (FCI) car génétiquement stables : le chien-loup de Tchécoslovaquie, obtenu en 1955 par des militaires tchécoslovaques, issu du croisement entre un berger allemand et une louve des Carpates ; et le chien-loup de Saarloos, fruit du mélange entre un berger allemand et une louve européenne de la branche sibérienne. Notons que l’arrêté du 19 mai 2000, soumettant à autorisation la détention de loups, impose une autorisation préfectorale pour leur possession ou celle d’hybrides dont l’ascendance récente comporte un loup. En revanche, le chien-loup tchécoslovaque et celui de Saarloos étant reconnus comme des races de chiens domestiques du groupe 1 et non comme des hybrides, leur détention est entièrement libre. Dans les lieux publics, nulle muselière ou autre tenue en laisse n’est donc obligatoire. 

  1. Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe. Recommandation n° 173 (2014) du comité permanent, adoptée le 5 décembre 2014, sur les croisements entre les loups gris sauvages (Canis lupus) et les chiens domestiques (Canis lupus familiaris) https://rm.coe.int/1680746989.
  2. Transfert de gènes d’une souche ou d’une population à une autre au sein d’une même espèce.
  3. « L’hybridation du loup (Canis lupus) : un vrai-faux problème » (novembre 2017).https://drive.google.com/file/d/1D0CNsulTp0aVQuUjDZ3txZQORWYu6nq4/view?usp=sharing
  4. Sans contrôle du maître pendant au moins une journée.
  5. « Politique du loup : défendre un pastoralisme au service de la biodiversité ». https://www.senat.fr/rap/r17-433/r17-4335.html#toc90
  6. « La faune sauvage a-t-elle droit de cité dans notre pays ? », édito de L’Écho, n° 113, automne 2018. http://www.humanite-biodiversite.fr/article-asso/l-echo-d-automne-2018
  7. « Le loup a-t-il changé avec le temps ? », entretien avec Jean-Marc Landry. https://revue-sesame-inra.fr/dossier-loup-le-loup-a-t-il-change-avec-le-temps-4/
  8. Deux autres races ne sont pas reconnues par la FCI, le Cane Lupo Italiano ou chien-loup italien et l’American Tundra Shepherd Dog.

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