Publié le 18 décembre 2017 |
0Les pâtes italiennes ont du grain à moudre
Par Giovanni Belletti. 1
« Les vraies pâtes italiennes méritent les meilleures céréales du monde », clamait en juillet dernier la campagne publicitaire de l’un des plus importants fabricants de pâtes d’Italie et emblème du pays. La promesse ? L’utilisation des « meilleurs mélanges de blé de Californie, Arizona, Australie et France, pour vous proposer quotidiennement des pâtes fabriquées selon la plus authentique des traditions, celle de l’Italie ». Si l’on ajoute que le logo d’un autre fabricant leader affiche non pas un champ ou tout autre symbole agricole mais… un voilier, le message devient clair : Mamma mia ! des pâtes, oui, mais pas vraiment d’ici !
Problème : au même moment, le blé dur italien, lui, ne parvient pas à s’écouler à des prix acceptables pour les producteurs, dont la principale organisation organise régulièrement des opérations choc dans les ports du sud de la péninsule, pour révéler à l’opinion publique l’arrivée de cargaisons étrangères. La réplique des industriels qui importent effectivement 20 à 40% des grains est cinglante : la production nationale n’a pas forcément la qualité requise.
Made in Italy
Loin de n’être qu’une guerre commerciale confinée à une filière précise, cette logique s’applique désormais à plusieurs produits emblématiques de la culture italienne : lait de vache, sauce tomate, huile d’olive… Avec ce double enjeu : la transparence sur l’origine des produits agroalimentaires et leur traçabilité, au nom de la sécurité sanitaire et de l’information du consommateur. D’où le débat actuel pour instaurer une forme de protectionnisme du made in Italy, non seulement pour protéger les agriculteurs nationaux, mais aussi et peut-être surtout préserver la culture gastronomique et l’identité nationale, dans un pays où de nombreuses filières agroalimentaires sont restées plus traditionnelles et plus « fermées » qu’ailleurs, compensant des coûts élevés par une stratégie de qualité et d’italianité.
Face à une concurrence internationale sévère et s’inspirant du cas de l’huile d’olive et du lait, le gouvernement italien a établi récemment par décret l’obligation pour les fabricants de pâtes, effective à partir de février prochain, de mentionner sur l’étiquette les pays d’origine de la culture et du fraisage (broyage) des blés utilisés. Une mesure qui s’appuie notamment sur une récente consultation publique, montrant que 80% des consommateurs italiens souhaitent connaître la provenance de ces matières premières. Bronca des industriels qui mettent en avant un surenchérissement des coûts de gestion et de labélisation, avec des impacts négatifs sur l’ensemble de la filière.
2000 variétés
La querelle est révélatrice de la logique de la globalisation agroalimentaire. Car si l’importation de blés cultivés dans des climats humides et transportés sur de grandes distances exige plus d’intrants chimiques, elle garantirait aussi une meilleure standardisation de certaines caractéristiques nécessaires à la production industrielle de pâtes. D’un autre côté, l’Italie qui bénéficie pourtant de plus de 2 000 variétés de blé dur, n’en compte que 200 inscrites au registre national des céréales et seulement 10 cultivées à grande échelle. A l’heure où la redécouverte de grains dits « anciens » mobilise de plus en plus d’acteurs de la filière, la valorisation de cette formidable biodiversité constitue l’un des défis majeurs pour une véritable territorialisation des pâtes italiennes, nécessitant recherches scientifiques et diffusion de nouveaux savoirs au sein des milieux agricoles, des mondes de la transformation et, bien sûr, auprès des consommateurs. Une manière, pour la botte, de retomber sur ses pâtes.