[Chiffres] Une question de langage [6/9]
Par Valérie Péan.
Nul ne s’étonnera si l’on indique que l’origine du mot « chiffre » vient d’un terme arabe, sifr, que le latin médiéval a transcrit par cifra, devenu chifre (sic) en français. En revanche, sa signification ne manque pas de surprendre. Car sifr désigne… le vide, le rien ! D’où, au Moyen-Age, le fait que « chiffre » désigne non pas des quantités numériques, mais le fameux nombre zéro introduit par les Indiens. D’ailleurs, au sens figuré, il qualifie une personne ou une chose qui ne valent rien, des nullités en quelque sorte, dont il nous reste ces « pas grand-chose » que sont les chiffons et les chiffes molles, de la même famille étymologique.
Ce n’est qu’au XVe siècle que le chiffre perd ce sens initial pour prendre son sens actuel. C’est qu’entretemps, lui sera préféré un autre mot pour traduire l’idée du vide et de l’absence. Un vocable, lui aussi tiré de sifr, mais passé en chemin par d’autres altérations : le latin zephirum d’abord, puis l’italien zefiro et, enfin, le français zéro. Et voilà comment, n’ayant plus à désigner la nullité, le chiffre entame dès lors une deuxième carrière, voué cette fois à faire nombre.
Source : Le Robert, dictionnaire historique de la langue française, sous la direction de Alain Rey.