Publié le 14 mars 2024 |
0Aux restos U de Grenoble, le végétal a un ticket
Comment faire en sorte que les pratiques alimentaires s’engagent dans la voie de la durabilité des systèmes ? Jusqu’alors, cela reposait en partie sur les épaules des consommateurs invités à faire les bons choix. Mais, ainsi que l’explique Charlie Brocard, cette stratégie est par trop limitée pour relever l’ampleur des défis. La solution ? Agir sur les environnements alimentaires que sont par exemple la nature de l’offre, son prix, son accessibilité. Une approche qui a séduit Gabriel Soleil, chargé de mission transition écologique au Crous de Grenoble et au Cnous1, pour verdir les plateaux repas des étudiants. Un entretien extrait de la revue Sesame 14.
Par Lucie Gillot,
Pourriez-vous nous présenter brièvement le Crous de Grenoble ?
Gabriel Soleil : Implanté sur toute l’académie de Grenoble, laquelle s’étend de la Haute-Savoie jusqu’en Ardèche, le Crous Grenoble Alpes comprend cinquante-deux points de restauration, à savoir treize restaurants universitaires, vingt et une cafétérias, auxquels s’ajoutent des offres de libre-service et des foodtrucks. Chaque année, ce sont 1,9 million de repas qui sont servis, dont 900 000 au tarif spécial de 1 euro proposés aux étudiants boursiers, en situation de précarité2 ou non.
Dans le cadre de ce plan d’action, quel axe vous a semblé prioritaire ?
J’ai intégré le Crous de Grenoble en 2020, quand ce dernier a voulu structurer son plan d’action environnemental. La question de la consommation de viande m’a vite interpellé. Plusieurs études de l’OMS indiquent que, dans les pays européens, nous consommons deux fois trop de viande, ce qui a un impact sur la santé et l’environnement. En partant de ce constat, je me suis dit que l’axe permettant de réduire rapidement nos émissions de gaz à effet de serre (GES) était la diversification des protéines et leur végétalisation. La direction du Crous partageait également ce constat. À l’époque, en 2021, nous servions en moyenne 5 % de repas végétariens. Pour que nos émissions de GES diminuent, il fallait atteindre au moins 20 %.
Quelles actions avez-vous déployées pour atteindre cet objectif ?
Premier type d’action mis en œuvre, la mise en place de commissions « menu ». Le principe en est assez simple. Toutes les six semaines, le chef de cuisine et le responsable d’approvisionnement se réunissent pour dresser le menu sur cette période. Participent également à cette réunion un convive du Crous (étudiant ou personnel universitaire), le gestionnaire, un membre de l’université, la personne en charge de la plonge et un représentant des offres libre-service. L’idée : balayer le menu proposé par le chef et identifier, collectivement, les principales contraintes.
Par exemple, le plongeur, qui a une expérience des restes donc des plats qui plaisent plus ou moins, peut émettre des recommandations sur la couleur des plats, leur appétence. Le gestionnaire va scruter l’aspect financier, etc. Dans ce cadre, on attache une attention particulière à la présence quotidienne d’un plat végétarien, fabriqué avec des denrées de saison, et les quantités qui en seront produites : est-ce qu’il va représenter dix assiettes sur les 800 préparées ou plutôt la moitié ? Cette méthode nous permet d’une part de résoudre certains problèmes de manière plus démocratique et, d’autre part, de mener un vrai travail d’équipe sur ces aspects, y compris avec des personnes extérieures.
Qu’en est-il des autres actions que vous avez entreprises?
Nous avons également mobilisé les sciences comportementales… et installé des plantes vertes dans les espaces de restauration. Aussi surprenant que cela puisse paraître, il faut savoir que ceci a un impact non négligeable sur les choix des usagers : cette présence incite à consommer une alimentation plus végétale. C’est un travail que nous avons mené avec Amanda Pruski Yamim, de l’école de management de Grenoble, qui étudie notamment les comportements des consommateurs. Il faut en outre ajouter que cela a un effet global sur le nombre de calories consommées : non seulement les usagers optent pour le plat végétarien, mais ils ne compensent pas ce choix en glissant une énorme pâtisserie sur leur plateau. Il n’y a pas d’effet rebond, ce qui permet d’atteindre le double objectif d’une alimentation plus végétale et plus saine.
Enfin, nous travaillons actuellement avec le WWF à la création d’un Écoscore. Pensé à l’image du Nutriscore, il permettrait d’apporter une information sur l’impact environnemental de chaque plat servi par le Crous, y compris les entrées, les desserts ou encore la vente à emporter.
L’offre est-elle restreinte certains jours de la semaine à un menu non carné ou cela reste-t-il ouvert ?
Non, nous n’imposons pas les plats végétariens, cela reste une alternative. Tous les jours, il y a un plat végétarien, un plat de viande et un de poisson. Ceci dit, d’autres Crous se posent aujourd’hui la question de savoir s’il ne faudrait pas proposer certains jours une offre 100 % végétarienne, mais avec trois ou quatre plats au choix. L’objectif étant tout de même que, quels que soient vos convictions et vos goûts, vous puissiez trouver quelque chose que vous aimez. Signalons à ce sujet que le Crous de Rennes, l’un des pionniers en la matière, propose depuis septembre 2022 une offre strictement végétarienne une fois par semaine.
Depuis combien de temps avez-vous mis en place ces actions ? Avez-vous pu déjà en évaluer l’impact ?
Nous opérons un pilotage en temps réel, c’est-à-dire que nous mesurons tous les jours le taux de prise de plats végétariens. En l’espace de deux ans, nous sommes passés de 5 % à plus de 30 % pour ce type de menu, avec des pics à 40 % dans certains de nos restaurants. Plusieurs raisons à cela. Nous répondons à une demande des étudiants, car les enquêtes annuelles révèlent leur intérêt pour une alimentation plus saine et végétale. Économiquement, les approvisionnements en protéines végétales sont en outre beaucoup moins impactés par l’inflation. Écologiquement, seule la cuisine végétarienne répond aux accords de Paris. Avec les lundis-verts lancés en 20193, la consommation est passée d’une prise quasi nulle à 5 % des plats, puis 30 % avec les actions auparavant citées.
Qu’aimeriez-vous développer à l’avenir ?
L’objectif dorénavant va être d’opérer la décarbonation massive de nos restaurants, non plus à l’échelle de notre académie mais à celle de tout le territoire national. À Grenoble, nous avons mis deux ans pour mettre en place toutes ces actions, car nous avons tâtonné, testé plusieurs choses. Avec mon collègue Alain Berger, nous souhaitons donc mettre à profit cette expérience pour former les référents transition écologique des autres Crous, accompagner les projets et ainsi opérer une bifurcation écologique rapide. En un an, il est tout à fait possible d’opérer un virage à 180° vers une alimentation moins carbonée et toute aussi qualitative. Mais cela demande formation, encadrement, détermination et un peu de financement.
Environnements alimentaires : actions à la carte
Informer, expliquer, c’est important mais pas suffisant pour modifier les pratiques alimentaires. D’où l’idée déployée par plusieurs chercheurs d’œuvrer sur les autres fronts que sont les environnements alimentaires. À l’occasion d’une table ronde organisée le 10 octobre 2023, lors des 4es Rencontres de l’alimentation durable de la fondation Daniel et Nina Carasso, Charlie Brocard (IDDRI), Alizée Marceau (ALTAA) et Gabriel Soleil (Crous) en ont donné de nombreuses illustrations. Il est ainsi possible d’agir sur l’environnement physique (la nature de l’offre à proximité, l’agencement des lieux de vente, la composition des produits…), économique (déploiement de caisses alimentaires…), social (campagne d’information, mobilisation des relais d’opinion) et enfin cognitif (marketing et désirabilité des produits). Plus d’infos : https://rencontres-alimentation-durable.fr/edition-2023/
Lire aussi
- Le Crous, Centre régional des œuvres universitaires et scolaires, et son pendant national, le Cnous, gèrent entre autres les restaurants et cafétérias universitaires.
- Les lundis-verts consistent à ne manger ni viande ni poisson ce jour-là. Au Crous, cela se traduit par la présence chaque lundi d’une alternative végétarienne.
- Pour les non-boursiers, le ticket est de 3,30 euros.