Union Libre Idées reçues © Tommy Dessine 2024

Published on 28 juin 2024 |

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Vingt ans d’inquiétude et d’idées reçues

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Deuxième partie du dossier “Mangez jeunesse !”, en collaboration avec la Chaire Unesco Alimentations du Monde, extrait du quinzième numéro de la revue Sesame,
Par Lucie Gillot,

Visuel : Idées reçues © Tommy Dessine 2024

Voilà près d’une vingtaine d’années que l’alimentation des jeunes fait l’objet de bien des attentions médiatiques et scientifiques. C’est au tournant des années 2000 que la problématique émerge. Il y a d’abord ces premières alertes des médecins, face à l’augmentation de l’obésité infantile. À l’époque, on s’inquiète également des changements qui affectent les pratiques alimentaires des Français avec la simplification des repas. Plus précisément, on craint que le traditionnel « entrée, plat, dessert » disparaisse au profit d’une alimentation « déstructurée », caractérisée par le grignotage et le nomadisme. Enfin, l’essor d’une restauration rapide avec ses plats (trop) riches en sucres, en sel et en gras est vu d’un mauvais œil, surtout dans la perspective nutritionnelle de limiter les apports caloriques. Dans ce contexte, l’alimentation des enfants, des adolescents et des jeunes devient un enjeu de santé publique important1. Avec parfois ce présupposé : totalement incultes en matière d’alimentation, les jeunes ne sauraient pas faire les bons choix et auraient une appétence toute particulière pour la « malbouffe », comprenez les pizzas, sodas, hamburgers et autres frites inondées de ketchup. D’où la nécessité de les éduquer.

Alors, cliché ou réalité ? C’est ce qu’avait cherché à savoir, entre autres choses, le programme AlimAdos, conduit de 2006 à 2009 par L’Observatoire Cniel des Habitudes Alimentaires (OCHA) et dont on retiendra ici deux enseignements. Tout d’abord, les ados interrogés à cette époque témoignent d’une bonne connaissance des messages nutritionnels véhiculés par les pouvoirs publics ; ils ne sont donc pas aussi ignares qu’on le dit. Ensuite, les chercheurs montrent que, à force de les désigner comme des ambassadeurs de la malbouffe, les ados ont fini par intégrer l’idée selon laquelle ils mangent mal, indépendamment de leurs pratiques2.

Où en sommes-nous aujourd’hui ?

De prime abord, il semblerait que les choses n’aient pas évolué dans le sens voulu. Commençons par éplucher les chiffres de l’obésité publiés par l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM) l’an passé. Tous âges confondus, la prévalence de l’obésité est passée de « 8,5 % en 1997 à 15 % en 2012 et à 17 % en 20203 ». Bien que ce soient globalement les plus âgés qui sont sur le gril, la situation des 18-24 ans reste problématique au regard de la dynamique de progression : « Depuis 1997, l’obésité chez les 18-24 ans a été multipliée par plus de quatre et par près de trois chez les 25-34 ans, quand l’augmentation chez les 55 ans est plus faible depuis 2009 », relève l’Inserm. Ainsi, dans la tranche d’âge des 18-24 ans, elle est aujourd’hui de 9,2 %, contre 4 % en 2009 et 2,1 % en 1997.

Quant au contenu de leur frigo, un rapide passage en revue des enquêtes publiées par le Crédoc donne l’aperçu suivant : en matière de consommation de fruits et légumes, objet de bien des campagnes d’information, les jeunes restent mauvais élèves, avec une consommation quatre fois moins importante que celle des générations plus âgées. Ceci étant dit, les uns et les autres demeurent toujours en deçà des recommandations de santé publique. Surtout, comme souvent, une analyse plus fine des données vient nuancer les observations globales. Le Crédoc note que la part de jeunes qui consomment vraiment très peu de fruits et légumes recule petit à petit ou encore que cette catégorie d’âge privilégie d’autres moments pour en déguster comme l’apéritif ou le petit déjeuner4.

Et puis vient la question de la restauration rapide, véritable pomme de discorde… Dans un rapport d’appui scientifique et technique de 2021, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) dresse le portrait type du client de fast-food. S’appuyant sur des données collectées en 2014-20155, le document précise que ce sont les « actifs occupés et les étudiants » qui fréquentent le plus ces établissements et qu’ils s’y attablent plus souvent qu’auparavant : la proportion d’individus y déjeunant à un rythme hebdomadaire ou mensuel a ainsi doublé en moins de dix ans6. Mais il faut remarquer ici deux choses. La première c’est la classe d’âge retenue, bien plus vaste qu’habituellement puisqu’elle concerne les 18-44 ans.

Ensuite, l’âge n’est pas l’unique critère d’influence, tant s’en faut : le genre, le niveau d’études ou encore la taille de l’agglomération pèsent également : « le profil type est un homme âgé de 18-44 ans, vivant en agglomération de plus de 100 000 habitants et ayant un niveau d’études supérieur ou égal à bac + 4 ». Vous en conviendrez : le fast-food n’est pas seulement un péché de jeunesse…

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  1. Rappelons, si besoin est, que c’est en 2001 qu’est créé le Programme National Nutrition et Santé (PNNS), avec pour premier objectif « l’amélioration de l’état de santé de l’ensemble de la population en agissant sur l’un de ses déterminants majeurs : la nutrition ». Bien que dédié à la population générale, ce programme va orienter certaines actions à destination de la jeunesse.
  2. « Alimentations adolescentes : loin des clichés, des cultures alimentaires plurielles », Mission Agrobiosciences, octobre 2009.
  3. « Obésité et surpoids : près d’un Français sur deux concerné. État des lieux, prévention et solutions thérapeutiques », communiqué de presse de l’Inserm, 20 février 2023.
  4. « Renversement de tendance : les Français végétalisent leur alimentation », Crédoc, Consommation et Modes de vie, n° 315, mars 2021.
  5. « Consommation alimentaire et apports nutritionnels dans la restauration hors foyer en France », Rapport d’appui scientifique et technique de l’Anses, février 2021.
  6. En comparaison des données collectées en 2006-2007.

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