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De l'eau au moulin Esod © Tommy Dessine 2023

Publié le 19 décembre 2023 |

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Renard, corbeau… Les prélèvements réduisent-ils les dégâts qui leur sont imputés ?

Prélever des « Espèces Susceptibles d’Occasionner des Dégâts » (ESOD) permet-il réellement de réduire ces dégâts ? La Fondation pour la recherche sur la biodiversité a réalisé une synthèse des études sur le sujet avec le soutien financier de la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) et l’Association pour la Protection des Animaux Sauvages (ASPAS). Article extrait de la revue Sesame 14.

Par Clara Zemman, Joseph Langridge, Martin Plancke et al. – Fondation pour la recherche sur la biodiversité

Le corbeau, le renard… et la belette : les Esod

En France, la notion d’« espèces susceptibles d’occasionner des dégâts » (Esod) désigne des espèces qui ont potentiellement des impacts négatifs sur la santé humaine ou celle du bétail, sur la faune et la flore, sur les activités agricoles ou forestières ou encore sur les biens matériels et privés. Ce sont ces quatre types d’impacts potentiels qui fondent l’intérêt de prélever une espèce – donc de détruire des individus ou une population – dans la réglementation.

Le ministère de la Transition écologique fixe par arrêté triennal la liste des Esod dites « de groupe 2 ». À l’été 2023, il comprend la belette, la fouine et la martre, le renard, le corbeau freux et la corneille noire, la pie, le geai des chênes, l’étourneau sansonnet – des espèces indigènes1.

Il existe d’autres Esod : le groupe 1 comprend six espèces non indigènes, comme l’oie bernache du Canada ou le ragondin, régulées par un arrêté ministériel annuel. Le groupe 2 réunit le sanglier, le lapin de garenne et le pigeon ramier qui font l’objet d’arrêtés préfectoraux. Ces textes fixent la liste des espèces concernées, les périodes autorisées pour le prélèvement, les modalités de destruction et les communes concernées.

Autrefois, ces espèces étaient désignées comme des « espèces d’animaux malfaisants ou nuisibles ». Depuis 2016, la loi de reconquête de la biodiversité a imposé un changement sémantique, de « nuisible » vers « susceptible d’occasionner des dégâts », expression qui permet théoriquement de prendre en considération le contexte et l’écologie de l’espèce. Ce statut juridique est propre à la France.

La moitié des études inventoriées sur ces espèces, dites « pests » en anglais (traduire « nuisibles »), a été conduite au Royaume-Uni (49 %), suivi du Portugal, de l’Espagne et de l’Irlande. La France n’apparaît que dans une étude sur l’effet des prélèvements de renard sur l’échinococcose2. Au sein des pays européens, les méthodes de prélèvements et les statuts de conservation de ces espèces diffèrent. Cependant, nous avons veillé à ce que les études puissent être comparées à la France en termes de pratiques.

La particularité du statut d’Esod est qu’il permet de chasser des individus toute l’année, y compris pendant les périodes de reproduction, contrairement aux réglementations sur la chasse en général. On parle de « prélèvement », ce qui correspond à un abattage principalement par tir, piégeage et déterrage puis mise à mort. Il peut être effectué par le propriétaire d’un terrain ou son délégué, les piégeurs agréés, les lieutenants de louveterie, les agents publics assermentés, les gardes particuliers et les fédérations de chasse.

Un effet peu étudié

À partir d’une recherche bibliographique exhaustive3, soixante et onze études réunies dans quarante-sept publications parues entre 1996 et 2022 ont été sélectionnées. Chaque étude devait porter sur les Esod du groupe 2, plus le putois qui figurait sur la liste jusqu’en 2021 et le blaireau, jusqu’en 2019 – l’espèce ayant été très étudiée au Royaume-Uni dans le cadre de la lutte contre la tuberculose bovine4. Elles devaient ensuite indiquer les méthodes de prélèvements, la zone et la période dans lesquelles ils avaient eu lieu et les mesures des dégâts5.

La question de l’effet des prélèvements sur la réduction des dégâts est globalement peu étudiée. Deux questions secondaires apparaissent : d’une part, l’effet des prélèvements sur les dégâts causés à la faune sauvage et à d’autres espèces,éventuellement chassables, comme la perdrix (60 % des études) ; d’autre part l’effet sur la santé publique. Il s’agit essentiellement de la prévalence d’une zoonose (tuberculose bovine ou échinococcose alvéolaire) chez certaines espèces hôtes (blaireau ou renard roux) et dans les élevages.

Aucune étude ne traite de l’effet des prélèvements des Esod sur les dégâts occasionnés à l’agriculture ou à la propriété privée, alors que des dommages importants aux activités agricoles (forestières et aquacoles) sont au premier rang pour classer une espèce en Esod.

Des questions d’écologie… et d’éthique

Certaines espèces ne sont pas étudiées la martre des pins, l’étourneau, le putois. Les effets de leurs destructions ne sont donc pas mesurés. Dès lors, le classement Esod pose question, y compris en termes éthiques, car l’efficacité des destructions, et donc leur intérêt, n’est pas prouvée.

En matière de dégâts agricoles, il n’existe pas d’évaluation scientifique faisant le lien  entre les destructions d’Esod et les dégradations que ces espèces provoquent sur les exploitations et autres propriétés. Il est donc impératif de mettre en place des suivis scientifiques, en particulier sur les dégâts causés aux activités agricoles, qui motivent le classement d’espèces en Esod. Les dégâts déclarés sont ceux des corvidés sur les semis, des étourneaux sur les fruitiers, du renard ou des petits carnivores sur les élevages de volaille particuliers ou professionnels, et des désagréments pour les propriétés privées (nuisances sonores). Mais, en l’absence d’études portant sur l’effet des destructions d’espèces, le classement en Esod est sans fondement scientifique.

En matière de santé, les évaluations de l’efficacité des destructions des Esod pour protéger les élevages et les humains portent uniquement sur le blaireau, en lien avec la prévalence de la tuberculose bovine (vingt-neuf études au Royaume-Uni). Or, en France, le blaireau n’est plus classé Esod 1. Une seule étude fait le lien des prélèvements avec l’échinococcose alvéolaire chez le renard en tant qu’hôte. Pour les autres espèces du groupe 2, la question sanitaire n’est pas traitée : le prélèvement de ces espèces et leur classement pour ce motif est sans fondement.

Douze articles (sur trente) proposent des pistes de recommandations et des alternatives au prélèvement pour la réduction des dégâts sanitaires. Quatre approches principales se dessinent : la vaccination de l’espèce hôte, des mesures de gestion des élevages, une meilleure surveillance de la maladie et l’identification de lacunes dans les connaissances.

Dans le cas de la protection de la faune, il est difficile d’attribuer les prédations à une seule espèce et les études reposent souvent sur des prélèvements plurispécifiques. Par ailleurs, l’efficacité de la réduction des dégâts par la destruction d’une espèce dépend du contexte local, de la complexité des réseaux trophiques, des régimes alimentaires et de la prédation. Du point de vue écologique, un dégât est difficilement imputable à une espèce en particulier (comme dans le cas des petits carnivores, renard ou mustélidés). Les systèmes écologiques, les contextes locaux et environnementaux variés imposent une analyse plus fine du lien entre les Esod et les dégâts constatés.

Les destructions décrites, qui sont menées de manière organisée et localisée sur de petites parcelles, ne démontrent pas d’effet global sur la prédation de la faune à l’échelle d’un paysage ou d’une petite région. Sur le terrain, les pratiques de la chasse récréative, qui sont encouragées pour prélever des Esod, ne sont au contraire ni organisées ni localisées et par conséquent échappent aux études. 

Enfin, 70 % des études portant sur la faune montrent que le prélèvement d’Esod n’a pas d’effet significatif pour réduire leur prédation : ce n’est pas une solution efficace. D’autres mesures existent et pourraient être mises en place en associant différentes stratégies : l’exclusion physique des prédateurs, des mesures de conservation et de gestion de l’habitat ou bien l’étude plus approfondie de l’écologie des Esod prédatrices et de leurs proies.

Rappelons les services rendus par les espèces classées Esod, qui sont souvent des espèces communes. Leur déclin perturbe la structure et le fonctionnement des écosystèmes, ce qui peut diminuer les services que les humains en retirent et l’adaptation de la biodiversité aux changements globaux.

Du point de vue économique, les dégâts matériels et les coûts associés aux Esod devraient être mis en balance avec les bénéfices apportés par ces espèces. Dans les rares cas où elles ont fait l’objet d’une évaluation scientifique indépendante, les économies dues aux dégâts évités se sont révélées moins importantes que les dépenses induites par les prélèvements. Au Royaume-Uni, dans le cadre de la gestion de la tuberculose bovine, deux études ont estimé que les coûts des prélèvements de blaireaux étaient supérieurs aux économies réalisées grâce à la faible réduction des infections dans les élevages. Ils étaient très souvent supérieurs à d’autres stratégies d’évitement, comme la réduction de la taille des élevages bovins. Nous manquons d’évaluations financières qui permettraient de comparer les coûts des dégâts imputés aux Esod avec les bénéfices rendus par ces espèces (par exemple la limitation des pullulations de campagnols par le renard), et qui prendraient en compte les coûts des prélèvements et des mesures préventives.

Une question philosophique

La notion de souffrance animale a été évoquée dans un certain nombre d’études, suggérant la prise en compte du bien-être animal lors de la planification et de la mise en œuvre des procédures de prélèvements, de piégeage par exemple.

Mais il convient également d’aborder les questions éthiques et philosophiques liées à la destruction de la biodiversité, que l’espèce soit « susceptible d’occasionner des dégâts » ou non. Détruire des êtres vivants, a fortiori dans un contexte de déclin de la biodiversité, devrait être justifié par : l’urgence à agir pour empêcher un dégât jugé grave avec des critères objectifs et mesurables ; l’absence de mesures alternatives ; enfin une preuve que la destruction est efficace. Dans l’état actuel des connaissances scientifiques recensées, en ce qui concerne les Esod du groupe 2, cette condition n’est pas remplie dans la plupart des cas.
Lire la synthèse de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité

Lire aussi

  1. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047931721
  2. Combe S. et al., “Echinococcus multilocularis management by fox culling: An inappropriate paradigm”, https://doi.org/10.1016/j.prevetmed.2017.09.010
  3. Zemman C., Langridge J., Plancke M., Garnier M., Soubelet H., « Les prélèvements des espèces susceptibles d’occasionner des dégâts (Esod) réduisent-ils les dégâts qui leur sont imputés ? » Synthèse de connaissances, Paris, France, Fondation pour la recherche sur la biodiversité, 2023.
  4. Les statuts des espèces varient selon les pays et dans le temps. En 2023, le blaireau est protégé au Royaume-Uni.
  5. Voir l’étude et la bibliographie en ligne : https://www.fondationbiodiversite.fr/wp-content/uploads/2023/09/Revue_ESOD_FRB_LPO_ASPAS.pdf

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2 Responses to Renard, corbeau… Les prélèvements réduisent-ils les dégâts qui leur sont imputés ?

  1. Dumas dit :

    On peut lire dans l’étude en question : « Les prélèvements d’espèces sont une pratique ancienne et culturelle, dont l’objectif affiché est de réduire les dégâts imputés aux Esod. Cette pratique s’appuie sur le raisonnement communément admis que la destruction des individus de ces espèces permet la réduction de leur population, et permettrait donc de réduire les dégâts qu’ils occasionnent. Cependant, ce lien direct n’est pas évident scientifiquement. » On remarquera tout d’abord que n’est pas parce qu’il n’est pas «évident scientifiquement» que ce lien direct n’existe pas ! Les auteurs citent à l’appui de leurs dires dans le cas du renard, un article de Lieury et al., 2016.
    Selon Clara Zemman et al. cet article montrerait que « les prélèvements ne permettent pas nécessairement de diminuer les abondances des populations » des espèces ciblées par les destructions. Mais ce qu’établit l’article cité, c’est tout le contraire ! Il montre que les prélèvements ne permettent pas nécessairement de diminuer les abondances des populations s’ils ne sont pas en quantité suffisante. Cependant, s’ils le sont, ils y réussissent. Il ne remet donc pas du tout en cause le lien communément admis entre destruction des individus d’une espèce et réduction de la taille de la population de cette espèce sur un territoire. C’est l’inverse !
    Il y a bien un lien direct démontré par Lieury et al., 2016 mais il dépend de la capacité d’accueil du site pour les renards. Plus cette capacité est élevée, plus l’effort de prélèvement doit être important et dans certains cas excède les possibilités des personnes pouvant être mobilisées à cet effet. Les auteurs écrivent : « Il n’est donc pas possible de prédire l’effet des prélèvements sans connaître la capacité d’accueil. Et l’effort de prélèvements à fournir pour atteindre une densité donnée sera variable en fonction des sites et de leurs taux de remplissage. » et ils remarquent : « dans nos campagnes, le nombre d’acteurs requis pour mener à bien un tel niveau de prélèvements dépasse souvent les disponibilités locales, rendant impossible en pratique une gestion efficace des populations de renards ». On pourrait ajouter que les associations animalistes, anti-chasse qui sont les commanditaires de l’étude de la FRB sont aussi un obstacle de taille pour que ce mode de régulation soit efficace par les procédures qu’elles intentent contre les arrêtés préfectoraux.
    Quoi qu’il en soit, Lieury et al., 2016 confirme bel et bien le lien communément admis entre les prélèvements et la réduction des populations de renards, ce n’est pas un préjugé de campagnards ou de chasseurs. Lorsqu’ils ne sont pas efficaces pour réduire la taille des populations, c’est tout simplement parce que les chasseurs et piégeurs n’ont pas tué assez de renards !
    Comme biais de lecture, c’est assez impressionnant !
    De façon plus générale, il y a dans cet article un mépris du savoir des gens de terrain au nom d’une science qui en définitive ne sait rien sur la question des ESOD mais se permet de juger de haut de son ignorance ces savoirs et traditions. Les auteurs sautent allégrement de l’absence de preuves « scientifiques » à l’absence de preuves puis à la fausseté. Enfin de la fausseté à une condamnation « éthique » !
    On peut considérer que c’est mal de tuer des renards et autres ESOD, que ce n’est pas justifié dès lors que l’on peut s’y prendre autrement pour limiter les dégâts qu’ils occasionnent mais ce n’est pas une question scientifique et « la science » n’a rien à dire à ce sujet.
    Bref, la conclusion de l’étude est bien propre à caresser les commanditaires de l’étude dans le sens du poil. Ils en auront eu pour leur argent. Ils pourront clamer Ubi et urbi que « les massacres » de renards, et autres animaux appartenant à des espèces susceptibles d’occasionner des dégâts n’a pas de fondement scientifique et utiliser cette « étude » pour contester les arrêtés préfectoraux de « régulation ».

    • Valérie Péan dit :

      Merci Cher monsieur pour cette réaction intéressante. @Clara Zemman, @Joseph Langridge, @Martin Plancke, souhaitez-vous répondre ?

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