Réduction des plastiques : l’affaire n’est pas dans le sac !
Qu’ils soient dangereux pour la santé des écosystèmes et des humains, on le sait désormais. Qu’ils aient envahi tous les milieux sous la forme de micro et de nanoparticules, des terres urbaines aux déserts, c’est aussi chose démontrée. Ce qui l’est moins, ce sont les solutions habituellement présentées. Trier, collecter, recycler, remplacer, biosourcer, biodégrader… Autant de promesses qui butent sur la complexité des processus, les manques de données fiables et, surtout, l’intrication de ce matériau au plus profond de nos organisations productives, commerciales et sociotechniques. C’est là l’un des éclairages passionnants d’une expertise collective (Esco) portée par Inrae et le CNRS, restituée en mai dernier, « Plastiques utilisés en agriculture et pour l’alimentation : usages, propriétés et impacts », ces deux secteurs cumulant a minima 20% des plastiques consommés en France. Un état des connaissances réalisé à partir de milliers d’articles scientifiques, copiloté1 par Baptiste Monsaingeon, enseignant-chercheur à l’Université de Reims en délégation au CNRS. Pour ce sociologue des sciences et techniques, le travail collectif interdisciplinaire (lire encadré « Deux ans et demi de travail ») dévoile à quel point les emballages et autres films polymères ont ficelé les systèmes agricoles et alimentaires.
Propos recueillis par Valérie Péan, pour le 18ème numéro de la revue Sesame (parution en décembre 2025)
Pour mieux comprendre la place que les plastiques ont pris dans notre société, vous vous êtes d’abord intéressés à leur histoire. Pourquoi ce préalable ?

Baptiste Monsaingeon : Cette première partie permet de contextualiser la « photographie » que nos commanditaires, l’Ademe ainsi que les ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique, nous demandaient de faire : quelles quantités de plastiques dans l’agriculture et l’alimentation, de quels types, à quoi servent-ils ? Il nous fallait placer cet état des lieux dans une histoire longue pour comprendre comment ces matériaux ont été rendus essentiels tout au long des actes de production, de commercialisation et de consommation, ce que nous appelons une chaîne de valeur. Sous la houlette d’un sociologue ainsi que d’une philosophe et historienne des sciences et des techniques, Mathieu Baudrin (Anses) et Bernadette Bensaude-Vincent (université Paris-I-Panthéon-Sorbonne), nous nous sommes interrogés sur ce qui a motivé l’arrivée des premiers plastiques. Parmi les facteurs, il y a d’un côté l’exode rural amorcé à la toute fin du XIXe siècle et l’accroissement des villes qui ont créé une distance grandissante entre les lieux de production et les espaces de consommation.
L’industrie et le secteur de l’emballage ont vu un intérêt commercial important au développement des plastiques jetables
Cela a posé des enjeux techniques de réfrigération et de transport. De l’autre, le secteur industriel de la pétrochimie se retrouve à la fin de la première guerre mondiale en quête de débouchés, notamment pour des coproduits et déchets. Ce sont notamment les polyoléfines à partir desquels sont fabriqués les fameux polyéthylènes (PE) dès le second quart du XXe siècle. D’année en année, l’industrie dépose des brevets mais ne sait pas toujours quoi faire de ces matériaux aux caractéristiques particulières. Certaines tentatives rencontrent un échec cuisant, comme le laccain, qui avait une forte odeur et qui noircissait les objets et aliments avec lesquels il était mis en contact. Aussi, pour normaliser l’usage de ces matériaux perçus d’abord comme de piètres substituts aux matières naturelles, l’industrie va-t-elle déployer une stratégie marketing importante : après la seconde guerre mondiale, il s’est agi notamment de convaincre les Américaines d’utiliser ces produits, en jouant sur leur caractère jetable, lequel était censé favoriser la libération de la femme. En parallèle, le secteur de l’emballage y voit un intérêt commercial important : ce nouveau matériau permet de conserver les aliments, de faciliter la manipulation des denrées fraîches et, surtout, il ne coûte pas cher et est bien plus léger que l’inox ou le verre. Sans oublier que sa transparence participe à l’époque de l’image de modernité. D’ailleurs, parmi les autres traits forts que Bernadette Bensaude-Vincent a mis en relief, c’est l’idée que va se jouer une réforme de la culture autour de la jetabilité et du consumérisme, entre autres. Mettre à la poubelle devient alors un geste propre !
Les plastiques sont donc d’abord arrivés dans le secteur alimentaire…
Oui, à la fois par le transformateur, le distributeur et le consommateur. Cet aval de la filière va même demander aux producteurs agro-alimentaires de modifier un certain nombre de recettes pour qu’elles soient plus adaptées à l’emballage plastique. C’est le cas du pain de mie, qui, à l’origine, moisissait très vite dans le sachet faute d’air. D’où un travail commun, entre emballeurs et producteurs, qui débouche dans les années 1960 sur la sélection d’un certain nombre de conservateurs qui n’étaient pas utilisé jusqu’alors. De même, une collègue historienne de Tokyo, Ai Hisano, a montré la façon dont l’emballage plastique, dans la filière carnée, a permis de faire disparaître le « cadavre » en offrant à la vente des morceaux de viande, transformant à la fois la production, la transformation, la commercialisation et la consommation : la viande est en quelque sorte désanimalisée, ce qui neutralise un peu la violence symbolique lié au « meurtre alimentaire ».
70% des plastiques utilisés en agriculture concernent l’élevage
Et en amont, comment et à quel moment la production agricole s’empare-t-elle des plastiques ?
(…) le développement de la politique agricole commune normalise et banalise cette utilisation.
Cet usage agricole a commencé en Californie, dès les années 1950. En France, cela intervient dix ans plus tard avec la mise en place et le développement de la politique agricole commune qui normalise et banalise cette utilisation. Les plastiques viennent d’abord se substituer à d’autres matériaux dans des pratiques connues, principalement le paillage des cultures, où le végétal est remplacé par des films et, bien entendu, la serre qui était jusque-là en verre. Puis, très vite, ils motivent des technologies nouvelles tels que les systèmes d’irrigation, mais aussi des cultures et des pratiques inédites, notamment via la mise en place des tunnels. De fait, sans le plastique, l’intensification de l’agriculture n’aurait pas été possible. Le modèle dominant est bel et bien une « plasticulture ».
Et qu’en est-il de l’agriculture biologique et autres modèles alternatifs ?
Ils ne sont pas mentionnés dans la littérature scientifique, alors que les plastiques y sont assez présents, en bio notamment. C’est tout le problème : les articles que nous avons étudiés ne s’intéressent qu’à l’agriculture la plus rentable économiquement : 60 à 70 % des textes portent sur la production de tomates sous serre dans le sud de l’Espagne ! Et principalement sous l’angle des performances thermiques et des types de polymères utilisés. De fait, les publications de chercheurs ne nous disent pas pourquoi et comment les agriculteurs utilisent ce matériau. Elles donnent ainsi un éclairage très fort sur des usages qui ne sont pas forcément dominants. Par exemple, on sait qu’aujourd’hui en France, 70% des plastiques utilisés en agriculture concernent l’élevage, pour la conservation des foins, l’ensilage, les ficelles… Or les articles scientifiques n’en parlent quasiment pas. Le point de vue et les usages de l’agriculteur et de l’éleveur sont une terra incognita. Une culture du plastique entre agronomes et metteurs en marché s’est construite sans ce regard, c’est quand même fou ! Cela revient à dire à l’agriculteur : « cela va être mieux pour toi et ce n’est pas cher, tiens, achète-le.»
Quelles autres lacunes avez-vous repérées et qui mériteraient de nouveaux travaux de recherche ?
Des trous dans la raquette, il y en a un peu partout. Ainsi, la littérature qui s’intéresse à la fabrication et à la formulation des plastiques se penche principalement sur leur propriétés fonctionnelles – transparence, légèreté, résistance etc. Elle fait bien le lien entre ces caractéristiques et des fonctions, comme la couverture, l’opacification, l’imperméabilisation, mais ne fait pas la connexion avec les usages. Cette décorrélation est problématique. Par exemple, certains articles décrivent les propriétés de biodégradation de certains polymères dans les sols, mais pas leurs effets sur l’environnement ou sur les pratiques agricoles elles-mêmes. Cela l’est dans une étape ultérieure, via les travaux de recherche qui étudient les impacts. Nous défendons donc l’idée qu’il faut faire de l’interdisciplinarité dès cette étape de fabrication, pour que les chimistes pensent la formulation au regard des usages et du devenir des déchets. Par exemple, combien de temps laisse-t-on un mulch plastique2 ? De quelle épaisseur doit-il être ? Avec quel type de revêtement ?
Un passager clandestin dans la consommation alimentaire
On ignore donc les réelles motivations et utilisations des agriculteurs, mais, du côté du consommateur, on ne sait pas grand-chose non plus. D’autant que vous avez mentionné, lors de la restitution de l’Esco, que le plastique n’était pas un achat intentionnel…
(…) l’usage des plastiques répond avant tout aux intérêts des acteurs économiques
Un des experts qui a travaillé sur la partie « usages, objectifs et bénéfices d’usages des plastiques dans l’alimentation », Hervé Corvellec, de l’université de Lund en Suède, est spécialiste des stratégies d’entreprise et notamment des chaînes d’approvisionnement. Il a étudié la façon dont la littérature scientifique aborde les bénéfices d’usages tels que le coût, la robustesse, etc. Ils y sont très présents, car ils sont mis en avant par les entreprises de mise en marché des plastiques, mais ils n’ont jamais vraiment été démontrés. Tout un pan de ce corpus s’intéresse certes au choix du consommateur entre différents types de plastiques et, plus récemment, entre ces derniers et d’autres matériaux. Sauf qu’en fait, les consommateurs ne demandent pas de plastique quand ils font leurs courses, sauf exception, par exemple avec le cas particulier de l’épisode pandémique, où certains ne voulaient pas acheter des aliments touchés par d’autres. Mais, la plupart du temps, le plastique est, selon l’expression de H. Corvellec, un « passager clandestin » dans l’acte d’achat : on n’achète pas l’emballage, mais bien ce qu’il y a dedans. De fait, l’usage des plastiques répond avant tout aux intérêts des acteurs économiques, en sortie d’usine avec les emballages, puis dans le transport et, enfin, dans la vente, notamment au détail. Car il permet d’individualiser l’achat et d’éviter, par exemple, d’en passer par un système de pesée. Une facilitation qui bénéficie bien plus au vendeur qu’à l’acheteur.
Si on élargit la focale jusqu’aux échanges planétaires, c’est au point que le plastique serait « la peau du commerce mondial » !
C’est une collègue australienne, Gay Hawkins, qui a proposé cette expression. Une métaphore très parlante pour désigner ce à quoi servent les plastiques, avec une double dimension : la peau est ce qui protège, là, en l’occurrence, le système marchand dans sa forme actuelle. Et c’est un élément qu’on ne peut arracher, à moins d’une souffrance énorme et au risque de sa vie. Cela illustre bien le verrouillage socio-technique. C’est là toute l’ambivalence : la très grande utilité de ce matériau et notre forte dépendance. Bernadette Bensaude-Vincent le formule ainsi : ce n’est pas parce qu’on parvient à se passer des plastiques qu’on efface les problèmes qu’ils ont générés.
Toujours du côté de la consommation, a-t-on étudié le caractère réutilisable de ces matériaux, voire le détournement d’un usage par un autre ?
Le sac de caisse en plastique est un cas d’école à ce sujet. Fabriqué en polyéthylène de haute densité (PEHD), il a été interdit en France en juillet 2016 suite à la directive européenne 2015/720 qui impose aux Etats-membres d’en réglementer l’usage. Leur histoire est amusante : le procédé pour faire des films en PEHD est développé au début des années 50, mais on ne sait pas à quoi l’utiliser. On lui trouve un premier usage aux Etats-Unis, pour envelopper les vêtements qui sortent de la blanchisserie. Et puis, on observe que les ménagères ont adopté ces poches pour servir de sac-poubelle. Aussi, l’industrie elle-même se met à vanter les usages seconds observés chez les consommateurs. Sauf que peu après, la revue American journal of medicine commence à dénoncer le fait qu’une cinquantaine d’enfants sont morts étouffés en ayant mis ce sac sur leur tête. Avec l’électricité statique, il se plaquait en effet sur leur visage, les empêchant de respirer. Rapidement, un mouvement est lancé, « Ban the Bag », pour interdire cet objet. Or ce mouvement critique va être en partie financé… par l’industrie du plastique elle-même, afin de mieux en contrôler la portée, de l’accompagner d’une sorte de mode d’emploi, depuis l’usine jusqu’à la maison. Le bon geste ? Une fois utilisé, il doit aussitôt être mis à la poubelle. Acheter, consommer, puis jeter, comme je le disais, c’est le modèle d’alors.
Fausses pistes et zones d’ombre
Aujourd’hui, on valorise au contraire le caractère biodégradable des matériaux. Que dit l’Esco sur ces aspects ?
Les plastiques conventionnels ne se dégradent pas !
La biodégradation suppose qu’après détérioration et fragmentation, toutes les particules sont consommées par les micro-organismes ou retrouvent une place dans les cycles naturels. Et en l’occurrence, il faut insister, les plastiques conventionnels (pétrosourcés) ne se dégradent pas ! L’idée qu’ils disparaissent dans la nature au bout d’un certain nombre d’années est fausse. Ils se décomposent en micro et nanoparticules. Même les plastiques dits biosourcés3 ou biodégradables, dans leur très grande majorité, ne se dégradent pas autrement qu’en conditions industrielles, en anaérobie. Le PHA4 semble donner de meilleurs résultats que les autres polymères, même si la nature du mélange influe beaucoup sur sa biodégradabilité. Pour tous les autres, il faut rester très prudent : comme l’a souligné Patrick Dabert (Inrae), il y a une telle infinités de résines et de mélanges, qu’en fonction du type de formulation, ils seront plus ou moins dégradables, parfois pas du tout. Sur ce point, l’absence de réglementation sur la formulation des plastiques qui n’est aucunement transparente, est à regretter.
C’est donc une fausse bonne solution ?
Nous avons établi que le principe général de substitution des polymères conventionnels par des polymères biosourcés ou biodégradables est à ce jour une non-solution. Et ce au regard des impacts, de la non biodégradabilité et de l’absence de filières de traitement des déchets en fin d’usage.
Y a-t-il plus d’espoir avec l’amélioration du tri, de la collecte et donc du recyclage ?
Cela pose d’autres problèmes. En premier lieu, nous n’avons pas de données fiables sur les quantités produites, consommées, jetées. De même, dans un tas de déchets, il est impossible de repérer spécifiquement les emballages utilisés pour l’alimentation. Voire ce qui est du plastique et ce qui n’en est pas. C’est dû à la fois à l’absence d’obligation de transparence pour les metteurs en marché et à l’insuffisance des capacités techniques de mesure au niveau de l’usine de tri et de l’incinérateur. Nous avons là besoin de lancer de nouvelles recherches, car toutes ces données sont aujourd’hui produites par l’industrie, de manière extrêmement approximative. Or ce sont ces chiffres qui sont repris dans la littérature scientifique.
La généralisation du tri des plastiques (…) n’induit pas forcément un meilleur recyclage à l’échelle industrielle.
Ensuite, si la généralisation du tri des plastiques par les ménages, via des bacs spécifiques, génère une meilleure captation de ces matériaux, cela n’induit pas forcément un meilleur recyclage à l’échelle industrielle. Pour être très clair, les deux seules filières de recyclage mécanique fiables, fonctionnelles et viables économiquement, ce sont celles du PET – typiquement, les bouteilles en plastique- et du PEHD qui sert à l’emballage, les barquettes ou certaines bouteilles. Pour tous les autres plastiques, malgré tous les efforts de ces dernières décennies en termes réglementaires, techniques ou financiers, on se rend compte que, globalement, on n’y arrive toujours pas. Cela ne veut pas dire qu’il faut arrêter, mais qu’il faudrait par exemple changer les choses à l’amont : simplifier ou normaliser la composition de ces matériaux. Pourquoi ne pas nous cantonner à une dizaine de résines bien identifiées qu’on sait et qu’on peut recycler ?
La seule solution serait donc de réduire la quantité de plastiques, mais comment faire ?
Des économistes proposent une stratégie basée sur l’économie de fonctionnalité : quand un industriel vend une bouteille d’eau, c’est actuellement le consommateur qui est responsable du fait de jeter la bouteille après l’avoir bu, laissant à d’autres le soin de trier, collecter etc. Un service payé par nos impôts. Imaginons un autre système : si la responsabilité de cette fin de vie et du réemploi est réellement dévolue à l’industriel, le consommateur n’achète plus le contenant, il ne fait que le louer. Par exemple via un système de consigne. Dès lors, le metteur en marché a tout intérêt à le rendre plus robuste, réutilisable, meilleur pour la santé, moins cher. Cette piste a l’avantage d’arrêter de cibler le consommateur et de le culpabiliser pour ses « mauvais usages ». Un arbre qui cache la forêt.
D’une façon plus générale, il y a consensus scientifique sur la nécessité de réduire, mais produire des scénarios concrets est complexe. Pas question de les concevoir isolément dans des bureaux, un labo ou un ministère. Il faut les imaginer avec tous les acteurs, depuis les agriculteurs jusqu’aux consommateurs en passant par les intermédiaires. Quels sont les usages essentiels, où sont-ils et pour qui ? le sont-ils pour la grande distribution ou pour le consommateur ? Et dans ce cas, quel usage doit l’emporter ?
Vers une COP Plastique ?
Quels ont été les apports de l’interdisciplinarité ?
Le dialogue a nécessité du temps – nous étions plus de trente – mais il a permis de déplacer les questions de recherche, de repenser les problèmes, notamment en croisant les approches sociologiques et les savoirs physico-chimiques. Par exemple, sur les propriétés des plastiques, l’un pense solidité et résistance, l’autre songe au coût et à la praticité… Ensemble, nous avons construit des catégories communes telles que les propriétés socio-techniques. Cela reconfigure nos façons de travailler, sachant que la science se construit ordinairement de manière extrêmement disciplinaire, avec des savoirs en silo. Ainsi, quand mes collègues chimistes ont montré la complexification croissante de la formulation des plastiques, le dialogue avec les sciences sociales et leur prisme des usages peut nous amener à conclure collectivement que cette course aux brevets et au progrès rend, par exemple, le recyclage ingérable.
Et maintenant, quel impact peut bien avoir une telle Esco ? Ne va-t-elle pas rester dans les tiroirs ?
(Nous souhaitons) mettre en place une sorte de Conférence des Parties (COP) comme celle pour le Climat.
Au-delà de l’écho médiatique et de l’essaimage scientifique qui a lieu, par exemple avec des doctorants qui s’emparent des besoins de recherche identifiés, nous sommes plusieurs à présenter nos résultats dans des arènes internationales où ils sont très bien reçus au vu de leur robustesse. En juin, c’est ce que j’ai fait lors de la Conférence des Nations-Unies sur les Océans. En août, se déroulera le dernier round des négociations internationales sur le Traité international contre la pollution plastique (UPPA5). Certains d’entre nous participent à la commission scientifique, telle Muriel Mercier-Bonin (Inrae) afin que notre Esco serve de socle pour engager les négociations et parvenir à un Traité contraignant. L’idée : mettre en place une sorte de Conférence des Parties (COP) comme celle pour le Climat.
Deux ans et demi de travail
Il aura fallu 30 experts français et européens, issus de 24 organismes de recherche, autour de 4 500 références bibliographiques étudiées (90 % de publications scientifiques et environ 100 textes législatifs et règlementaires) et deux ans et demi de travail collectif pour aboutir à cette fameuse expertise collective, dite Esco, restituée publiquement le 23 mai dernier. Un chantier plurisdisciplinaire, qui s’est opéré sous l’autorité conjointe de la Direction de l’expertise scientifique collective, de la prospective et des études d’INRAE (DEPE) et de la Mission pour l’expertise scientifique (MPES) du CNRS. La commande est venue de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), du ministère l’Agriculture et de l’Alimentation et de celui de la Transition écologique. L’idée : mieux comprendre le rôle des plastiques dans la chaine de valeur de l’alimentation et mesurer leur caractère plus ou moins soutenable. Origine, fabrication, propriétés, usages, gestion des déchets plastiques, impacts sur la santé des écosystèmes et des humains : un champ immense émaillé certes de connaissances scientifiques, mais révélant aussi de nombreuses lacunes, qui sont autant de besoins de recherches.
Pour en savoir plus, accéder au résumé des résultats : https://esco-plastiques-agri-alim.colloque.inrae.fr/
Secrets de fabrication
Les plastiques sont composés en moyenne de 93 % de polymères (des composés formés par des répétitions d’unités à base de carbone – appelées monomères –reliées les unes aux autres pour former une structure en forme de chaîne), combinés à 7 % d’additifs, avec une multiplicité de « recettes ». Plus de 10 000 composants peuvent être présents, ajoutés volontairement ou non. Les cinq polymères les plus utilisés dans le monde en agriculture et pour l’alimentation :
- PE (polyéthylène), très utilisé pour les films et les serres en agriculture. On distingue le PE à haute densité (PEHD), utilisé pour les bidons, bouteilles de lait et le PE à basse densité (LDPE) pour les sacs poubelles, sacs d’épicerie, bouchons de bouteilles etc.
- PET (polyéthylène téréphtalate), notamment pour les bouteilles d’eau, emballages industriels …
- PP (polypropylène) : biberons et contenants alimentaires souples.
- PS (polystyrène) : pots de yaourts, isolants…
- PVC (Polychlorure de vinyle) : tuyaux d’irrigation et de drainage, contenants de récolte, d’aliments pour animaux etc.
Vie et mort du plastique
Si l’agriculture et l’alimentation utiliseraient a minima 20% des plastiques consommés en France, soit environ 2,4 millions de tonnes/an, l’emballage des denrées et boissons a la part belle, avec 91% des usages, les 9% restants servant aux champs, aux deux-tiers dans le secteur de l’élevage.
Leur devenir ? A l’échelle planétaire, 64% part en décharge. En Europe, ils sont incinérés à 41%. Pour la France, le chiffre tombe à 33%. Le reste est recyclé (35%) ou enfoui (32%). Sauf que le sol en regorge aussi, sous la forme souvent invisible de micro et nanoparticules. Et ce depuis les villes jusqu’aux déserts. Au point que leur nombre (10 000 particules de microplastiques par kilo en milieu urbain et 100 particules dans le désert) dépasserait celui des plastiques qui contaminent les océans. En France, on relève ainsi 244 kilos de plastiques par hectare de terre agricole.
Lire aussi
- Aux côtés de deux autres pilotes scientifiques : Sophie Duquesne (Centrale Lille, en délégation CNRS) et Muriel Mercier-Bonin (INRAE), et avec une cheffe de projet, Lise Paresys (INRAE-DEPE).
- Le mulch est synonyme de paillis. Ici, il s’agit d’une mince feuille de plastique étalé sur le sol, dans laquelle les plantes poussent en la traversant par des fentes ou des trous.
- Le plastique dit biosourcé n’est pas dérivé de la pétrochimie, mais élaboré à partir de ressources renouvelables (végétaux, notamment), et fabriqué principalement à partir d’amidon, de sucre et de cellulose. Il représente actuellement 1% de la production mondiale.
- Les polyhydroxyalcanoates ou PHA sont des polyesters biodégradables produits naturellement par fermentation bactérienne de sucres ou lipides
- Ce Traité est en discussion depuis 2022 entre les Etats membres de l’ONU.