De l'eau au moulin

Published on 4 mai 2020 |

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Les matériaux biosourcés, une alternative pour l’avenir

Depuis presque vingt ans, la transformation thermo-mécanique de la matière végétale permet de fabriquer des « agromatériaux ». Issus de ressources renouvelables, ils sont une alternative aux matériaux d’origine fossile. Par ailleurs, ils sont biodégradables a minima dans des conditions de compostage industriel.

Par Philippe Evon, Laboratoire de Chimie Agro-industrielle (LCA, UMR 1010 INRAE/Toulouse INP), responsable de la halle de transfert AGROMAT

Béton et petites cuillères

Couverts jetables, touillettes à café, cuillères à glace, films bioplastiques de paillage, opercules de contenants alimentaires, ces matériaux biosourcés peuvent d’abord servir pour des pièces d’usage unique ou éphémère. Ensuite, sous forme de panneaux de fibres ou de particules pour l’ameublement et les bâtiments, ils sont destinés à remplacer les panneaux de bois collés, les agglomérés, les contreplaqués, etc., tous produits à l’aide de résines thermodurcissables très souvent émettrices de formaldéhyde, un produit classé cancérogène pour l’homme. Enfin ils sont utilisés pour le génie civil comme isolants thermiques et acoustiques, en vrac ou sous la forme de blocs de moyenne densité, agrobétons, etc.

Des plastiques issus du pétrole aux agromatériaux

Tout a commencé avec le développement d’un composite thermoplastique 100% biosourcé à matrice amidon, obtenu à partir du maïs plante entière. Ce matériau, Vegemat1, trouve des usages pour le moins variés : tees de golf, colliers de serrage, liens pour l’horticulture, agrafes à vigne, os à mâcher pour les chiens, etc. Mais c’est dans le domaine de l’emballage, surtout alimentaire, que la technique tend à se spécialiser : capsules, barquettes, couverts de pique-nique, pots de glace ou pots de fleurs… Aussi résistant que les plastiques conventionnels, le matériau est disponible en une large gamme de couleurs.

De l’utilisation des propriétés plastiques de l’amidon, les travaux se sont poursuivis avec d’autres polymères naturels, notamment les protéines des tourteaux d’oléagineux (tournesol, lin) et d’oléoprotéagineux (soja), et les pectines présentes dans la pulpe de betterave. En particulier, à partir du tourteau de tournesol, un co-produit de l’agro-industrie, le LCA a pu développer un procédé comprenant une extrusion bi-vis puis un moulage par injection afin de le transformer en des pots horticoles à action fertilisante2.

Le Tarbes Lab

A partir des propriétés physico-chimiques des principaux polymères constitutifs de la matière végétale (amidon, protéines, pectines, cellulose, hémicelluloses, lignines) d’une part, et de l’application des procédés thermo-mécaniques de la plasturgie à des matières 100% naturelles d’autre part, le laboratoire a ouvert en 2007 sur le site de l’ENI de Tarbes une halle de transfert technologique : AGROMAT3. Elle est dédiée à la recherche fondamentale sur les propriétés plastiques des biopolymères et au développement industriel de ces nouveaux matériaux à 100% d’origine naturelle. L’équipe y met à la disposition des partenaires industriels son savoir-faire et les outils technologiques de la plasturgie (extrusion mono- et bi-vis, moulage par injection, compression à chaud) pour des démonstrations ou la production de pré-séries.

La Halle Agromat – Panorama

De nouveaux matériaux composites

Le plus souvent, les agromatériaux sont des matériaux composites : les biopolymères de réserve comme l’amidon ou les protéines servent alors de liants naturels et garantissent la cohésion du matériau final qui peut également contenir des fibres végétales. Celles-ci contribuent au renfort mécanique de la pièce. Des additifs, biosourcés eux aussi, peuvent également être ajoutés : agents de couplage, plastifiants, odeurs, couleurs, etc.

Tout récemment par exemple, des panneaux de fibres 100% coriandre ont pu être développés4. Associant le tourteau issu de la graine en guise de liant protéique d’une part, et les fibres de la paille en guise de renfort d’autre part, ces panneaux permettent à la fois de valoriser un co-produit de la culture, la paille, et un résidu issu d’une première transformation de la graine (le tourteau généré quand l’huile végétale est extraite). Au regard de la norme française NF EN 3125 ces matériaux pourraient être utilisés en milieu sec comme sous-couches pour les sols, cloisons intérieures, meubles, etc. Ils n’émettent pas de formaldéhyde, ce qui les rend plus respectueux de l’environnement et de la santé humaine que les panneaux conventionnels6. Ils satisfont au décret qui fixe les valeurs-guides pour les polluants dans l’air intérieur des établissements recevant du public7.

De nouvelles applications

Grande utilisatrice d’emballages plastiques issus du pétrole et qui contribuent donc à l’émission de gaz à effet de serre, l’industrie agro-alimentaire est aujourd’hui contrainte de repenser l’avenir en raison de l’évolution récente du cadre législatif. En effet le décret qui interdit entre autres les couverts jetables en plastique fait une exception des objets « compostables en compostage domestique et constitués, pour tout ou partie, de matières biosourcées »8.

En contact avec la nourriture, ces nouveaux matériaux devront résister au froid et à la chaleur, offrir une haute barrière à l’oxygène afin respecter l’intégrité des produits mais aussi ne pas contribuer à la migration de constituants du contenant vers l’aliment. Dans certains cas, il leur faut également supporter un contact direct avec l’eau. C’est la raison pour laquelle les biopolymères naturels sont complétés de bioplastiques9 de synthèse, le plus souvent issus eux-mêmes du végétal. C’est le cas notamment des PHAs (polyhydroxyalcanoates, produits naturellement par fermentation bactérienne de sucres ou de lipides) et du PLA (acide polylactique, obtenu à partir d’amidon de maïs par fermentation puis polymérisation) dans le projet Vegepack10.

Repenser la fin de vie

À cela s’ajoute la problématique de la fin de vie de ces pièces à usage unique. Chaque nouvelle formulation subit donc une batterie de tests de compostabilité par des organismes certifiés tels que TÜV AUSTRIA. Aujourd’hui, les matériaux biosourcés développés au LCA et à AGROMAT ainsi que la plupart de ceux qu’on retrouve dans les rayons des magasins sont a minima compostables industriellement. Ils disposent alors du label « OK compost ». Lorsqu’ils sont compostables domestiquement, ils disposent du label « OK compost HOME ».

Pour les années qui viennent, le défi est de développer des matériaux permettant un compostage domestique : en fin de vie, les pièces pourraient se dégrader dans un composteur de jardin.

Le coût, un verrou à lever

L’industrie des matériaux biosourcés est encore un marché de niche : c’est moins de 1% des plus de 359 millions de tonnes de plastique produites chaque année. La raison principale en est le coût : environ 2,50 €/kg pour le PLA et entre 4 et 6 € pour un PHA contre, par exemple, seulement 1,50 € environ pour le polystyrène, issu du pétrole. Les équipes du LCA et d’AGROMAT s’efforcent donc de formuler leurs matériaux biosourcés en y incorporant des fibres végétales, de préférence disponibles localement. Leur très faible coût permet de revenir à des prix plus abordables. L’avenir des plastiques d’origine végétale, notamment leur utilisation comme emballages alimentaires, n’en demeure pas moins prometteur. Leur capacité de production devrait même augmenter d’environ 15% entre 2019 et 2024. Et, même si leur production mobilise des surfaces arables, ce ne sont que 0,06 % de ces surfaces à l’échelle mondiale11. Issus de ressources renouvelables, ils n’ont pas à faire face à la problématique d’épuisement de la ressource et présentent une analyse de cycle de vie (ACV) et un bilan carbone globalement plus favorables que les plastiques d’origine fossile12.

Vers l’économie circulaire

Pour conclure, la mise en place de filières de recyclage mais aussi de collecte et de compostage des emballages biosourcés en fin de vie apparaît comme un enjeu de taille pour les années qui viennent. En effet, une fois compostés, ces emballages sont transformés en une biomasse résiduaire, le compost, qui pourrait parfaitement retourner au sol, dans un concept d’économie circulaire. Démarré en 2018, le projet européen (InterReg POCTEFA) BIOPLAST13, sur les plastiques à base de déchets agricoles et auquel participe AGROMAT, s’inscrit précisément dans cette logique. Il s’articule autour des sept étapes suivantes : (i) une cartographie des déchets disponibles dans la zone géographique POCTEFA, (ii) la production de PHAs à partir de ces déchets, (iii) l’obtention de pièces biocomposites pour le secteur agricole (films, pots, etc.) faites de ces PHAs et de fibres végétales, (iv) l’étude de leurs propriétés physico-chimiques, (v) leur traitement en fin de vie par compostage ou méthanisation, (vi) le retour au sol des composts et des digestats obtenus, et (vii) une étude économique et environnementale. A suivre…

  1. Vegemat® est aujourd’hui commercialisé par la société tarbaise Vegeplast avec laquelle le LCA a mené quatre thèses doctorales afin de faire évoluer les propriétés d’usage de ses pièces bioplastiques 100% biosourcées :
    – Peyrat  E., 2000. Nouveau composite biodégradable obtenu à partir de maïs plante entière : étude du procédé de transformation thermo-mécanochimique en extrudeur bi-vis et de la mise en forme par injection-moulage. Thèse de Doctorat, INP, Toulouse, France.
    – Chabrat É., 2012. Développement de nouvelles formulations d’agromatériaux thermoplastiques par mélange en extrudeur bi-vis de céréales et de polymères issus de ressources renouvelables. Thèse de Doctorat, INP, Toulouse, France.
    – Gamon G., 2013. Incorporation de fibres végétales dans des matrices thermoplastiques biosourcées et biodégradables par extrusion bi-vis pour la production de matériaux biocomposites moulés par injection. Thèse de Doctorat, INP, Toulouse, France.
    – Abdillahi H., 2014. Propriétés barrières et mécaniques d’agromatériaux thermoplastiques à base de farine de blé et de polyesters biosourcés et biodégradables. Thèse de Doctorat, INP, Toulouse, France.
  2. Humbert J., Makoumbou U., Rigal L., Chelle R., Rouilly A., Geneau C., 2010. Preparing Calibrated Plastic Composite Agroaggregate Comprises Introducing Sulfite Salt Solution in Extrusion Device Filled with Vegetable Protein Material and Water, Adjusting Amount of Water, and Subjecting to Pressure. FR2940297A1– (25/06/2010). https://worldwide.espacenet.com/patent/search/family/040873433/publication/FR2940297A1?q=FR2940297A1
  3. https://www6.toulouse.inrae.fr/lca/AGROMAT
  4. Uitterhaegen E., 2018. Study of the integrated biorefinery of vegetable and essential oil in Apiaceae seeds (Étude du bioraffinage conjugué d’huile végétale et d’huile essentielle issues de graines d’Apiaceae). Thèse de Doctorat, INP, Toulouse, France, menée en collaboration avec Ovalie Innovation (structure R&D commune des groupes coopératifs Vivadour et Maïsadour).
  5. NF EN 312 relative aux exigences requises pour les panneaux de particules à usage commercial
  6. Simon V., Uitterhaegen E., Robillard A., Ballas S., Véronèse T., Vilarem  G., Merah O., Talou T., Evon P., 2020. VOC and carbonyl compound emissions of a fiberboard resulting from a coriander biorefinery: comparison with two commercial wood-based building materials. Environmental Science and Pollution Research, https://doi.org/10.1007/s11356-020-08101-.
  7. Décret n° 2011-1727 du 2 décembre 2011 qui vise à réduire à compter du 1er janvier 2022 la moyenne hebdomadaire de la concentration des polluants (formaldéhyde, benzène, etc.) dans l’air intérieur des établissements recevant du public (enseignement, accueil d’enfants de moins de six ans, établissements sanitaires et sociaux disposant d’une capacité d’hébergement, établissements sportifs couverts, etc.).
  8. Le décret n° 2016-1170 du 30 août 2016 vise à « interdire à partir du 1er janvier 2020 la mise à disposition des gobelets, verres et assiettes jetables en matière plastique, à l’exception de ceux compostables en compostage domestique et constitués, pour tout ou partie, de matières biosourcées ». L’application de ce décret ciblant tout particulièrement les emballages alimentaires à usage unique a finalement été reportée à janvier 2021 afin de laisser le temps nécessaire aux industriels pour une telle mutation.
  9. Un bioplastique est issu du végétal et/ou biodégradable, signifiant qu’au moins l’une de ces deux conditions doit être satisfaite mais pas nécessairement les deux. A titre d’exemple, la PCL (polycaprolactone) est issue du pétrole mais compostable : c’est un bioplastique. A l’inverse, le BioPE (biopolyéthylène) est issu du végétal mais non biodégradable : c’est aussi un bioplastique. Les PHAs et le PLA sont quant à eux à la fois biosourcés et biodégradables
  10. https://www6.toulouse.inrae.fr/lca/Projets-principaux/FUI/VEGEPACK
  11. https://docs.european-bioplastics.org/publications/EUBP_Facts_and_figures.pdf
  12. http://natureplast.eu/analyse-cycle-vie-coproduits/
  13. https://www.bioplast-poctefa.eu/

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