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À mots découverts

Publié le 13 octobre 2020 |

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[Mer] Portrait chinois de l’Aquaculture

Par Lucie Gillot

Qu’on se le dise : à l’échelle mondiale, désormais, les « produits de la mer » qui finissent dans votre assiette, ont plus de chance d’avoir été fournis par le marché aquacole que par la criée du coin. Ainsi, en volume, l’aquaculture supplante désormais les captures sauvages, avec 96,4 millions de tonnes (Mt) en 2018. Il était plus que temps d’en savoir un peu plus sur ce secteur. En complément du dossier sur la pêche, à paraître dans Sesame #8, Joël Aubin, spécialiste de l’analyse environnementale des systèmes de production animaux et aquaculture à Inrae, fait les présentations. Où l’on prend conscience de la forte diversité des productions aquacoles, et de leurs impacts respectifs sur les milieux naturels.

Que recouvre concrètement le champ de l’aquaculture ?

Joël AUBIN : L’aquaculture désigne tout aussi bien les élevages en eaux salée que douce. A l’échelle mondiale, la très grande majorité de la production aquacole se fait en Asie, principalement en Chine. Les poissons qui y sont élevés sont principalement des espèces d’eau douce de la famille des cyprinidés, typiquement la carpe. Vous remarquerez peut-être cette étrangeté : la production aquacole se mène majoritairement en eau douce. Pourtant, dans les statistiques mondiales, sa production est comptabilisée dans les produits de la mer…

En Europe, ce sont les salmonidés qui dominent, avec cette distinction : si vous incluez dans votre calcul les productions norvégiennes, l’espèce prépondérante sera le saumon. Si vous l’excluez, ce sera un poisson d’eau douce, la truite, puis des espèces marines comme le bar ou la daurade. Viennent enfin les coquillages avec les huîtres et les moules, productions elles-aussi importantes1.

Qu’en est-il de l’impact environnemental de ces productions ?

Il faut distinguer d’un côté les coquillages et les algues et, de l’autre, les poissons. Les premiers vont prélever leur nourriture directement dans le milieu et auront donc un impact limité. Il s’agit d’une production dite extractive. Les seconds sont élevés soit en milieu ouvert – directement en pleine mer ou en bassins sur rivière – soit dans des étangs d’eau douce ou salée. Quoi qu’il en soit, ils doivent être nourris ce qui signifie qu’il y a des flux d’entrée et de sortie. Dans les flux d’entrée, fabriquer l’alimentation va avoir un impact certain, d’autant plus que seuls 30% des nutriments apportés vont être métabolisés. Les 70% restant seront comptabilisés dans les flux de sortie avec les rejets des animaux. En milieu ouvert, les flux de sortie iront directement dans l’environnent – mer, lac ou rivière. En milieu fermé, l’eau sera filtrée pour en limiter les rejets.


« L’alimentation représente environ 80 % de l’impact environnemental »

Lorsque l’on calcule l’impact environnemental, l’alimentation représente environ 80 % de l’impact et va donc, de ce fait, constituer un levier important. L’une des stratégies possibles va consister à élaborer des aliments nutritionnellement plus efficaces ou avec des impacts environnementaux moindres. A l’étude actuellement, le recours aux micro-algues et aux insectes. Personnellement, je suis partagé à l’usage de ces derniers, car cela pose de nouveau la question des flux d’entrée : il faudra bien nourrir les insectes afin de nourrir les poissons…

Autre piste envisagée : reconstituer un écosystème artificiel afin d’optimiser les flux. C’est le principe de « l’aquaculture multitrophique intégrée » qui vise à associer plusieurs espèces, par exemple aux côtés des poissons, des productions extractives comme les moules ou les algues, qui vont valoriser la matière organique ou fixer les nutriments dissous. Plusieurs combinaisons sont à l’étude avec des combinaisons poissons-mollusques-invertébrés.

Un petit mot sur le cas des crevettes élevées en milieu tropical. Cette production a été énormément décriée par qu’elle se développait dans des zones de mangrove. Opérant la jonction entre eaux douce et salée, les mangroves sont des zones de reproduction d’espèces marines, où grandissent les juvéniles. Y implanter des élevages détruit les écosystèmes et a impact sur l’écosystème marin en général.

Quels types d’élevage se développent aujourd’hui en France et en Europe ?

Les espèces phare sont le saumon, la truite, le bar, la daurade, le turbot, ou l’esturgeon. Ce sont des espèces à dominante carnassière exigeant des niveaux de protéines relativement élevés, souvent apportés via les farines de poissons sauvages. Écologiquement, il serait pertinent de s’intéresser à d’autres espèces. En France, nous avons par exemple un secteur étang sous-utilisé, en partie parce que les espèces élevées, la carpe notamment, ne font pas rêver les consommateurs. Dommage, car les professionnels font beaucoup d’efforts pour accroître la qualité de leurs produits. En outre, ces espèces ont une dépendance moindre à l’alimentation. Elles nécessitent peu d’apports extérieurs, privilégiant les planctons et les invertébrés naturellement présents dans le milieu.

Sommes-nous aujourd’hui capables d’élever tous les poissons ?

Non. Pendant longtemps, on a imaginé faire du sea ranching, c’est-à-dire reproduire en quantité des organismes marins puis les remettre dans le milieu naturel pour qu’ils s’y développent. Si cela fonctionne parfaitement pour la coquille Saint-Jacques, la technique est néanmoins loin d’être efficiente pour les poissons.

En outre, au-delà des strictes questions techniques, se pose une question de fond : est-ce que ça vaut le coup ? Peut-être faut-il se demander si le milieu naturel marin n’est pas plus prompt à fabriquer certaines espèces que nous dans les bassins. A cet égard, je pense qu’il y a une vraie réflexion à avoir sur les espèces à gérer en aquaculture et celles à capturer.

1 Pour avoir les chiffres détaillés de la production européenne : https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/122/la-peche-europeenne-en-chiffres

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