par Valérie Péan

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Bruits de fond

Published on 1 février 2018 |

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Le scandale, c’est bon pour la morale !

par Valérie Péan

L’affaire des œufs contaminés au fipronil, dont la liste des produits concernés ne cesse de s’allonger depuis le mois d’août dernier, Lactalis et ses Salmonelles plus récemment ? Des scandales, clame-t-on à l’unisson à travers médias et réseaux sociaux. Un mot choc qui dit à lui seul l’infamie, la fraude, le mensonge et autres turpitudes, si ce n’est qu’il s’applique indifféremment au dieselgate, au divorce d’un people, au montant du transfert d’un sportif ou à une grave intoxication. Retour sur l’étymologie1 et l’analyse sociologique d’un joli mot qui masque de vilaines manœuvres aux effets paradoxaux. Et qui en dit long sur les sociétés où il se déploie.

Imaginez un gros caillou. De celui qui fait trébucher et tomber de tout son long. Eh bien, le scandale, c’est en premier lieu cette pierre d’achoppement. Son nom lui vient du sanscrit skand, repris par le grec skandalon qui désignait un piège. Un sens bien concret que les écrits bibliques récupérèrent, pour transformer le scandale en une occasion de tomber dans le péché.

Cet usage se double, à partir du 16e siècle, d’une signification plus laïque. Le scandale devient alors un affront, un comportement choquant les bonnes mœurs ou « la commune opinion » des peuples. L’expression « pierre de scandale » fait alors florès, pour désigner ici une femme dépravée, ailleurs un margoulin de la pire espèce. Furetière, dans son dictionnaire de 1690, explique l’origine de cette locution. Cela vient, dit-il, d’une pierre élevée devant le grand portail du Capitole, sur laquelle « on faisoit heurter par trois fois à cul nu » les responsables de banqueroute…

Trois ingrédients pour la mayonnaise.

Mais poursuivons. Car continuant son bonhomme de chemin, de Panama à l’amiante en passant par Dreyfus, notre scandale opère un nouveau déplacement, pour se contenter de désigner, non plus l’acte répréhensible en lui-même, mais son seul effet : l’indignation.

Reste à savoir ce qui « fait » scandale.  Il y faut trois ingrédients, selon le philosophe et psychologue français René Le Senne2 : une collectivité d’abord, celle des « scandalisés ». En clair, sans l’existence de l’autre, le comportement scandaleux n’a pas lieu d’être.  L’existence de valeurs partagées, ensuite. Que ce soient les bonnes mœurs ou les principes religieux, c’est le fait qu’ils soient bafoués ou ridiculisés qui provoque la réprobation. Enfin, il faut un public auprès duquel se diffuse l’objet du scandale. Précision de R. Le Senne : l’événement scandaleux peut être faux, archi-faux, l’essentiel est qu’il soit tenu pour vrai par l’opinion publique. 

Toutefois, à égrener le long chapelet des scandales, sanitaires ou autres, qui secouent la France, une autre question se fait jour peu à peu : ça sert à quoi un scandale ? 

Pour le sociologue Eric Dampierre, il révèle entre autres que les valeurs dont se dote une société  ne sont pas forcément respectées par tous. Or, ainsi attaquées, ces valeurs en sortent renforcées, tout comme la société qui trouve là l’occasion de faire cohésion dans l’émotion et la réaffirmation de comportements collectifs. Loin d’être un simple fossoyeur de nos valeurs, le scandale en constitue donc une pierre de touche.

Mieux, aux types de scandales, correspond une typologie des sociétés et de leur régime politique. Là encore, à en croire René Le Senne, le scandale révèle moins des sociétés aux structures rigides ou des époques troublées que des sociétés en transition, « où le vieux droit a perdu de sa vigueur, où le jeune n’a pas encore acquis la sienne. » Un intervalle qui pourrait bien caractériser notre époque.


 

  1. Merci une fois de plus à Alain Rey et à son remarquable dictionnaire historique de la langue française (Ed. Le Robert).
  2. Philosophe français décédé en 1954, auteur d’un article « Le scandale », dans l’ouvrage « L’Existence », publié chez Gallimard en 1945.

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