Croiser le faire

Published on 25 février 2019 |

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Improbables « zadiculteurs »

Par Stéphane Thépot

Les « zadistes » peuvent-ils devenir paysans ? Le veulent-ils seulement ? Éléments de réponses recueillis à Notre-Dame-des-Landes, mais aussi dans d’autres zones squattées à Dijon, dans les Cévennes ou l’Aveyron.

Clément et Erwan ne sont plus des « Camille ». Contrairement à l’usage durant la lutte contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (NDDL), les deux jeunes gens n’ont pas eu recours au pseudonyme collectif – et non « genré » – choisi par les occupants de la « Zone À Défendre » (ZAD) pour répondre aux journalistes. Le soleil vient à peine de se lever et ils sont déjà en train de manier la grelinette, l’outil préféré des adeptes de la permaculture, pour préparer la future récolte de poireaux de La Hulotte. Comme la plupart des nouveaux lieux-dits zadistes (la Vache rit, les Vieux Fourneaux, le Gourbi, etc.) qui ont fleuri dans ce coin de bocage breton, La Hulotte se découvre au bout d’un chemin à peine carrossable où quelques voitures et caravanes stationnent au bord d’un champ. Une maison en bois équipée de panneaux photovoltaïques a aussi été érigée en lisière de la forêt de Rohanne, îlot boisé qui surnage au beau milieu d’une ZNIEFF (Zone Naturelle d’Intérêt Écologique, Faunistique et Floristique) de quarante-deux hectares. C’est ici que vit Véro, désignée comme la « cheffe de culture » de La Hulotte par Clément et Erwan. La jeune femme, qui a fait des études de théâtre, a fini par se résoudre à déposer un dossier à la préfecture en avril dernier pour tenter de régulariser sa présence sur la Zad en étant reconnue comme agricultrice. Non sans réticence. 

Au total, la préfecture a reçu vingt-neuf « fiches d’intention » en mai et a en sélectionné 15 en juin. Ces « porteurs de projets », pour reprendre la terminologie administrative, bénéficient de conventions d’occupation temporaire jusqu’à la fin de l’année 2018 sur une superficie totale de 140 hectares. Les néopaysans postulants se proposent de développer trois projets de maraîchage, dont un associé à une ferme pédagogique, deux projets de cultures de céréales transformées pour faire de la farine et de la bière, deux autres pour des plantes aromatiques et médicinales, trois troupeaux de moutons dont un pour faire du fromage, un élevage de bovins, un apiculteur, etc. Deux autres projets, dont un élevage d’escargots, ont été jugés insuffisamment « matures » par le jury composé de représentants de l’État, de la chambre d’agriculture et des associations engagées contre l’aéroport, mais ils peuvent encore espérer être régularisés. Selon la préfecture, qui a fait procéder dans le même temps à la démolition de nombreuses cabanes et campements sauvages par les gendarmes mobiles, il ne restait plus que quinze à vingt hectares squattés sur la Zad au début de l’été.

Agriculture vivrière et « non-marché »

Les zadistes auraient préféré déposer un seul dossier collectif pour empêcher toute expulsion et faire reconnaître l’entraide qui est la règle ici. Erwan fait par exemple partie de l’un des « groupes mouton » de la Zad et Clément, menuisier charpentier de formation, appartient au collectif Abrakadabois qui utilise la forêt de Rohanne et les haies du bocage pour fournir du bois d’œuvre et de chauffage aux zadistes. Clément attend l’arrivée de chevaux pour débarder du bois dans la forêt. « Les chevaux vont aussi travailler avec les maraîchers », explique-t-il pour illustrer la recherche d’autonomie qui anime la Zad. « L’autonomie, c’est pas l’autarcie. On cherche toujours à créer du lien », souligne Clément. En attendant l’arrivée des chevaux de trait, les deux jeunes gens travaillent bénévolement à La Hulotte. « On n’a jamais compté le temps de travail, c’est pas la question », dit Erwan. Il explique vouloir « se faire plaisir » plutôt que de gagner de l’argent. « Le groupe mouton, on sait que ce sera jamais rentable. On fait juste ça pour ne pas manger que des courgettes ». 

Sur la Zad, les repas sont collectifs. Il y a même un endroit dédié aux végans, qui refusent jusqu’à la traction animale et ont institué une « zone non motorisée », interdites aux tracteurs. Clément et Erwan revendiquent la pratique d’une « agriculture vivrière ». Les potagers servent d’abord à autoalimenter la Zad. Les surplus respectifs des groupes disséminés sur l’emprise des 1 400 hectares du projet du deuxième aéroport nantais et de sa desserte routière s’écoulent tous les vendredis au « non-marché » du Gourbi : fruits et légumes y sont accessibles « à prix libre », chacun se sert et dépose sa contribution financière dans une caisse commune. Des surplus sont aussi offerts à d’autres collectifs en lutte, comme des grévistes ou un squat de sans-papiers à Nantes, à travers le dispositif « cagette des terres ». La Hulotte est l’une des quatre zones de maraîchage revendiquées par le collectif « Sème ta Zad », apparu en 2013, pourvoyeuses des légumes « solidaires » de cette sorte d’Amap militante. 

À Dijon, ce sont des membres de plusieurs collectifs ancrés dans les alternatives locales, autogestionnaires ou altermondialistes (Amap, Confédération paysanne, Attac, squat autogéré) qui se sont associés pour occuper sept hectares de terres maraîchères vouées à la construction d’un « écoquartier ». « L’illégalité de l’action a fortement divisé le collectif, certaines Amap et le représentant local de Terres de liens y étaient opposés », rapporte une militante dans une remarquable publication qui fait suite aux Rencontres des luttes foncières organisées à Rouen en novembre 20161. Le squat, qui préfère se présenter comme « le quartier libre des Lentillères » plutôt que comme une Zad, est depuis 2010 une épine dans le pied de la municipalité et de la métropole. « C’est plus difficile d’évacuer un squat potager qu’un squat classique », constate Yannick Sencébé, sociologue à l’Inra de Dijon. Soutien affiché des Lentillères, la chercheuse souligne les liens de compagnonnage entre le quartier maraîcher dijonnais et la Zad des environs de Nantes. « Certains militants de Dijon sont allés à Notre-Dame-des-Landes où ils sont devenus des piliers de la Zad avant de revenir aux Lentillères, puis de s’installer ailleurs comme maraîchers professionnels ». À Dijon comme sur la Zad, les légumes sont vendus sur un marché « à prix libre ». Il attire les habitants de toute la ville, se félicite Yannick Sencébé, observant avec intérêt ce qu’elle nomme « l’empaysannement des luttes urbaines ».

Le peuple des cabanes et celui des pavillons

À Notre-Dame-des-Landes, le compagnon de Véro a commencé à vendre des légumes de La Hulotte sur les marchés alentours. Étienne n’est pas le seul à s’ouvrir ainsi sur l’extérieur. Parmi les trois fournils qui produisent du pain sur la Zad, un paysan boulanger a lui aussi fait ses premiers pas dans cette « économie marchande » que tant de zadistes dénoncent ou redoutent. « Dans le vivrier, l’argent, c’est un truc incident », élude Clément. La question, sensible, peut faire l’objet de débats sans fin au sein des assemblées qui rythment la vie de la Zad. Aux yeux de nombreux militants venus se battre contre l’aéroport « et son monde », approvisionner les réfugiés de Calais est politiquement correct. Mais pas question de vendre aux « bourgeois » vivant dans les pavillons qui ont poussé autour de la zone ! Un slogan rageur taggé sur les murs de l’ancienne supérette de Vigneux-en-Bretagne, délocalisée un peu plus loin du bourg, l’atteste. Cette doctrine radicale semble pourtant évoluer chez certains. « Un groupe de zadistes est venu discuter avec nous », rapporte Diane Morel, présidente de l’Amap de Vigneux. L’association, qui compte 80 familles adhérentes, est alimentée tous les mardis soirs par une dizaine de petits producteurs locaux, tous labellisés en agriculture biologique. Mais pas (encore ?) un seul paysan de la Zad. « Nous avons été contactés par un producteur de viande bovine dont la ferme est sur la zone, mais nous avions déjà notre producteur de volailles qui en propose à l’occasion », explique Diane Morel. La présidente de l’association signale qu’une Amap voisine est alimentée en pain et en galettes depuis la Zad. « Les producteurs de la Zad cherchent des débouchés, mais aussi à créer des liens », se réjouit-elle.

Même si les habitants des communes voisines ont majoritairement voté contre le projet d’aéroport lors du référendum organisé par le précédent gouvernement, le fossé n’a cessé de se creuser avec les zadistes durant la lutte. Le malentendu entre le peuple des cabanes et celui des pavillons s’est longtemps focalisé sur la question des petites routes qui traversent la zone du nord au sud, entre Notre-Dame-des-Landes (2 000 habitants) et Vigneux-de-Bretagne (6 000 habitants). Les zadistes avaient érigé des barricades sur ces axes stratégiques de pénétration dans la zone. Surnommée « la route des chicanes », la RD 281 était même officiellement fermée à la circulation depuis 2012 par le conseil départemental. Le gouvernement avait fait de sa réouverture un préalable à toute régularisation. Fait notable, ce sont les antiaéroports eux-mêmes qui ont procédé dès janvier au démantèlement des barricades et des miradors de fortune, et non les gendarmes mobiles. « Prendre cette décision, c’est sûr, n’a pas été facile et ce n’est pas seulement de gaieté de cœur que nous voulons transformer cette route. Mais c’est parce que nous pensons un futur commun et avons confiance dans notre force collective que nous vous appelons à faire ce chantier “entre nous”, sans la presse », précisait le mouvement dans un communiqué. 

« J’ai participé au démontage de Lama fâché », raconte Claude Labour, instituteur retraité et syndicaliste toujours actif. Ce militant chevronné fait aussi visiter bénévolement l’écomusée rural du pays nantais, installé dans une ancienne ferme du hameau de La Paquelais. Un amoncellement de vieux outils agricoles évoque avec nostalgie la disparition des paysans de jadis. Pas franchement la tasse de thé de Lama fâché, qui se définissait comme un squat « anarchopirate », adepte du véganisme. L’écomusée a aussi planté une parcelle de sarrasin, le « blé noir » indispensable à la confection des galettes bretonnes, aliment de base de toute la région aux siècles passés. Chaque année en septembre, la moisson de la parcelle avec un cheval de trait et le battage « à l’ancienne » constitue l’un des moments forts de l’association qui gère l’écomusée. « Nous avons offert des semences à un occupant de la Zad », rapporte Claude Labour. En 2017, près de douze hectares de sarrasin étaient cultivés sur la Zad, selon l’inventaire publié par le collectif Sème ta Zad. Depuis 2015, une « fête des récoltes » y est organisée en septembre. Moins historique, plus militante. À chacun son folklore… 

Zad partout, justice nulle part 

Le divorce entre habitants et squatteurs ruraux est aussi sensible à Saint-Jean-du-Gard. Le maire (DVD) de la commune réclame l’expulsion des occupants de La Borie, un ancien mas cévenol situé au bord du Gardon de Mialet menacé d’être englouti par un futur barrage dans les années 80. Le projet a été abandonné en 1992. Le maire, élu en 2014, estime que les militants n’ont plus aucune raison de rester sur place. La commune est propriétaire des quarante hectares de La Borie depuis la rétrocession des terres par le département, initiateur du projet de barrage avorté. À la veille de l’examen de sa demande d’expulsion par le tribunal d’Alès, des tags ont été bombés sur la façade de la mairie, le monument aux morts et d’autres bâtiments de la ville. Cette réaction a fini de braquer une partie des 2 600 habitants de la commune contre « les anarchistes » de La Borie. La lutte contre le projet de barrage avait pourtant jadis soudé la population, mobilisée pour sauver la « vallée des Camisards ». « On avait obtenu plus de 90 % de “Non” au barrage lors d’un référendum d’initiative populaire, le premier organisé en France, en 1992, en même temps que les élections européennes », rappelle Lucien Affortit, ancien maire (PS) de Saint-Jean-du-Gard. Une ethnologue a finement analysé cette victoire de « l’émotion patrimoniale ». Elle souligne, au-delà de la résistance locale des habitants et des néoruraux, le rôle de « la diaspora protestante » pour torpiller le projet au plus haut niveau2. « On n’a pas su gérer l’après-lutte », reconnaît Jacques Verseils, fils de pasteur respecté qui fut l’un des leaders du mouvement antibarrage. 

L’ancien maire socialiste, devenu entre-temps élu au département, avait délégué l’avenir de La Borie à une association proche de Pierre Rabbi qui promettait d’en faire un « écohameau ». Mais le responsable « est parti avec la caisse », raconte Lucien Affortit. Seul un artisan spécialisé dans l’énergie solaire, désormais retraité, vit encore sur place avec sa compagne, octogénaire. Plusieurs agriculteurs ont également tenté de s’installer, mais aucun n’est resté. Il ne reste plus que Delphine Maillard, ancienne secrétaire, divorcée, venue de Montpellier avec ses trois enfants et 200 ruches. « J’ai fait un BTS agricole, je me suis inscrite au syndicat des jeunes agriculteurs, je respectais les institutions », raconte Delphine, les yeux las et les traits tirés. Elle vit aujourd’hui avec Patrick, son nouveau mari, dans l’une des quatre maisons sommairement retapées de l’ancien mas. Il leur reste six ruches et les renards ont mangé les poules. Le couple cultive son jardin de 3 500 m2, « en autonomie ». Leur unique source de revenus déclarés provient des foires et salons bio. Patrick est très fier de sa recette de « criques cévenoles », sortes de galettes de pommes de terre mélangées à des herbes qui poussent spontanément dans son jardin. « L’an dernier, j’ai récolté 1,2 tonne de pommes de terre sur 500 m2. » Menacés d’expulsion, ils vivent en bonne intelligence avec les « zadistes » qui squattent les autres maisons et ont planté tentes et caravanes le long du chemin pas vraiment carrossable menant à leur domicile. « Ce n’est pas une Zad mais un LAD, un Lieu À Défendre, avec toute une histoire, un lieu d’expression libre », dit Delphine Maillard. Le couple, condamné à quitter les lieux avant le 14 août 2018 par le tribunal d’Alès, bénéficie d’un sursis depuis que la cour d’appel de Nîmes a suspendu l’application du jugement.

Yourtes et éoliennes

Le schisme entre occupants et population à Saint-Jean-du-Gard date de presque dix ans, quand une yourte a été installée en 2009 à La Borie. Le maire (PS) a envoyé des employés municipaux pour la démonter. « Une connerie », fulmine Lucien Affortit, furieux contre l’ancien adjoint à qui il avait laissé son poste de maire quelques années plus tôt. Dès le lendemain, les squatteurs ont réagi en envahissant la mairie. « On incrimine les “zadistes”, mais c’est clairement la mairie qui a joué les fauteurs de trouble », ajoute Jacques Verseils. Même s’il déclare ne pas être toujours d’accord avec les postures politiques ostensiblement radicales des actuels squatteurs, le fils de pasteur s’efforce de préserver le lien avec les habitants. C’est l’un des rares « notables » à se risquer encore à La Borie. Christian Sunt, lui, défend toujours les résidents du mas occupé. Autre militant actif contre le projet de barrage, cet ancien garde forestier accueille même des « roulards », ces jeunes qui ont fait le choix de vivre dans des camions plus ou moins aménagés, sur les 5 hectares d’une ancienne mine qu’il a rachetée à quelques kilomètres de là. « Il faut comprendre qu’une Zad n’est pas seulement un lieu de lutte, mais aussi un lieu de vie alternatif pour des gens en rupture », plaide ce militant de la décroissance. Christian Sunt explique que le retour d’une agriculture conventionnelle à La Borie aurait abouti à privatiser ce lieu que les militants antibarrages souhaitaient laisser accessible au public. « On avait même aménagé une plage pour les gens du coin ». La plage existe toujours, mais les habitants hésitent à passer par la Zad et ses campements de fortune, qui tiennent plus du bidonville que du camping, même « à la ferme ».

« Les caravanes, les yourtes, les cabanes ou toute autre forme d’autoconstruction ont toujours déstabilisé les élus », analyse Paul Lacoste, coprésident de Halem. Cette association défend toutes les formes d’habitats légers et alternatifs et leurs occupants. Au fil des procès, elle a acquis une véritable expertise juridique et technique. Halem, c’est le DAL des zones rurales. L’association organise chaque été une caravane qui est passée dans la plupart des Zad répertoriées. Elle a posé son chapiteau en 2009 à NDDL. « Depuis la loi ALUR, le dispositif réglementaire permet l’intégration des habitats réversibles et autonomes, mais il y a un réel problème de mise en œuvre de la loi. L’administration centrale n’en a pas fait la promotion et se refuse à y voir une possibilité de régularisation. Même si les cabanes construites dans l’urgence des mobilisations hérissent certains élus et fonctionnaires, leurs habitants ont des droits et une légitimité que les pouvoirs publics cherchent à occulter », dit Paul Lacoste.

Peut-on imaginer Véro, la néomaraîchère de La Hulotte, habiter ailleurs que dans une ferme « en dur » ? La Zad de NDDL ne pose pas seulement des questions sur l’accès au foncier, mais aussi sur la façon d’habiter en zone naturelle ou en zone urbaine, comme à Dijon. En attendant que le futur plan local d’urbanisme intercommunal (PLUIH) règle la question de la « cabanisation » de NDDL et des communes limitrophes, Halem a posé sa caravane cet été dans le Sud-Aveyron. Il s’agit cette fois d’aménager une Zad en bonne et due forme pour s’opposer à la construction d’un transformateur électrique destiné à connecter les éoliennes du secteur au réseau haute tension sur la commune de Saint-Victor-et-Melvieu. 

Autonomie énergétique et alimentation en eau

Une première cabane a été érigée avec des palettes en janvier 2015 dans un champ sur les hauteurs du village, à l’endroit même où le transformateur doit sortir de terre. Deux autres constructions, en bois et en paille recouverte de chaux, se sont ajoutées pour former un hameau baptisé l’Amassada (« l’Assemblée » en occitan), avec la bénédiction de la famille d’agriculteurs, propriétaire de la parcelle. À en croire les militants du collectif qui se réunissent toutes les semaines sur place, c’est à l’invitation du jeune agriculteur qui a repris l’une des deux exploitations impactées par le projet (5 hectares) que les cabanes ont commencé à fleurir sur ce plateau qui fait face au Larzac. « Victor est allé à Sivens, c’est là qu’il a compris qu’il fallait occuper le site ». Pour autant, les militants ont aussi compris qu’il fallait éviter l’écueil de l’ex-Zad tarnaise, où de nombreux agriculteurs favorables au projet de barrage ont manifesté contre l’arrivée des peluts (poilus ou chevelus, en occitan). « Nous sommes des habitants, pas des occupants », souligne une affiche appelant à rejoindre l’Amassada.

De fait, une majorité des 374 habitants de Saint-Victor-et-Melzieu ont désavoué l’ancien maire, coupable à leurs yeux de ne pas s’être opposé au projet de transformateur, lors des dernières élections municipales. Mais seule une minorité du village participe aux assemblées générales. Les militants venus du Tarn ou de l’Aude se recrutent dans la sphère anarchosyndicaliste de la CNT. Ils recherchent l’appui des nombreux collectifs antiéoliens de toute la région en présentant le transformateur de Saint-Victor comme « le transfo aux 1 000 éoliennes », par analogie avec la ferme dite « des 1 000 vaches » en Picardie. Pour autant, la Confédération paysanne de l’Aveyron ne s’est pas franchement mobilisée sur le sujet jusqu’à présent. Les écologistes renâclent aussi à s’engager contre une énergie renouvelable aux cotés de partisans affichés du nucléaire. 

Tout l’argumentaire des opposants repose sur la démonstration que le transformateur va permettre d’implanter de nouvelles éoliennes « industrielles » pour alimenter les métropoles de Toulouse ou Montpellier, voire l’Espagne ou l’Afrique du Nord, alors que les campagnes aveyronnaises ou tarnaises seraient déjà excédentaires en électricité. À leurs yeux, tout projet éolien, même de petite taille et financé par une coopérative d’habitants, peut être qualifié « d’industriel » dès lors qu’il est relié au réseau. C’est l’électricité « vivrière », l’autonomie énergétique à l’échelle du village ! Pour résister à l’arrivée annoncée des bulldozers, une centaine de personnes se sont portées acquéreuses en indivision d’une parcelle devant notaire. « Une barricade de papier », reconnaissent toutefois les militants antiéoliens de Saint-Victor, qui ont hâte d’accueillir de vrais zadistes pour faire face. À ce jour, les trois cabanes du hameau ne sont pas habitées en permanence, faute d’eau courante sur le plateau. Les maigres pieds de tomates de l’Amassada, plantés aussi symboliquement que l’éolienne artisanale au bout de son mât, en souffrent visiblement.

Mais aussi.
Des coopératives pour les paysans zadistes 

Willem Doedens, trente ans, est installé depuis 2014 à Saint-Jean-du-Tertre, une ancienne ferme expropriée de la Zad de Notre-Dame-des-Landes. Issu d’une famille d’agriculteurs, cet ancien étudiant en histoire a bénéficié de l’assistance de la Confédération paysanne à travers le collectif des organisations agricoles indignées par le projet d’aéroport (Copain 44). Ce réseau lui a fourni les vaches et le matériel agricole pour démarrer une activité de production laitière en agriculture biologique. Il livre depuis 2016 le lait d’une vingtaine de vaches à la coopérative Biolait. Non sans difficulté. Pendant les affrontements entre zadistes et forces de l’ordre, le camion de la coopérative qui vient collecter le lait tous les trois jours n’a pas pu passer. Le jeune paysan a dû se résoudre à jeter 750 litres de lait dans les champs. Il dispose d’une vingtaine d’hectares pour alimenter son troupeau, mais d’autres agriculteurs du secteur revendiquent également ces terres. Lui réclame une vingtaine d’hectares supplémentaires pour les besoins de Micka, son associé, un paysan boulanger qui a déménagé son four à Saint-Jean-du-Tertre après une première tentative d’implantation sur un autre site squatté de la Zad. À la préfecture de Nantes, la ferme est classée parmi les 40 à 88 hectares « en conflit d’usage ». Willem Doedens a également pu bénéficier de l’aide de la Coopérative d’Installation en Agriculture Paysanne (CIAP) de Loire-Atlantique. Cette structure originale est calquée sur les coopératives d’activité et d’emploi pour les salariés. Ces sortes de « couveuses » d’entreprises ancrées dans l’économie sociale et solidaire proposent un « portage » juridique et administratif de l’activité professionnelle : elle convertit le bénéfice généré par l’activité en salaires. La coopérative paysanne assure également le préfinancement des premiers investissements nécessaires à l’installation. Outre cette activité de portage, la CIAP a mis au point des stages dits « paysans créatifs ». S’adressant à des candidats non issus du milieu agricole, la formule attire un public croissant. Le CIAP, qui s’est étendu à toute la région, a comptabilisé quatre-vingt-un stagiaires en 2017. Willem a ainsi pu suivre un stage d’un an en amont du démarrage de son activité. « Nous n’intervenons que dans un cadre légal, précise Claire Lavaur, du CIAP 44. Nous n’avons pas pu héberger son activité tant que le foncier n’était pas sécurisé. Maintenant que la préfecture a signé des baux, même précaires, nous pouvons répondre aux autres candidats issus de la Zad qui frappent à notre porte. » La coopérative d’installation en agriculture paysanne a aussi fait des émules en Bretagne, en Normandie et en Poitou-Charentes.


  1. « Des graines dans la pelleteuse », Mathieu Brier et Naiké Desquenes, revue Z.
  2. Françoise Clavairolle, « La Borie sauvée des eaux », Cahiers du Lahic, 2011. http://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Patrimoine-ethnologique/Publications/Collection-electronique-Les-Carnets-du-Lahic/La-Borie-sauvee-des-eaux.-Ethnologie-d-une-emotion-patrimoniale 




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