De l'eau au moulin Haute Valeur Environnementale

Published on 4 juillet 2023 |

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« Haute Valeur Environnementale » : les promesses déçues d’une certification

En 2007, lors du Grenelle de l’Environnement, Lionel Vilain négociait pour France Nature Environnement (FNE) au sein du comité opérationnel qui devait définir les contours du label « Haute Valeur Environnementale (HVE) ». Les débats et contestations y furent très vifs. Ils ne le sont pas moins aujourd’hui dans la sphère publique : un collectif d’associations et le Synabio viennent de saisir le Conseil d’Etat, dénonçant une « tromperie »1. Sesame revient sur l’évolution du label quinze ans après son élaboration, avec l’un de ses concepteurs.

Par Lionel Vilain, ancien négociateur pour France Nature Environnement au comité opérationnel HVE.

La certification « Haute Valeur Environnementale (HVE) » est issue des longs débats engagés par le « Grenelle de l’Environnement ». Pilotant l’ensemble du dispositif, Jean-Louis Borloo, alors ministre de l’Environnement, souhaitait que l’on définisse et encourage par des normes une agriculture de haute qualité environnementale, à la façon des constructions et bâtiments qu’il avait fait labelliser HQE.

Une démarche « progressive dans le temps »

Le 31 août 2007, un cahier des charges élaboré conjointement par les ministères de l’Agriculture et de l’Environnement fixait donc les principaux objectifs et limites du nouveau label envisagé : « L’ambition globale d’un tel label doit se situer dès le départ au-delà de l’approche de ‘’l’agriculture raisonnée’’. Il devrait ouvrir la possibilité d’une démarche progressive dans le temps permettant un renforcement progressif des résultats techniques obtenus ». Parmi les autres éléments de la commande on a pu lire également : « Elle [la certification] ne doit pas introduire de confusion (ou donner à penser à une politique au rabais) par rapport à la promotion volontariste de l’agriculture biologique ». Enfin, « ce dispositif doit être simple, progressif2 et compatible avec les démarches de qualité comme les AOC ou l’agriculture biologique ».

Un Comité opérationnel (Comop) dédié à ce label, animé par les deux ministères et comprenant les syndicats agricoles – Fnsea, Cnja, Confédération Paysanne et Coordination Rurale -, l’Assemblée permanente des Chambres d’agriculture (Apca), les Instituts techniques, FNE ou encore l’union de consommateurs UFC-Que Choisir s’est donc réuni dès le mois de septembre 2007. A noter que la profession agricole participait à ce comité la baïonnette dans le dos : c’était contre son gré que le Grenelle s’était « attaqué » à l’agriculture et elle redoutait surtout une montée en charge des contraintes environnementales.

“La profession agricole participait à ce comité la baïonnette dans le dos.”

Après leurs réserves préliminaires – « on va encore faire une usine à gaz » -, la Fnsea et le Cnja ont estimé que l’essentiel de ce contenu se trouvait déjà dans le cahier des charges de l’agriculture raisonnée3.

Dès lors, un recyclage de ce logo décrédibilisé aurait sans doute satisfait la profession agricole. De son côté, FNE arguait que si les mots avaient un sens, alors « haute valeur environnementale » devait avoir une signification bien supérieure à la simple agriculture raisonnée et à son cahier des charges4, même dépoussiéré.

Produire des aliments de qualité dans des milieux de qualité

Selon la définition élaborée par FNE, qui servit de base de travail, une agriculture de haute valeur environnementale est une agriculture qui produit des aliments de qualité, dans des milieux de qualité. D’après une foule de références techniques et d’études5, on peut aisément l’identifier à la place que ce type d’agriculture laisse à la nature, ainsi que par son faible taux de dépendance aux intrants. Dans le détail, elle devrait combiner au moins ces deux caractéristiques :

– Une surface de 10 % minimum de la SAU laissée à la nature et aux espaces de régulations écologiques (haies, bosquets, prairies naturelles, vergers de haute tige, ripisylve ainsi que tous les milieux non labourés, non fertilisés et non traités aux pesticides) ;

– une faible dépendance aux intrants : moins de 30 % d’intrants par rapport au chiffre d’affaires (hors primes).

“Les seuils étaient hors d’atteinte pour la majorité des agriculteurs.”

La simplicité de cette proposition a d’abord été accueillie favorablement par les deux ministères qui entrevoyaient sans doute la possibilité d’éviter une énième « usine à gaz » règlementaire. Restait bien sûr à en vérifier la pertinence. Pour la profession agricole, les réactions ont évidemment été hostiles. Parce qu’il est directement relié à la consommation d’engrais, de pesticides, de fuel, d’aliments du bétail, de produits vétérinaires, d’eau d’irrigation, d’énergie et autres consommables, le taux de dépendance aux intrants signe en effet quel type d’agriculture est mis en œuvre, tout en exprimant le niveau d’intensification de l’exploitation. Quant au « taux de nature » ou d’infrastructures agroécologiques, il traduit indirectement un niveau d’artificialisation de l’espace.

L’hostilité au dispositif HVE proposé a fait la quasi-unanimité de la profession agricole, y compris la Confédération Paysanne. Bizarre car la dépendance aux intrants de 30 %, qui équivaut donc à une autonomie de 70 %, fait normalement partie de l’ADN de ce syndicat. Mais l’essentiel des reproches tenait au fait que les seuils étaient hors d’atteinte pour la majorité des agriculteurs. Car associés, les deux indicateurs favorisaient en effet une agriculture à bas niveau d’intrants, c’est-à-dire principalement herbagère et bocagère ainsi que les alpages de montagne, des garrigues et zones extensives… Ce qui n’intéressait pas vraiment les organisations agricoles présentes.

De réunion en réunion, l’administration testait, calculait, évaluait la pertinence et l’intérêt de ces deux indicateurs qui lui semblaient particulièrement simples, robustes et capables d’identifier facilement une agriculture qui produit des aliments de qualité, dans des milieux de qualité.

Changement de Direction

Puis, subitement, le Comop changeait de direction. C’est que l’approche manifestement positive de son Président (Pierre-Eric Rosenberg, ancien Directeur de l’espace rural et de la forêt au ministère), dérangeait beaucoup la Fnsea. Il a été simplement « débarqué » et remplacé au pied levé par un autre fonctionnaire moins conciliant vis-à-vis des propositions de FNE : Alexandre Meybeck.  Autre nouveauté, les indicateurs qui jusqu’à présent étaient appelés « indicateurs de FNE » devenaient dorénavant « approche globale »… Malgré bien des oppositions, elle fut finalement acceptée, et il restait à en discuter chaque modalité. Par exemple, pour lisser les fluctuations interannuelles, le taux de dépendance aux intrants s’établirait sur la moyenne des trois dernières années. Quelques contre-exemples et situations limites étaient également débattus : le dispositif de contrôle, la vente directe, la liste des intrants ou encore la viticulture.

Label et la bio

De l’enceinte du Comop, les débats ont été portés sur la place publique, notamment au cours de rencontres avec de nombreux partenaires naturels de FNE : la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique (FNAB), les Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural (Civam), le Réseau Action Climat (RAC)… et bien sûr dans les réseaux internes de chaque organisation. Les principales critiques pouvaient se résumer en ces quelques mots : « C’est fait pour tuer la bio » ! Ce projet de label fut en effet immédiatement perçu comme concurrent de l’agriculture biologique car naturellement, en dehors de la bio on sait que rien n’est bon (!)… Les deux labels sont pourtant bien compatibles. Le Président de la Fnab confiait par ailleurs en off qu’ils pourraient permettre de distinguer une agriculture bio autonome et économe, de la plasticulture bio industrielle.  

Mais pressé d’en finir et arguant que l’approche globale était trop élitiste, le nouveau Président du Comop annonçait le 16 avril – sans concertation préalable – que deux voies seraient finalement possibles pour atteindre la certification HVE : la voie A, dite « thématique », et la voie B, dite de l’« approche globale » – constituée des deux indicateurs de FNE, souvenez-vous. Ainsi, pour être certifié HVE par la voie A, le cahier des charges indiquait qu’il serait nécessaire d’obtenir au moins dix points dans chacune des quatre thématiques que sont la fertilisation, la biodiversité, la protection phytosanitaire et l’irrigation.

« L’usine à gaz »

« L’usine à gaz » tant décriée par les organisations professionnelles était donc bien là. Premièrement, chaque thématique fait l’objet d’une dizaine d’indicateurs de performance, d’ailleurs tous plus ou moins pertinents. C’est ensuite la somme des points obtenus dans ces différents items qui donne une note globale pour la thématique concernée ; ceux-ci étant attribués selon un gradient croissant de « performance ». Ainsi, pour être certifiée de niveau 3 par la voie A, l’exploitation doit voir validées ces quatre thématiques, sauf les non-irrigants qui sont dispensés du volet « irrigation ». Et, compte tenu de la somme des points distribués par thématique, plus de trente, il est relativement facile d’atteindre les dix nécessaires.

FNE a bien sûr contesté la procédure expéditive de la voie A, préparée en « off » et qui semblait être tombée du ciel, de même que l’équivalence entre les deux voies d’accès à la certification. D’une part les thématiques retenues et leurs indicateurs étaient discutables et, d’autre part, ils éludaient des aspects essentiels comme le changement climatique et la dépendance énergétique. Cependant, puisque « l’approche globale » était validée, FNE finit par accepter cette nouvelle procédure, persuadée que sa complexité et sa lourdeur administrative décourageraient les candidats.

À l’époque du Grenelle, FNE était en effet satisfaite d’avoir arraché et installé dans le référentiel agricole français l’indicateur « taux de dépendance aux intrants ». Quant aux 10 % d’infrastructures agroécologiques – c’est le jargon officiel –, ils reposaient sur la définition que nous avions proposée : « toute surface non labourée, non fertilisée et non traitée », recouvrant ainsi beaucoup de prairies naturelles, de garrigues et toutes les haies, talus, friches, ruines, etc.

“L’absence d’incitation économique et le coût de la certification expliquent sans doute son démarrage difficile.”

Le 10 juin 2009, dans un texte de quarante-huit pages pour la voie thématique et de douze pour l’approche globale, le dispositif de certification HVE était finalement publié par le ministère de l’Agriculture. Pour achever de dissuader d’éventuels candidats, l’administration annonçait dans le même temps que la valorisation du label devrait se faire par le marché, c’est-à-dire sans subvention ni aide, excluant du même coup tous ceux qui ne pourraient pas commercialiser directement le nouveau logo, à commencer par les productions laitières6.

Ce qui était initialement conçu pour favoriser une agriculture sobre, herbagère, à bas niveau d’intrant, s’est donc transformé après deux années de débats en une procédure administrative complexe, inutilisable et sans intérêt pour la plupart de ceux qu’elle pouvait concerner. L’absence d’incitation économique et le coût de la certification expliquent sans doute son démarrage difficile.

L’intérêt du label en viticulture

Curieusement, alors que les intentions initiales cherchaient à favoriser une agriculture sobre et économe, ce sont les viticulteurs qui ont compris l’intérêt du label. D’une part, le logo HVE pouvait être apposé sur les étiquettes des bouteilles de vin, ce qui présentait alors un avantage concurrentiel intéressant et, d’autre part, le principal poste de dépenses des vitivinicultures est constitué des charges de main-d’œuvre, lesquelles sont non comptabilisées dans les intrants. En clair, avec une forte valorisation du produit brut et malgré quinze à vingt traitements phytosanitaires chaque année, le seuil de 30 % de dépendance aux intrants n’était pas suffisant pour sélectionner les prétendants au label.

Quant à l’autre condition associée à la voie B, le taux de « Nature », il a été très rapidement balayé par des coefficients de pondération sans lien avec leurs intérêts réels. Par exemple, cent mètres de haie comptent dorénavant pour 1 ha : il est donc devenu aisé de planter quelques alignements le long des chemins et de dépasser la barre de 10 % de « nature ». Les arboriculteurs leur ont emboîté le pas. Manifestement, ces deux indicateurs sont devenus inadéquats en l’état.

En grandes cultures c’est la voie A, dite thématique, qui a été plutôt choisie. La lourdeur administrative du dossier est généralement prise en charge par les groupements de producteurs qui bénéficient alors d’une certification collective. La seule difficulté provient de la thématique « protection phytosanitaire » puisque les autres (fertilisation, biodiversité et irrigation) se valident facilement sans changement de pratiques.

Le 1er janvier 2023, un nouveau cahier des charges est publié, la voie B y est supprimée. Aujourd’hui 36 225 exploitations agricoles sont désormais certifiées HVE, soit environ 9 % des exploitations agricoles françaises. Cela concerne au moins 2,15 millions d’hectares, c’est-à-dire 8,0 % de la surface agricole utile française.

Quels résultats ?

Les quelques progrès plus ou moins cosmétiques engendrés par la certification HVE sont très loin du projet initial qui, rappelons-le, entendait favoriser « une agriculture qui produit des aliments de qualité dans des milieux de qualité » et ainsi faire le pont entre l’agriculture biologique et l’agriculture autonome, à bas niveau d’intrant. C’est un échec évident.

Pire, la confusion entretenue entre les labels HVE et AB par les acteurs de la distribution tend à les rendre équivalents, alors qu’ils sont radicalement différents dans leurs impacts sur les milieux. Cette certification HVE est ainsi devenue un concurrent frontal de l’agriculture biologique.

LIRE AUSSI :

  1. https://www.actu-environnement.com/ae/news/saisie-conseil-etat-referentiel-hve-tromperie-41015.php4
  2. Pour cette raison, le référentiel prévoit trois niveaux ; seul le niveau 3 bénéficie de la certification. 
  3. En 1997 une économiste, Sylvie Bonny, considérait que l’Agriculture Raisonnée pouvait être une voie pour développer l’agriculture durable en Europe (https://www.nss-journal.org/articles/nss/abs/1997/01/nss19970501p64/nss19970501p64.html). En 2017, selon Claude Compagnone et Justine Pribetich : « Labellisée en 2002, [l’AR] ne constitue qu’une variante du mode de production dominant […] et « sa qualification ne va pas de soi (§ 40) », voir : https://www.cairn.info/revue-francaise-de-socio-economie-2017-1-page-101.htm
  4. Le cahier des charges est consultable ici : http://partage.cra-normandie.fr/r_agr_raison/cahier_charges.htm
  5. Dont les méthodes Idea (Indicateurs de durabilité des exploitations agricoles) et IDERICA, voir : https://hal.science/hal-02317182v1
  6. Comme pour l’agriculture biologique, il aurait fallu alors des collectes de lait dédiées exclusivement au lait HVE. Par conséquent la valorisation du label en productions laitières se limitera à la seule vente directe.

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