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Croiser le faire

Publié le 5 décembre 2022 |

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[Exploitations agricoles] Comment cesser de battre en retraite ? 

Prêcher la souveraineté alimentaire risque bien de n’être qu’un credo si le renouvellement des agriculteurs n’est pas assuré. Or, en France, s’il reste des candidats à l’installation ou à la reprise, le chemin est creusé d’ornières, émaillé de nids-de-poule et d’embûches. À commencer par le prix des exploitations qui demande des investissements très importants. Trop, peut-être, au vu de la faiblesse des revenus agricoles ? Alors, transmettre, certes, mais à quel prix ? L’occasion de débusquer quelques dogmes bien ancrés. 

Par Yann Kerveno

Si nous voulons conserver la main sur notre souveraineté alimentaire, la transmission des exploitations agricoles est un des défis majeurs à relever. Les résultats du dernier recensement agricole sont sans appel et ne laissent pas d’inquiéter : la moitié des agriculteurs français va partir à la retraite dans les dix ans qui viennent. Or, Bertrand Hervieu le dit tout net : « Il faut arrêter avec ce slogan mensonger : un agriculteur qui part, un agriculteur installé. On ne remettra pas un million de personnes dans les champs ! », tranche-t-il avec la liberté que lui octroie aujourd’hui sa position de retraité. Pour l’ancien conseiller de ministres de l’Agriculture, la problématique du renouvellement des générations n’est pas propre à ce secteur : « On rencontre aujourd’hui les mêmes problèmes en agriculture que ceux que nous connaissons pour les PME et PMI, avec la dispersion du capital entre différents membres de la famille et, au bout du processus, une vente qui s’impose parfois. C’est une grande difficulté à surmonter dans les vingt prochaines années. »

La situation est d’autant plus compliquée que les freins à la transmission sont multiples. Ils vont de facteurs psychologiques, tel que le rejet d’un métier socialement déclassé, au contrôle étroit des structures par la profession agricole ou encore au renchérissement d’exploitations qui n’ont cessé de grossir pour tenter de rester compétitives… Dans un papier publié en 20161, Romain Gaté et Laure Latruffe listent avec précision tous ces écueils et signalent que ce dernier point – le prix de vente – implique des besoins en financement potentiellement rédhibitoires quand ils s’ajoutent à des mises aux normes à effectuer ou des investissements à engager. L’addition peut devenir particulièrement salée et décourageante. Dans un contexte bancaire frileux, il est facile d’imaginer les difficultés qui se dressent sur le chemin des plus volontaires. Lesquels, lorsqu’ils parviennent à s’installer, sont vite obligés d’être ultraperformants.

Un million pour un Smic

L’observatoire de la transmission et de l’installation en agriculture2, qui opère en Bretagne, met en ligne de précieuses données pour mieux cerner la problématique de la cession, côté acheteur. On y apprend ainsi que le coût moyen d’une installation individuelle classique dépasse les 300 000 euros (2021) et que celui d’une reprise approche les 200 000 euros (2020). En moyenne, insistons-nous. Car, pour une exploitation porcine, la reprise dépassait les 556 000 euros en 2016 avant de retomber à « seulement » 380 000 euros en 2020. Une somme à laquelle il faut ajouter environ 150 000 euros d’investissements. Quant aux installations non plus individuelles, mais sous forme sociétaire, c’est-à-dire en Gaec, EARL, et autres SCEA3, les montants avoisinent 190 000 à 200 000 euros par associé. 

Alessandra Kirsch

« Comment mettre un million d’euros sur la table si c’est pour gagner un Smic derrière, et seulement si tout se passe bien ? Cela paraît bien illusoire de demander ce type d’investissement à des candidats à l’installation pour ça  » 

Cette question du prix et de la taille de l’exploitation ne date pas d’aujourd’hui. Il s’en parlait déjà dans les années 1990 dans certains secteurs de l’agriculture, comme le maraîchage en Lot-et-Garonne, où des serres, des abris froids et certains outils pouvaient déjà se révéler hors de portée d’un jeune candidat à l’installation. Les solutions passaient alors par des investisseurs extérieurs. Une problématique qui ne concernait qu’une petite fraction des exploitations agricoles très spécialisées et qui, depuis, s’est étendue à toutes les autres productions.

Or, « Comment mettre un million d’euros sur la table si c’est pour gagner un Smic derrière, et seulement si tout se passe bien ? Cela paraît bien illusoire de demander ce type d’investissement à des candidats à l’installation pour ça », analyse sans mettre de gants Alessandra Kirsch, directrice des études du think tank Agriculture Stratégies : « C’est d’ailleurs ce qui nourrit en partie le mouvement important de développement des productions de plantes aromatiques, parce que cela répond un peu à cette contrainte en limitant les investissements de départ. Avec ce problème : le risque que les installations de demain se fassent uniquement sur ce modèle en raison de la cherté des exploitations centrées sur d’autres productions. » Le corps étant sur la table, il n’y a plus qu’à disséquer. L’heure est à l’autopsie. 

Vivre pauvre et mourir riche ? 

« Un des problèmes de l’agriculture en France c’est que les entreprises sont très endettées, bien au-dessus de ce qui se constate ailleurs en Europe. Et c’est paradoxal, parce que nous avons le foncier le moins cher du continent », explique A. Kirsch. C’est un rapport récent de Chambres d’Agriculture France (CAF) sur la compétitivité de la « Ferme France » qui permet de saisir l’ampleur du problème. En 2016, pour les exploitations produisant des céréales à paille et des oléoprotéagineux, le taux d’endettement était de 43 % dans l’Hexagone contre 21 % en Allemagne, 12 % en Hongrie et… 0 % en Italie. Les taux d’investissement suivent peu ou prou le même ordre de grandeur, de 72 % chez nous contre 55 % en Allemagne et 12 % en Italie. « Le taux de renouvellement de matériel est très élevé en France et c’est principalement lié au système d’amortissement et de défiscalisation dont bénéficie l’activité agricole. C’est une ironie de l’histoire car une grande partie de ces matériels est importée et cela pèse lourdement dans notre balance commerciale, fait remarquer Bertrand Hervieu. Ces investissements très lourds participent au phénomène souvent décrit : “Vivre pauvre pour mourir riche”. Aujourd’hui, les agriculteurs qui partent à la retraite disposent, les statistiques le montrent, d’un patrimoine plus important que celui de toutes les autres professions indépendantes. Dans le même temps, c’est un métier où, au long d’une carrière, on constate l’écart le plus important entre les plus hauts et les plus bas revenus. D’un côté il existe des revenus négatifs, de l’autre c’est aussi la profession qui compte les revenus les plus élevés parmi les indépendants. »

Une vente capitale… 

En évoquant ainsi la question des retraites, Bertrand Hervieu met le doigt sur un des autres facteurs qui ont joué, et jouent toujours, un rôle capital dans ce mouvement de renchérissement des propriétés agricoles. « C’est le cœur du problème, rebondit Alessandra Kirsch. La vente de la ferme au prix du capital est attendue par les cédants justement pour compléter leurs maigres retraites. La revalorisation de ces pensions est un des leviers qui pourrait être actionné pour basculer sur une vente reposant sur d’autres critères que le capital… Mais ça coûte cher et l’État rechigne, même si un petit pas a récemment été fait en ce sens, explique-t-elle. D’autant que ne retenir que la valeur capital produit son propre effet pervers. À chaque fois que les années sont bonnes et qu’une exploitation fait des bénéfices, le producteur force sur les investissements, qui viennent en déduction des revenus professionnels et permettent donc de diminuer l’assiette sur laquelle sont calculées ses cotisations auprès de la MSA, la Sécurité Sociale Agricole. Et là c’est un serpent qui se mord la queue puisque, pour payer les retraites, il faut abonder la MSA… » Autrement dit, l’investissement, qui permet de préserver ou d’augmenter la rentabilité de l’exploitation en allégeant le montant des cotisations, présente son intérêt «cash » au solde de la carrière. À condition de « réaliser le capital », autrement dit de vendre la ferme, pour améliorer l’ordinaire de la pension, autour du millier d’euros pour des carrières complètes.

Guillaume Favoreu

« La valeur patrimoniale reste encore un peu un dogme dans le monde agricole même si, depuis quelques années, les représentants de la profession ont évolué et intègrent dans leurs réflexions une deuxième approche, celle de la valeur économique qui dépend des revenus que le repreneur peut espérer dégager »

Pour le dire trivialement, l’élastique est donc tendu entre des cédants, qui ont besoin de récupérer leur capital au prix fort, et des accédants confrontés à des montants pour le moins intimidants qui ne suscitent pas l’adhésion des banques. « Oui, aujourd’hui une exploitation peut paraître très chère par rapport à sa rentabilité », explique Jean-Baptiste Millard, directeur du think tank Agridées. Se pose donc la question de la manière dont se construit ce fameux prix. « Pour évaluer une exploitation, on essaie de pondérer plusieurs postes – la valeur patrimoniale des terres et des bâtiments, les remboursements, la rentabilité – et de les confronter aux valeurs du marché. C’est la façon classique de procéder. Mais l’agriculture a une spécificité, qu’on ne retrouve pas dans les autres métiers, c’est celle du foncier : vous n’avez pas encore remboursé votre outil de travail que vous êtes contraint d’investir dans du patrimonial », précise-t-il. Même si, finalement, « les terres pèsent en général assez peu sur la valeur en capital des exploitations, à l’exception peut-être des cultures pérennes », fait remarquer Alessandra Kirsch, ce que confirme l’étude de Caf, déjà citée, sur la compétitivité de l’agriculture française et les données compilées sur les exploitations en céréales et oléoprotéagineux. La part du foncier en France représente en moyenne 25 % du capital total des exploitations, contre plus de 75 % en Allemagne, 34 % en Hongrie, 70 % en Italie et 84 % au Royaume-Uni (lire « Et ailleurs en Europe ») !

Foin du dogme patrimonial ? 

Le capital d’une exploitation, donc la valeur sur le marché des terres et du bâti, étant parfois trop important pour trouver acquéreur, n’y a-t-il pas là une révolution copernicienne à effectuer? « Cette valeur patrimoniale reste encore un peu un dogme dans le monde agricole même si, depuis quelques années, les représentants de la profession ont évolué et intègrent dans leurs réflexions une deuxième approche, celle de la valeur économique qui dépend des revenus que le repreneur peut espérer dégager », reconnaît Guillaume Favoreu. Cet expert toulousain du cabinet Optimes, spécialisé entre autres dans les transmissions, a tenté, avec Claire Colombani, alors étudiante à Purpan, de développer un outil d’évaluation plus en prise avec le réel. « Une valeur patrimoniale peut se trouver totalement déconnectée de la valeur économique de l’entreprise. Prenons le cas d’un bâtiment d’élevage hyperspécialisé. Il peut avoir une valeur donnée au moment de l’évaluation mais, par un retournement de conjoncture, ne plus rien valoir d’ici deux ou cinq ans. On peut donc avoir en même temps une valeur patrimoniale importante et une valeur économique réduite à néant ou inversement », précise-t-il. Quid par exemple de la valeur économique des bâtiments d’élevage de volailles situés dans les zones où la grippe aviaire sévit aujourd’hui ? D’où la grille d’analyse développée par nos experts toulousains qui va beaucoup plus loin, jusqu’à explorer le potentiel futur. « Il existe plusieurs méthodes d’évaluation de la valeur des entreprises agricoles qui ne nous satisfaisaient pas. Nous étions même parfois frustrés parce que, dans des cas de plus en plus fréquents, elles ne nous semblaient pas coller avec la réalité. Nous avons donc travaillé sur la valeur cachée des entreprises et les facteurs de risque ou de potentiel. Ce peuvent être la présence du voisinage qui risque de devenir problématique ou, a contrario, le tissu rural environnant qui constitue un atout. Nous avons ainsi ajouté une cinquantaine de critères pour mettre au point cette méthode, sans cesse à affiner, dont les résultats viennent compléter le bilan. Avec deux objectifs : définir la valeur la plus juste de l’exploitation puis fournir les outils pour pouvoir travailler sur la transmission », détaille Guillaume Favoreu (lire « Combien ça vaut ? »). Un pas important, même si, pour lui, la question du prix ne constitue pas forcément le plus gros écueil sur lequel bute la transmission… « Pour cette dernière, en plus des données économiques, il faut aussi prendre en compte des questions juridiques, contractuelles, humaines… Dans le cadre des transmissions intrafamiliales, si ce n’est pas bien préparé, les héritiers peuvent se trouver confrontés au règlement de droits de succession énormes mettant en péril l’entreprise. »

« Acquérir le foncier relève du choix individuel de l’exploitant mais ce n’est en rien un passage obligé » estime Jean-Baptiste Millard.

Loué soit le fermage ? 

Faut-il alors changer de méthode ? Ne se reposer, comme dans certains pays, que sur la valeur économique et s’affranchir du patrimoine ? C’est ce que prône Alessandra Kirsch : « Un cabinet de dentiste est cédé selon sa clientèle, pas selon ses murs, de même qu’une entreprise est cotée sur la base de sa capacité à dégager des bénéfices… ». À ceci près que, en changeant la façon d’évaluer l’exploitation et donc de fixer son prix de vente, c’est tout le calcul des futurs retraités qui s’en trouve blackboulé : « Comment effacer la perte des cédants qui attendent la réalisation de leur capital pour compenser la faiblesse de leur retraite ? C’est un coût potentiellement très important pour l’État mais cela mérite d’être étudié », poursuit-elle. De son côté, Jean-Baptiste Millard soulève la question de la propriété en elle-même. « Acquérir le foncier relève du choix individuel de l’exploitant mais ce n’est en rien un passage obligé. Le bail rural apporte une protection importante et certains fermages [ndlr, les loyers de terres agricoles] réglés à des retraités sont aujourd’hui bien supérieurs à leur pension. » Bref, se contenter de louer allège la facture. Mais que dire d’acheter quand même, avec l’aide d’investisseurs extérieurs au monde agricole pour porter le foncier ?  A. Kirsch réfléchit à haute voix : « Ce peut être une solution mais uniquement tant que demeurent le cadre du fermage et la protection des exploitants si spécifique au contexte français, avec ses baux longue durée [ndlr, dix-huit ans minimum]. De toute façon, dès lors qu’on parle d’investisseurs, il ne faut pas oublier qu’il faudra les rémunérer d’une manière ou d’une autre. Cela existe pour le foncier en viticulture mais généraliser ce système signifierait la fin de notre modèle d’agriculture familiale et patrimoniale. Et le risque, c’est de glisser vers de nouvelles formes juridiques où l’agriculteur ne serait plus fermier mais gérant. J’y vois un problème parce qu’une des grandes motivations de ce métier c’est justement d’être le patron chez soi. Et je ne pense pas que la société française, pas plus que les agriculteurs, soit prête à cela. »

Jean-Baptiste Millard ne défend d’ailleurs pas cette idée, bien au contraire : « Aujourd’hui, je crois plus à des fermes d’une certaine taille permettant au chef d’entreprise de vivre comme tout le monde. Car si, autrefois, être agriculteur était un “état” plus qu’un métier, nous sommes en train de sortir de ce paradigme. »Ensuite, le problème le plus aigu à ses yeux n’est pas tant de trouver des capitaux pour acquérir à tout prix une exploitation que « de savoir ce que l’on vend, quelles activités, quel modèle, et si cela correspond à ce que les jeunes agriculteurs souhaitent acheter ». Et de citer à l’appui une start-up, Eloi, qui découpe les grandes fermes à la vente, les transformant en « grappe de fermes » plus accessibles aux jeunes. À l’autre bout du spectre, si l’on considère qu’Eloi s’inscrit dans une approche libérale, il faut aller en Loire-Atlantique où c’est une coopérative, la Ciap, bâtie sur le modèle des coopératives d’activité et d’emploi, qui met le pied à l’étrier des jeunes désireux de s’insérer dans l’agriculture paysanne. En dispensant une formation, en permettant une période de test et en apportant des fonds, la moitié de ce qui est nécessaire à l’installation pour amorcer l’activité. « Ainsi, lorsque nous allons voir les banques, c’est plus simple. Nous passons d’une situation où la banque nous demande de faire nos preuves à celle où nous arrivons déjà avec un résultat, une expérience et un réseau de commercialisation », explique Patrick Baron, directeur délégué de la Ciap4.

Les pieds sur terre

Mais il y a aussi plus simple intellectuellement et facile à mettre en œuvre. Dans son étable aveyronnaise, Gauthier Malgouyres, éleveur, réfléchit à haute voix : «Plutôt que d’investir tout de suite dans un troupeau en production avec des vaches adultes, on pourrait imaginer des installations progressives en élevage. En achetant des génisses laitières pour une cinquantaine d’euros, qui demandent peu de travail, ce qui permet éventuellement de continuer à exercer à côté. On pourrait ainsi se laisser le temps de se constituer un troupeau, d’attendre les premiers vêlages et les premières ventes d’animaux au bout d’un an et demi en viande et les premières lactations au bout de deux ans. » Un peu de bon sens, en clair, tout comme dans les propos d’Alessandra Kirsch : « Pour enrayer cette course en avant, la solution la plus modeste ne serait-elle pas d’abord de relever le prix payé aux agriculteurs pour leurs productions ? Ils y trouveraient une rentabilité sans avoir besoin de cavaler après les économies d’échelle et les agrandissements. » De son côté, Bertrand Hervieu ne voit toutefois pas« comment la concentration et la consolidation pourraient s’arrêter » dans l’agriculture française. Quant à Jean-Baptiste Millard, « le défi, aujourd’hui, c’est de savoir si nous allons être capables de développer un modèle de ferme qui sera raccord avec la transition écologique et agricole tout en étant capable de générer des revenus ».

Combien ça vaut ? La nouvelle méthode d’évaluation élaborée par Guillaume Favoreu et Claire Colombani, au sein du cabinet toulousain Optimes, combine plusieurs jeux de données. Il y a d’abord la valeur des actifs, le patrimoine pour faire simple (les terres, les bâtiments et la maison d’habitation). Vient ensuite la valeur économique, donc les revenus de l’activité. Celle-ci est calculée principalement d’après l’excédent brut d’exploitation sur une période définie, cinq ans par exemple. Il s’agit là en gros de la valeur ajoutée et des subventions, diminuées de la rémunération et des impôts. Évidemment, pas question de répartir de la même façon la valeur patrimoniale et la valeur économique pour l’ensemble des productions agricoles : il faut s’ajuster à chaque secteur qui nécessite par exemple plus ou moins de bâtis et de terres. Ainsi, pour les secteurs du maraîchage, de l’horticulture, de la viticulture et de l’arboriculture, c’est la valeur économique qui prime. En revanche, pour les productions de bovins lait, viande et la polyculture élevage, la valeur patrimoniale pèse plus lourd. Quant aux productions porcines, les bovins mixtes et les grandes cultures, les deux résultats comptent à parts égales dans l’évaluation de l’exploitation. Mais là n’est pas tout. Car ce premier résultat est également pondéré en fonction de valeurs dites immatérielles, dont les démarches de différenciation menées par l’exploitant, par exemple l’obtention de labels ou de certifications pour sa production. Mieux, tout un ensemble de risques et de valeurs sont pris en compte à travers cinquante et un critères, depuis la sensibilité aux aléas climatiques jusqu’aux analyses de sols en passant par le bien-être animal garanti ou non. Ne restent plus enfin que deux étapes. La première réintègre des éléments du bilan écartés au début, comme les dettes de l’entreprise ; la deuxième applique d’éventuelles décotes liées par exemple à des mises aux normes à effectuer ou à la non-liquidité des parts dans le cas des sociétés. Et voilà donc définie la valeur finale de l’exploitation. Laquelle, en mettant en lumière les forces et les faiblesses d’une exploitation, permet non seulement de mieux préparer la transmission, mais a également valeur d’audit pour aider l’exploitant à améliorer sa gestion. 

Et ailleurs en Europe ? Au-delà du statut très protecteur des exploitants en France, qu’en est-il ailleurs en Europe ? En Autriche, la forme de transmission la plus courante est un contrat entre le nouveau et l’ancien exploitant qui conserve la propriété des terres jusqu’à sa mort. Une sorte de viager en somme. En Belgique, ce sont des contrats de location qui sont majoritairement à l’œuvre depuis leur création en 1969. Les petites exploitations de moins de dix hectares peuvent posséder en propre 60 % de leurs surfaces tandis que cette part est plafonnée à 80 % pour les exploitations dépassant les 80 ha. En République tchèque, c’est aussi le contrat de location qui est la forme la plus courante : plus de 80 % de la Surface Agricole Utile (SAU) sont ainsi loués et, sauf accord entre les parties, le montant de la location annuelle équivaut à un pour cent de la valeur de la terre fixée par le marché. En Espagne, et plus particulièrement en Catalogne, la propriété des terres cède du terrain au profit de la location5;. Quant au prix du foncier à l’échelle de l’Union européenne, il fluctue grandement. S’il est très bon marché en Croatie, 3 440 €/ha en moyenne, il est hors de prix aux Pays-Bas à 69 632 €/ha et peut aller, suivant les zones, jusqu’à près de 105 000 €/ha. L’Italie (environ 35 000 €/ha) et l’Irlande (autour de 26 000 €/ha) complètent le podium des grands pays agricoles. La Slovaquie et l’Estonie ferment le peloton avec la Croatie. Mais la terre la plus chère d’Europe se trouve en Espagne, et plus précisément aux Iles Canaries, avec une pointe à 120 447 €/ha6.

  1. https://journals.openedition.org/economierurale/4792
  2. http://www.eoloas.net
  3. Groupement Agricole d’Exploitation en Commun (GAEC), Exploitation Agricole à Responsabilité Limitée (EARL), Société Civile d’Exploitation Agricole (SCEA).
  4. Nous aurons l’occasion de revenir en détail sur ces nouvelles méthodes dans un prochain numéro.
  5. http://accesstoland.eu
  6. https://ec.europa.eu/eurostat/fr/web/products-eurostat-news/-/ddn-20211130-2

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3 Responses to [Exploitations agricoles] Comment cesser de battre en retraite ? 

  1. VIELLARD Aurélien dit :

    Les porteurs de projets en agriculture sont entrain de re-dessiner le paysage agricole. Nous observons depuis quelques années une envie de faire autrement et de casser l’image de la ferme transmissible dans son modèle d’origine!
    Demain, nous devons établir des scenarii, et quand je dis nous, ce sont les responsables agricoles, les partenaires influenceurs en agricultures, les financeurs, les pouvoirs publiques; scenarii qui doivent tenir compte des évolutions sociétales, territoriales, climatiques, économiques…Nous devons par contre être garant de la non dérive vers des modèles réducteurs qui ne contenteraient qu’une petite partie des consommateurs. Je suis relativement d’accord avec les propos qui visent à dire que nous ne pourrons pas remplacer au 1 pour 1 les futurs retraités agricoles mais maintenir un bon taux de renouvèlement pour ne pas perdre le tissu agricole et un certaine déconnexion d’une majeure partie de la population au monde agricole reste de mise.
    Hormis le coté « être son propre patron et vivre dans des espaces paisibles », le métier d’agriculteur engage vers une vie contraignante. Le temps passé au travail, les contraintes physiques, l’éloignement des fermes des points de vie, des capacités professionnelles de bons niveaux… tout autant de facteurs qui découragent parfois les plus motivés.
    L’échanges sur ces sujets doivent avoir lieu et dans des aspects constructifs où il faut rester vigilant sans se laisser envahir par des idéaux sans avenir.

  2. Dominique ROUGEAU dit :

    Transmission d’exploitation agricole ou transmission d’Entreprise tout court : l’impossible équation en France.
    La France n’y est pas adaptée ; son espace économique, fiscal et règlementaire ne le permet pas.
    Solution n°01 : tout vendre de son vivant, demander son quitus fiscal, émigrer et re-investir dans un pays « business friendly » pour installer la génération suivante.
    Solution n°02, pour les plus téméraires, ambitieux et entreprenants : à partir de la R&D réalisée en France, développer sa filiale dans le pays « business friendly » dont la croissance sera 4 fois plus rapide et qui génère ainsi les moyens permettant d’absorber la maison mère initiale.

  3. Pingback: Trade price, the main obstacle to agricultural transmission – Xinyazhou New Asia

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