Par Sergio Dalla Bernardina, ethnologue. Entre science et croyance : la leçon du rhino - Revue SESAME

Bruits de fond

Published on 5 décembre 2017 |

0

Entre science et croyance : la leçon du rhino

Par Sergio Dalla Bernardina, ethnologue.

@Sesame

On aime beaucoup entourer ses croyances d’une aura scientifique. On aime tout autant démythifier les croyances des autres au nom de la science. Pendant un moment, l’Église a puisé dans les sciences de la nature ses exemples édifiants. Les pratiques peu compatibles avec la morale chrétienne étaient qualifiées de « contre nature ». L’utilisation de méthodes contraceptives était une pratique contre nature, la famille monoparentale aussi, l’homosexualité n’en parlons pas. Avec les avancées de l’éthologie cependant, il a fallu reconnaître que certains animaux pratiquent tout à fait naturellement l’inceste, l’infanticide et le parricide, la sodomie, l’adultère, l’échangisme voire même, chez les grands singes, la prostitution.

C’est toujours embarrassant lorsqu’il faut choisir entre science et croyance. Ceci d’autant plus que, par nature, nous nous sentons plus proches de la science que de la croyance. C’est justement au nom de la science que nous jugeons ridicule la conviction selon laquelle les cornes de rhinocéros auraient des pouvoirs aphrodisiaques. « Et puis quoi encore ? C’est évident », comme l’aurait dit James Frazer, pionnier de l’anthropologie fonctionnaliste, « qu’il s’agit d’un exemple de magie imitative : on s’imagine que les cornes de rhinocéros donnent de la vigueur sexuelle en raison de leur ressemblance avec d’autres protubérances. C’est de la superstition ou, au mieux, du placébo. »

65 000 $/kg

On trouve donc ahurissant que des illuminés en arrivent à subtiliser les cornes des rhinocéros  empaillés du Muséum d’histoire naturelle ou les soustraient aux pensionnaires des jardins zoologiques à l’aide d’une tronçonneuse (c’est arrivé en mars 2017 à Vince, un sujet de quatre ans qui habitait à Thoiry dans les Yvelines) 1. On comprend la rigueur des autorités qui pour défendre ces pauvres animaux, dont la seule faute est d’arborer un symbole phallique au bout de leur nez, prennent des initiatives draconiennes. Oui, parce qu’incinérer des pièces qui valent 65 000 dollars le kilo est un geste drastique et courageux. Des kilos de matière mythique et de billets de banque potentiels qui partent en fumée au cours d’un bûcher dissuasif et cathartique (une vieille coutume en matière de superstition)2.

« Écologie traditionnelle »

Mais où passe la frontière entre la science et le mythe ? Personnellement, je n’ai pas d’éléments pour trancher sur le bien-fondé de la croyance en question. Ce que je trouve troublant, c’est que, dans beaucoup d’autres cas, nous célébrons la profondeur des compétences « indigènes » en matière de plantes et d’animaux. Nous parlons de savoirs vernaculaires ou autochtones, d’écologie traditionnelle. Nous avons même forgé la notion d’“ethnoscience”. Les « non modernes » nous semblent très performants lorsqu’il s’agit de découvrir des antibiotiques naturels, des variétés botaniques qui prospèrent à des hauteurs insoupçonnables, des remèdes contre les poussées de fièvre ou la morsure des serpents. Mais lorsqu’il s’agit des propriétés stimulantes des cornes de rhinocéros, nous leur retirons toute compétence. Ils redeviennent des ignorants et des crédules, bref, des primitifs.

Les experts sont formels : dans ces cornes hautement convoitées, il n’y aurait que de la kératine. Côté performance, autrement dit, autant se ronger les ongles. Mais ce rappel à la réalité tombe très bien : il nous permet de faire coïncider la vérité scientifique, le rétablissement de la morale et la survie des rhinocéros.


(photo de Une Michel Meuret/INRA)

 

  1. Un rhinocéros abattu au zoo de Thoiry, sa corne tronçonnée. Le Monde.fr. 7 mars 2017
    http://ecologie.blog.lemonde.fr/2017/03/07/un-rhinoceros-abattu-au-zoo-de-thoiry-sa-corne-tronconnee/
  2. Un zoo raccourcit les cornes de ses rhinocéros pour éviter le braconnage. Sud-Ouest. 21 mars 2017 http://www.sudouest.fr/2017/03/21/un-zoo-tcheque-raccourcit-les-cornes-de-ses-rhinoceros-pour-eviter-le-braconnage-3296560-6095.php

Tags: , , , ,




Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Back to Top ↑